Quel rôle pour la presse nationale ?

Dangers et défis de l’heure

Dans un contexte de levée de boucliers inédit, où le branle-bas de combat est sonné, où ceux qui président aux destinées de notre pays sont déjà parés à toutes les éventualités pour défendre notre intégrité territoriale, ceux qui ont manqué d’écouter le président de la République, à maintes reprises, et à sa suite, tout récemment, le chef d’État-Major.

Quand ils ont mis en avant le rôle éminemment politique et de défense nationale de la presse dans sa contribution complémentaire, nécessaire et attendue, au renforcement de la cohésion nationale et au resserrement des liens entre les enfants d’une même patrie ; rôle que seule la presse nationale, aguerrie depuis des années aux enjeux de pérennisation de l’Etat national et aux dangers des complots qui sont ourdis périodiquement contre notre pays ; ceux-là qui n’ont pas prêté toute l’attention à ces propos engagés et fort responsables, ne donnent pas la juste mesure de ce que la presse, mise en condition d’accomplir sa mission, peut accomplir.
Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder dans le rétroviseur national, pour retrouver l’épopée médiatique de la presse contre le terrorisme, ses fous et ses armes dans les années de feu, et retrouver également l’engagement inconditionnel de cette même presse et ses femmes et ses hommes, dont beaucoup ont consenti le sacrifice ultime, et contribué, par leurs plumes et l’aura qu’elle a pu leur conférer auprès des millions de leurs frères et soeurs, à préserver la République d’un devenir que Dieu, dans Sa Miséricorde, nous a épargné.

Le prince et le marchand
Que dire alors de cette perception, à l’origine souvent de décisions, qui réduit la presse nationale, avec tout son potentiel politique et idéologique, son ferment culturel et intellectuel, sa capacité d’écoute et son répondant sociologique, ses élans mobilisateurs dans les moments épiques qui traversent, périodiquement, la nation, à sa vocation commerciale et marchande ? Une vocation que la presse n’a pas et n’aura jamais.
C’est ce que le prince appauvri, comme le rapporte l’histoire, dit un jour au marchand qui le considérait, en dépit de son dénuement, sous l’angle du profit. « Vos chances de me fiscaliser sont très minces ; la seule richesse que je recèle en moi c’est la noblesse que me confère mon attachement à la terre de mes ancêtres.»
A revenir, de triste mémoire, au souvenir de la campagne inélégante de dénigrement de la presse nationale qui a été menée, tambour battant, il y a trois ans, par le responsable d’une entité publique de communication, nous ne voudrions pas voir de nouveau émerger ce passé et ses pratiques, qui ont eu leurs acteurs mal avisés pour certains et mal informés pour d’autres.
La presse a une tutelle qui lui trace la voie à suivre et s’efforce, dans la transparence et l’ouverture d’esprit, de communiquer avec tout le monde, dans une perspective constructive. Elle ne saurait poursuivre dans cette voie, si ce rôle est pris en charge dans une sphère inappropriée et non habilitée, qui ne peut accaparer une autorité qui est celle de la seule tutelle, et encore moins quand cette responsabilité appartient à l’autorité fiscale.
N’importe quel comptable qui a eu à gérer les comptes d’un journal sait pertinemment que les charges fiscales et parafiscales dépassent les 60%, sans compter les autres charges, cela surtout que le modèle économique qui permet de viabiliser l’activité consiste dans la seule publicité institutionnelle, manne unique qui doit payer les salaires, permettre de s’acquitter de toutes les charges, tout en allant en partie à l’épuration des dettes et des échéances.

Une volonté politique
forte et intacte

Ceci pour dire que n’était la volonté politique de faire vivre la presse, il n’y aurait plus un seul journal sur la place, la seule différence serait alors dans l’ordre de succession des annonces nécrologiques des titres.
Le tenant de cette volonté politique, aujourd’hui, est le Président, qui a conscience que le multipartisme rime avec pluralisme médiatique, même s’il croit également, dur comme fer, que cette diversité ne doit pas être source de discorde, mais plutôt d’enrichissement et de cohésion, avec une presse qui fait front uni quand il s’agit de défendre les intérêts supérieurs du pays contre les ennemis de l’intérieur et les ennemis de l’extérieur.
L’euphorie à laquelle avait donné lieu l’avènement des réseaux sociaux comme gage d’un acquis libertaire irréversible pour les sociétés et comme lieu d’échanges médiatiques qui se substituerait aux médias classiques, a vite donné lieu, a contrario, à un désenchantement généralisé à travers lequel se révélait à la face du monde le danger que représente un espace ouvert, sans régulation, sans garde-fous, sans balises éthiques et déontologiques, et sans frontières qui définissent les critères et les règles de préservation des intérêts nationaux des Etats et des communautés nationales.
Même les grands Etats dits de tradition démocratique qui défendaient l’ouverture qu’imposent les réseaux sociaux, ont vite fait de faire marche arrière, se rendant compte, à leur corps défendant, que l’opinion qui se constitue dans l’inintelligence, la manipulation et l’absence de concertation est une opinion dévastatrice, créatrice de chaos (chaos créatif pour les destructeurs).
La marche arrière n’est ni possible ni recommandée, mais la régulation, elle, est faisable et l’un des instruments de la régulation des réseaux sociaux, est la presse qui détient les clés de la parole sensée, du discours constructif et de la cohésion sociale et le contre-discours du chaos ; elle rejoint parfaitement en cela le discours politique responsable, elle qui dénie même parfois à l’opposition son droit de s’opposer quand il s’agit de défendre le pays contre un ennemi invisible ou de l’extérieur.

Chacun son rôle, et la presse est… mieux gérée

Quand une décision est prise, dans un espace subalterne, qui contrarie et compromet la cohésion et la cohérence de la politique de la tutelle, c’est à chaque fois un caillou que l’on met dans les chaussures du responsable, et des bâtons dans les roues de la presse au nom, dirait-on, de l’intérêt public.
Pourtant, l’intérêt public, pour le cas de la presse, ce ne sont pas les considérations commerciales ou fiscales, dont les autorités en charge, au demeurant, défendent bien la prise en compte avec leurs interlocuteurs de la presse. L’intérêt public, concernant la presse, a été déjà cerné, défini et précisé dans les propos du chef de l’Etat, et sa concrétisation dépend de la manière dont on pourra amener cette presse, volontariste et engager, à sortir de sa misère commerciale et fiscale, pour appréhender, dans l’éthique et l’engagement politique, les grands enjeux nationaux qui engagent le devenir de la nouvelle Algérie.

Par Ahmed Rehani