Un ensemble qui se cherche toujours

Le Grand Maghreb

La région du Maghreb, qui comprend la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, est devenue l’une des frontières géopolitiques les plus instables au cours de la dernière décennie. Cette vaste zone habitée par quelque 95 millions de personnes – dont quatre-vingt pour cent d’entre elles en Algérie et au Maroc, enclavée entre la mer Méditerranée et le désert du Sahara, et séparant le sud de l’Europe du Sahel.
Le Maghreb est l’une des régions les plus conflictuelles de la planète, avec un large éventail de problèmes structurels : de la pauvreté à la corruption, le chômage, les inégalités économiques et sociales, le déficit technologique, le sous-développement de l’éducation et des infrastructures, l’insécurité alimentaire et le stress hydrique qui sera l’un des l’un des plus importants au monde d’ici 2040.

Rhétorique en faveur de l’intégration régionale
C’est depuis longtemps un axiome chez les gouvernants de chaque pays maghrébin de brandir leur engagement rhétorique en faveur de l’intégration régionale tout en étouffant souvent sans vergogne les principes et les perspectives d’unité. Le roi Mohammed VI du Maroc a mis fin à cette mascarade en janvier 2017 en proclamant devant les chefs d’État africains lors du 28e sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba que «l’Union du Maghreb arabe (UMA) est morte».
Dix mois plus tard à Abidjan, comme pour enfoncer le clou, le monarque a profité du 5e sommet Union africaine – Union européenne (UA-UE) pour diriger à nouveau son artillerie rhétorique sur l’UMA, cette carcasse putride d’une institution qui «n’existe pas».  Pour ceux qui s’accrochent encore ou prétendent se soucier du «rêve maghrébin» d’intégration, l’instinct est de crier au fatalisme, car l’effet «jeter l’éponge» éteindra les dernières lueurs d’espoir d’unité que les peuples du Maghreb pourraient encore partager. «Nous croyons toujours à l’intégration maghrébine pour des raisons historiques, culturelles, politiques et économiques», a déclaré le ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, en réponse aux propos du roi Mohammed VI.
La vérité déprimante, cependant, est que la complainte du Roi sur la disparition de l’UMA n’est que le reflet de l’humeur de résignation de plus en plus palpable au Maghreb ainsi que de la frustration croissante face à l’hypocrisie de ceux qui prêchent l’évangile de l’intégration régionale sans rien faire pour la concrétiser. Même la Tunisie, dont le président d’alors, Moncef Marzouki, s’efforçait encore en 2012 d’insuffler à l’Union maghrébine l’esprit d’unité ravivé aux premiers jours du printemps arabe, a changé de vitesse, se concentrant sur le renforcement de ses relations bilatérales avec ses voisins et, comme le Maroc, sur la poursuite de liens profonds avec les économies africaines en pleine croissance. Alors, comment en est-on arrivé à ce point de résignation ?
Quelle est la prochaine étape pour le Maghreb dans le paysage géopolitique durci actuel, de plus en plus déchiré par des intérêts multiples et divergents ? Les deux pays suffisamment conséquents pour ancrer le Maghreb restent à couteaux tirés. Le Maroc et l’Algérie ne s’entendent sur presque rien, et leurs querelles et récriminations n’ont fait qu’empirer. Malheureusement, les démons de leur discorde semblent peu à peu posséder leur propre public qui, par intermittence, se lance des insultes dans les forums des médias sociaux et les événements sportifs et de divertissement. Dans un rapport publié par MIPA Institute en 2020, Mohammed Masbah et Rachid Aourraz avancent que : «Le Maghreb est l’une des régions les moins intégrées politiquement et économiquement dans le monde. Les échanges commerciaux au sein de la région représentent moins de 5% de l’ensemble des échanges commerciaux extérieurs des pays du Maghreb, ce qui est bien inférieur à tous les autres blocs commerciaux régionaux dans le monde. Cette situation a des impacts négatifs majeurs. Un rapport de 2018 du Fonds monétaire international indique que la poursuite de l’intégration entre les pays du Maghreb a effectivement des répercussions positives d’un point de vue économique. Cela rendra la région plus attrayante pour les investissements directs étrangers, contribuera à réduire les coûts du commerce au sein de la région et soutiendra la mobilité des capitaux et de la main-d’œuvre. Cela augmentera également l’efficacité de l’allocation des ressources et rendra le Maghreb plus résilient aux chocs et aux fluctuations du marché.

UMA coquille vide
La lassitude du roi Mohammed VI face à l’état déprimant de l’UMA n’est pas une aberration. Après tout, tout le monde sait que l’UMA est une coquille vide, prisonnière de décennies d’animosités de voisinage, de jalousies mesquines et de rivalités perverses. L’hypocrisie des dirigeants maghrébins est bien établie, et leurs citoyens ne savent plus, ou pire, ne se soucient plus de ce qu’est cette institution.
Le romancier et journaliste algérien, Kamel Daoud, a réitéré le même avertissement en mars 2016 lorsqu’il a écrit que le Maroc et l’Algérie jouent avec le feu. En attisant les feux du nationalisme et du populisme, ils «fabriquent, avec les enfants en colère d’aujourd’hui, les troupes qui se feront ensuite la guerre demain». Le cri d’alarme de Daoud peut sembler apocalyptique, mais il reflète l’inquiétude croissante au sein des cercles intellectuels maghrébins, qui craignent que l’inimitié implacable entre le Maroc et l’Algérie ne devienne incontrôlable.
À l’heure où les postures inflexibles, les insultes incessantes et les sensibilités piquantes se multiplient, les étincelles potentielles prolifèrent. Les remarques désobligeantes d’octobre 2017 du haut diplomate algérien, Abdelkader Messahel, lorsqu’il a accusé les entreprises phares marocaines de blanchir l’argent de la drogue en Afrique, ne sont qu’un des nombreux exemples où le penchant irresponsable des dirigeants pour la vilification approfondit la discorde entre voisins.
Bien sûr, l’Algérie n’a pas le monopole exclusif de l’absurdité. En 2016, Hamid Chabat, l’ancien secrétaire général du parti de l’Istiqlal (Indépendance), a provoqué une dispute diplomatique avec l’Algérie et la Mauritanie en accusant la première d’être un pays colonialiste qui «occupe toujours Tindouf, Hassa Massoud et Bechar ainsi que d’autres provinces qui sont à l’origine, marocaines» et en qualifiant la seconde de «territoire marocain».

Intégration régionale impossible
Jusqu’à présent, les efforts d’intégration de l’UMA ont été, au mieux, ternes. Une raison importante en est la rivalité politique régionale entre le Maroc et l’Algérie. Bien qu’ils soient voisins, l’Algérie et le Maroc n’ont pas partagé de frontière franchissable depuis 1994. Cette situation est le résultat d’une attaque terroriste sur le sol marocain, dans laquelle le Maroc a accusé l’Algérie de jouer un rôle dans l’attentat et a réagi en imposant des obligations de visa aux touristes algériens. Cet incident fait suite à l’invasion du territoire algérien par le Maroc en 1963 dans le but de redessiner ses frontières et de tensions durables au sujet du Sahara occidental.
En dépit d’une culture, d’une histoire et d’une religion communes, les gouvernements du Maghreb se sont plutôt concentrés sur leurs différences. L’absence de volonté politique et les différents intérêts nationaux contribuent aux résultats décevants de l’UMA. Comme leurs homologues de la SADC, les pays du Maghreb montrent une réticence générale à transférer des pouvoirs à des institutions régionales qui réguleraient le commerce inter-régional et aideraient à résoudre les impasses politiques dans la région. En conséquence, le dernier sommet de l’UMA auquel ont participé tous les États membres a eu lieu en 1994. À ce jour, seuls six des plus de 30 accords ont été ratifiés par les cinq États membres.
Ces six accords portent sur la création de la Banque maghrébine d’investissement et de commerce extérieur, sur l’échange de produits agricoles, sur l’encouragement et la garantie des investissements, sur le transport terrestre de passagers et de marchandises, sur la quarantaine agricole et sur les règles visant à éviter la double imposition et l’impôt sur le revenu.
L’impasse politique actuelle entre le Maroc et l’Algérie, couplée à l’instabilité politique persistante en Libye depuis 2011, a rendu difficile la résolution des conflits régionaux et l’approfondissement des relations économiques. La coopération économique s’en trouve réduite, les échanges transfrontaliers sont faibles et les tarifs douaniers entre les pays du Maghreb sont plus élevés.
Mohamed Chtatou
A suivre …