«Les islamistes sont un vrai danger pour l’Algérie»

Le journaliste Lakhdar Ferrat :

«Les islamistes sont un vrai danger pour l’Algérie. Rachad est un département des affaires extérieures des partis islamistes en Algérie». L’idée développée par l’ancien journaliste de l’Entv, Lakhdar Ferrat, dans l’entretien qu’il a accordé récemment à Mohsen Abdelmoumen, et ce à propos de l’activisme des islamistes dans notre pays et de leurs relations avec les autres mouvements islamistes à travers le Monde. Mohsen Abdelmoumen : Comment évaluez-vous le règne de Bouteflika ? Lakhdar Ferrat :

Le règne de Bouteflika été l’un des plus désastreux pour l’Algérie depuis son indépendance. Il s’est caractérisé par un manque total de projet de société, de cap vers l’avenir pour le pays. L’Algérie a été gérée comme on gère un grand casino. J’ai toujours milité pour mettre fin à cette méthode de gérer un pays, en 2014 j’ai demandé la destitution de Bouteflika pour arrêter la catastrophe avant qu’il ne soit trop tard. Le monde entier voit aujourd’hui dans quelle situation se trouve l’Algérie issue du règne de Bouteflika. La société d’aujourd’hui est le fruit de sa politique, on cherche toujours à s’enrichir sans effort. Il a produit les personnes les plus viles dans tous les domaines, que ce soit au niveau politique, économique ou social, des personnes qui ne cherchent qu’à s’accrocher dans des postes pour se servir.

Le courant islamiste, sous le règne de Bouteflika, et même avec le président Tebboune, s’est fortifié politiquement et matériellement ; il a renforcé ses alliances internationales et trouve dans la Turquie un protecteur inespéré. Cette mouvance supranationale reste toujours un danger majeur pour la stabilité de l’Algérie. Je considère, et je l’ai toujours dit, que ce bilan désastreux de Bouteflika doit être partagé avec les personnes qui l’ont ramené et imposé à la société algérienne. Actuellement, nous subissons toujours cette gestion catastrophique d’autant plus qu’il n’y aucune volonté de sortir le pays de cette phase. On continue dans le même sillage et l’on gère avec les mêmes personnes qui sont à l’origine de ce KO produit par le système Bouteflika. Dans un pays normal, on ferait le bilan de cette mauvaise gestion et on prendrait un nouveau cap en rupture totale avec les méthodes et les hommes qui ont été avec l’ancien système.

Or, ce n’est pas ce que je vois actuellement. Aujourd’hui, on pousse vers l’islamisation du pouvoir alors que les islamistes ont été le bras droit du système corrompu que Bouteflika a installé, donc on fait fausse route encore une fois et ce sera plus dommageable encore que la voie prise par Bouteflika, car les islamistes n’ont rien à offrir au pays, sauf quelques vieilleries dépassées créées par les islamistes égyptiens au début du siècle. Nous sommes dans une démarche de compilation des problèmes qui sont entassés les uns sur les autres au lieu de faire face et d’assainir pour démarrer une nouvelle politique à l’opposé de ce qu’a fait Bouteflika, lequel, j’espère, sera jugé pour ses actes. Vous êtes un des rares à avoir écrit une série d’articles dans le journal Al-Fadjr sur les Frères musulmans et leur entrisme en Algérie.

D’après vous, comment peut-on lutter efficacement contre l’idéologie mortifère des Frères musulmans ? Les islamistes restent un vrai danger pour l’Algérie. Ils ne peuvent rien apporter à la société algérienne, ils n’ont pas d’idées, que ce soit au niveau politique, religieux ou économique. Ils ressassent les idées produites ailleurs déjà expérimentés et qui ont échoué. Ils ne permettent même pas au pays d’éviter des expériences déjà faites, comme cette bêtise du crédit hallal inventé d’ailleurs par une banque suisse, et qui n’est qu’un système de leasing connu et reconnu. Les islamistes algériens, connus pour être les plus incultes et les plus extrémistes de la planète, n’apporteront rien de bon à notre pays.

Leur donner le pouvoir serait une grave erreur politique car il suffit de regarder dans d’autres pays pour tirer les conclusions de leur règne, par exemple au Soudan avec Al-Bachir, en Turquie avec Erdogan, en Libye, en Afghanistan, et Daech, l’émirat qui les représente à merveille comme le prouvent les emails d’Hillary Clinton, etc. On voit clairement l’alliance entre Bouteflika et les islamistes dans l’article de loi de la honte, soit le 144 bis qui a instauré le dogme wahhabite, bizarrement activé par l’actuel président, Tebboune. Cet article porte les germes d’une vraie guerre civile en Algérie puisqu’il concerne plusieurs rites religieux : malékite, ibadite, ismaélite. L’article 144 bis tel qu’il a été conçu constitue la plus grande dérive religieuse connue dans notre pays. Il est une tentative claire des islamistes d’imposer leurs rites salafistes et wahhabites à toute la société algérienne.

Encore une preuve du danger que représente cette secte islamiste. L’Algérie n’est pas wahhabite et pourtant un salafiste wahhabite a fait condamner un musulman algérien à de la prison ferme sous le regard d’un Président qui se voit en arbitre dans un pays miné de partout. Selon la jurisprudence du prononcé du jugement en référence à l’article 144 bis, tous les Mozabites sont passibles de la prison puisque leur rite religieux ne reconnaît que quinze hadiths, donc ils sont en porte-à-faux avec cet article de loi qui fait d’eux des mécréants. J’ai personnellement adressé une lettre ouverte au président Tebboune pour lui demander d’annuler ce dangereux article qui mine la stabilité du pays.

Voilà ce que peuvent apporter les islamistes : que des divisions et du danger sur la stabilité du pays. J’ai, par ailleurs, appris qu’ils ont commencé à créer des camps où sont rassemblés des jeunes hommes ou des jeunes filles qui se retrouvent pendant un mois dans une villa sous prétexte d’apprendre le Coran. Comme si les millions de mosquées ne suffisent plus ! Il s’agit d’une forme d’organisation pour créer des adeptes extrémistes du Coran et ça va déboucher sur du terrorisme à un moment donné. La violence fait partie intégrante de la mouvance islamiste. Leur donner le pouvoir équivaut à se suicider et à détruire un pays stratégique dans la zone sud de l’Europe.

Aujourd’hui, le monde entier est conscient du danger que représentent les islamistes sauf Tebboune, qui les considère comme fréquentables, comme si les 250.000 Algériens tués s’étaient suicidés et n’avaient pas été assassinés par les islamistes du GIA, du MIA, du FIS et de l’AIS. Ce qui me choque dans cette orientation, c’est que l’Algérie tourne en rond et ne prend pas la mesure du changement qui se déroule autour d’elle. Ainsi, l’Arabie saoudite a abandonné le rite wahhabite et entamé des réformes religieuses audacieuses jamais égalées dans l’histoire de l’islam et dont l’Algérie devrait s’inspirer pour opérer une grande réforme qui doit nous débarrasser de cette mouvance.

Aujourd’hui, ils sont bannis dans leur fief et l’Arabie saoudite va bientôt devenir un pays laïc et l’Algérie fonce tête baissée tout droit vers un émirat de Daech ou un appendice de la Turquie, ce nouveau califat autoproclamé. Il me semble que nous faisons fausse route et que nous allons vers une perte de temps préjudiciable pour l’Algérie. Comment expliquez-vous le jeu trouble de la Turquie d’Erdogan en Algérie ? La Turquie, comme tous les Etats, cherche à défendre ses intérêts. Elle a mis en place une politique de reconquête de ses anciennes colonies de l’ère ottomane et elle a appelé cette politique le «néo-ottomanisme».

Les déclarations du président Erdogan sont là pour confirmer cette politique néocoloniale de la Turquie qui considère donc l’Algérie et d’autres pays qui ont été sous domination ottomane comme un bien perdu qu’il faut récupérer avec tous les moyens militaires comme en Syrie, en Irak, et en Lybie, ou politiques pour l’instant comme en Algérie et en Tunisie. Sa politique néocoloniale l’a menée à créer une armée de janissaires dont une grande partie est stationnée en Libye et qui menace la stabilité de la région. Je n’ai lu aucune déclaration faite par des islamistes en Algérie ou en Tunisie qui marquerait leur inquiétude par rapport à cette masse de terroristes stationnés en Libye.

Bien sûr, ce sont des valets de cette nouvelle croisade contre l’Algérie et les pays du Maghreb. La politique turque est expliquée par les politiques turcs eux-mêmes, Erdogan en tête, et est parfois défendue dans certains médias officiels algériens. C’est honteux. Erdogan n’est-il pas un danger pour l’Algérie ? D’après vous, existe-t-il un plan pour déstabiliser l’Algérie conçu par Erdogan ? Reconquérir l’Algérie considérée comme pays ottoman perdu est une réalité de la politique d’Erdogan et les intentions turques ne sont pas cachées, il suffit juste de suivre et de lire ce que disent les Turcs eux-mêmes. Leur travail en Algérie est visible et plusieurs indices le révèlent.

Bon nombre d’hommes d’affaires turcs envoyés en Algérie sont en réalité de simples officiers de renseignement, les activités de certaines entreprises turques en Algérie sont très douteuses et travaillent plus à l’infiltration de la société qu’à faire des affaires. Leurs relais dans la société algérienne sont la mouvance islamiste. Erdogan a un plan pour tous les pays d’Afrique du Nord. En Tunisie, sa politique est plus visible, et le même scénario se prépare chez nous. On le constate avec l’insistance de nommer des islamistes à la tête du gouvernement algérien. Cela s’inscrit dans le cadre de la turquisation de l’Algérie et, bien sûr, sur fond de discours nationalistes bidon.

Il s’agit d’une option contraire à l’intérêt de l’Algérie qui a besoin, au moment du déclin de la mouvance islamiste, de reconstruire son bloc nationaliste qui la protégerait à moyen et à long terme de toute dérive. C’est vital de redonner au pays sa force de frappe qui est le socle de son existence même. Les Turcs poussent vers l’alignement de l’Algérie sur le modèle tunisien en la mettant en crise permanente, comme on le voit chez nos voisins. Or, c’est contraire aux intérêts de l’Algérie. Les islamistes, nous les avons assez subis, même trop. Les Frères musulmans ne représentent-ils pas également un danger mortel pour l’Algérie ? Les Frères musulmans ont toujours rêvé de prendre le pouvoir en Algérie, pays qui a un potentiel économique et militaire énorme susceptible de leur assurer une domination sur d’autres pays moins importants.

Leur objectif n’a jamais changé, seuls les moyens d’y parvenir changent. Il ne faut pas oublier que les coups d’Etat font partie de leur stratégie comme cela est arrivé au Soudan et dans d’autres pays. Quand un coup d’Etat est en leur faveur, il est le bienvenu, sans oublier que les infiltrations font aussi partie de leur stratégie de pouvoir, comme on le voit très clairement en Algérie. Le danger que représentent les Frères musulmans, hormis leur idéologie néfaste et rétrograde, vient aussi de leur appartenance à une organisation internationale qui est infiltrée par des dizaines de services secrets étrangers. Chacun les utilise à sa guise et pour ses intérêts, comme le prouve la dernière lettre de leur «morchid», guide intérimaire, Brahim Mounir basé à Londres, et adressée au nouveau président américain pour se mettre à son service. Donner le pouvoir aux islamistes rejetés par le peuple dans le dernier scrutin, c’est mettre le pays en danger et le livrer comme une proie entre les mains de forces occultes dangereuses.

(A suivre) Interview réalisée à Bruxelles par Mohsen Abdelmoumen