Au royaume du pétrole, l’Algérie est borgne…

La mentalité rentière est indécrottable. Mohammed Arkab, le ministre de l’Energie rayonne d’une satisfaction paradoxale de voir se réaliser un accord OPEP+ où notre pays vient de s’asseoir sur 240.000 barils/jour… Cette immodestie caractéristique de l’insouciance rentière dont seul l’étourdi peut s’accommoder résume l’impasse de souveraineté qui contente les rentiers. Au pays des Tintins algériens de l’or noir, l’amateurisme politique ne vaut guère plus qu’un baril à 20 dollars. Paradoxalement, les seuls à avoir le triomphe modeste sont les Saoudiens. Les « Bédouins » viennent d’enseigner aux Russes et aux Américains une leçon d’orthographe sémitique ponctuée de ses points, en les mettant vigoureusement sur le « i » du mot « pivot » du marché des hydrocarbures. Et d’administrer une leçon originale d’application aux relations internationales de la physique des fluides, en convoquant Archimède de Syracuse. « Tout corps plongé dans du pétrole, subit une force verticale de bas en haut opposée au poids du volume de fluide déplacé ». L’Arabie saoudite s’en prévaut car elle possède les réserves prouvées de sa démonstration et agit en conformité rationnelle de ses potentialités en échappant à la force gravitationnelle que cherche à exercer sur elle les Etats-Unis. La meilleure preuve en est qu’elle s’extrait par le haut de la guerre au Yémen en dépit de l’opposition des USA. Et la Sonatrach, reine de l’exportation du Nafta à tout va, pétrole léger d’un bonus additionnel de 75 cents par baril dont elle se vantait (pour mieux faire l’économie d’une réflexion sur une pétrochimie moderne de la plus-value) que cherchera-t-elle à vendre au peuple algérien ?

Admirons la Sonatrach dans son effort musculaire loin de toute assistance fossile, lorsqu’elle effectue un rétropédalage, à la seule force de son changement de stratégie, contrainte par un marché plombé par la décroissance chinoise, un virus plus malicieux que malin et accessoirement… un homme… le Président Si Abdelmadjid Tebboune qui avait pourtant prévenu ceux qui voulaient bien l’entendre d’un programme anti-rentier. Le « Hirak béni » et le Corona salvateur sont pour le moment les deux seuls moteurs fonctionnels des réformes en Algérie, alors que la Sonatrach, découvre stupéfaite, l’intérêt des énergies renouvelables passées avec armes et bagages au ministère de l’Environnement tant elles se morfondaient à celui de l’Energie. Notre championne nationale, SH pour les intimes, se décide malgré elle, à réduire de toute urgence sa voilure, dans l’espoir d’éviter que les rafales qui soufflent violemment sur un océan d’incertitudes n’emportent son navire amiral pétrolier. Les forts courants provoquant les dérives du partage du bonus du baril léger algérien entre coquins et copains seraient-ils en voie d’extinction progressive ? A entendre le ministre de l’Energie – un enfant du gaz, réputé plus propre au sens premier comme au sens figuré – la Sonatrach ne nous mènera plus en bateau ! Et de nous promettre une raffinerie en 2021 que nous attendions depuis… quarante ans à Hassi Messaoud. Il est dit en toute ingénuité que la production ainsi transformée à partir du Nafta, permettrait de mettre définitivement fin aux importations du carburant diesel. Le Trésor public, qui pour certains intermédiaires n’aura jamais mieux porté son précieux nom, les finances à hauteur de deux milliards de dollars par an depuis des lustres. Force est de constater que ce sont les plus hautes autorités du pays qui affirmèrent bien silencieusement cette option pour nourrir une dépendance croissante à ce carburant de la pollution à la plus grande joie de l’industrie automobile française championne européenne de ce type de motorisation. La complémentarité des postures économiques des deux côtes de la Méditerranée n’ayant bien entendu aucun lien de cause à effet. Nous voici donc prisonnier de deux courants commerciaux à l’import comme à l’export et de relations internationales obligées au nom d’un autre credo de la rente, de nature diplomatique celui-là, parfaitement résumé par son ex-publicitaire et ministre des Affaires étrangères Ramdane Lamamra, le promoteur d’une Algérie « exportatrice de stabilité » à défaut d’intelligence, avec tout ce que cela comporte comme renoncement ambigu d’indépendance souveraine.

Les derniers soubresauts d’un monde finissant ?
Nous aurons donc une raffinerie produisant des carburants à Hassi-Messaoud et si ce n’étaient la sincérité du Président Si Tebboune en conjonction de la défaite confirmée des forces rentières nichées au sein d’appareils sécuritaires – en pleine restructuration depuis le «Hirak béni » et dont nous vivons ces derniers jours les répliques secondaires – nous aurions beaucoup de mal à croire à une énième annonce des Tintins algériens du pétrole, sur lesquels il est impensable de compter, pour sortir de terre et des cartons vermoulus, ce projet de troisième âge dont les manœuvres pour le retarder n’ont eu d’équivalent en sophistication que des raffineries d’un autre genre, celles de la trahison de nos élites technocratiques. Ce n’est pas tout. Le ministre de l’Energie, jure qu’à Tiaret une autre usine d’une capacité de 5 millions de tonnes par an (environ 100.000 barils/jour) crachera le feu en 2023 aux fins de réduire l’exportation de brut. Nous en déduisons avec d’énormes précautions que s’ouvrirait une nouvelle époque de vapocraquage des oléines type éthylène, propylène, butène, butadiène qui ont fondé une croissance exceptionnelle à l’échelon mondiale des matières dites intermédiaires chimiques pendant ces trente dernières années. Sauf en Algérie, qui en fut sciemment écartée par la volonté de ses « dirigeants éclairés », tombant avec délice dans les pièges dorés tendus par les tenants de la segmentation de la division internationale de l’énergie, qui fit de notre pays, un fournisseur de pétrole brut au profit de ses clients acheteurs, dont il serait d’un grand intérêt de nous dévoiler la liste ainsi que les quantités enlevées. Ces informations, sont aussi précieuses que celles relatives aux personnes qui ont contracté des prêts par milliards de dollars auprès de nos établissements bancaires sans jamais les rembourser.

Sommes-nous totalement rassurés ? Presque !
Un léger doute nous traverse lorsque le ministre de l’Energie s’appuyant sur la nouvelle loi sur les hydrocarbures espère voir les grandes compagnies internationales s’intéresser à l’amont pour forer toujours plus de pétrole là où il faudrait creuser pour plus d’imaginations. Commençons par des règles simples ! Que nous coûte un baril de pétrole, en ces temps de disettes où la Sonatrach racle les fonds de tiroirs alors qu’en 2018 elle annonçait triomphalement 50 milliards de dollars d’investissement ? Décidément, nous ne cesserons d’admirer la justesse prévisionnelle des Tintins algériens de l’or noir… Un puits de forage à 3.500 mètres de profondeur se réalise en quinze mois dans le meilleur des cas, alors qu’en 1971, au temps des nationalisations de la fierté nous arrivions avec des technologies moins évoluées à le produire en 45 jours. Nous abandonnons volontiers au lecteur intelligent l’appréciation des critères d’évaluation du coût du baril de pétrole, dans les conditions décrites de sa production que la Sonatrach nous sert sans sourciller.

Les premiers frémissements du monde de demain ?
Il est nécessaire d’exiger de la Sonatrach qu’elle passe – avec ce qui lui sert d’Etat-Nation serpillère sur lequel elle essuie ses bottes gluantes de pétrole et de dollars – un contrat de performance et d’imposer à cette entreprise, à directions successives dilettantes, une clause de « cost stop » afin de l’obliger par une politique fiscale de très grande spécialisation à produire à défaut de rationalité au moins un peu de bon sens économique. Il y a beaucoup à faire avant de se ruer tous azimuts vers l’amont pétrolier. Entre gérer rigoureusement des dépenses pharaoniques, éteindre les torches qui brûlent 7% de notre énergie et au passage quelques scandales de la corruption par milliards de dollars, produire de l’ingénierie localement, intégrer des industries parapétrolières de manière planifiée et systématique, il n’y a que l’embarras d’un choix vertigineux pour baisser des coûts d’exploitation dont nous détenons un triste record. Nous mesurerions alors bien mieux l’intensité de notre effort d’exploration amont qui nous semble largement surévaluée pour des raisons de distorsions internationales alors que d’immenses gisements financiers jamais exploités, issus d’une gestion rigoureuse d’une part, d’un modèle économique de la performance et de l’intégration industrielle d’autre part et enfin d’un travail appliqué et patient ne demandent qu’à être mis en valeur. Sonatrach n’est plus en position de dicter au peuple algérien son devenir énergétique car la confiance politique en cette entreprise est depuis longtemps rompue. Il serait par contre de salubrité publique d’instituer une Agence Nationale de la Sûreté Energétique, à l’image de celle de la santé, aux prérogatives juridiques supérieures à la Sonatrach et à son secteur dont les turpitudes font de nous, à l’échelon international un borgne au royaume du pétrole. Nous sortirons alors de la cécité qui caractérise ce domaine sensible d’importance militaire de premier ordre – qui finira par laisser notre défense nationale en panne de carburants en bradant jusqu’aux dernières gouttes de nos réserves souterraines – pour enfin découvrir les enjeux stratégiques de la chimie verte, levier de la modernisation de notre agriculture. Dans le pays du soleil éclatant, seuls les aveugles pensent que l’énergie sera prise en défaut alors que nos poubelles débordantes de pains rancis d’un dysfonctionnement rentier, confirment avec force que notre sécurité alimentaire se trouve à risque à chaque instant tant les impondérables du marché international iront grandissants et nos potentiels fossiles décroissants. Les Occidentaux et les Asiatiques s’engouffrent puissamment dans les directions de la chimie écologique du devenir. Au Brésil, aux Etats-Unis, en Europe, en Malaisie, pas un seul carburant d’origine fossile ne se commerciale sur leurs marchés sans intégrer 10% de bioéthanol ou de biodiesel d’origine agricole. Les productions de maïs, de canne à sucre, de betterave sucrière ou de palmiers à huile sont ainsi écrêtées de leurs excédents, en s’orientant massivement vers leur transformation en chimie verte, dont l’intégration aux molécules de la pétrochimie classique n’est qu’une étape transitoire à la sortie programmée d’un monde carbone dont Covid-19 nous annonce le décès en raison de nos empiètements irresponsables sur la nature. Allons-nous à nouveau rater une occasion historique de nous mettre au diapason de la modernité ? Nos potentiels oasiens sont les mieux adaptés à notre environnement désertique pour une agriculture de la coplantations diverses et variée entre palmiers dattiers pouvant s’étendre à l’infini dans nos terres arides pourvu que l’on mette à disposition de notre paysannerie du savoir-faire ancestral une eau souterraine abondante. Rien si ce n’est l’obstination têtue et criminelle des forces rentières ne nous empêche d’exploiter les productions de dattes de faible qualité, prometteuses d’une filière capable à terme de générer des millions de tonnes de sucre, pour un secteur originale et puissant de l’éthanol à usage de carburant participant à la substitution d’énergies fossiles aussi bien dans le secteur du transport que dans celui de la génération électrique. Au moment où nous nous décidons enfin à nous engager, à l’issue d’un mouvement social éclatant de responsabilité et de maturité dans la pétrochimie, s’ouvre devant nous une perspective stratégique agro-énergétique basée sur le palmier dattier, assurant sécurité alimentaire et sécurité énergétique liquide, en intégration d’un puissant levier socio-économique aux dividendes politiques évidents afin de hisser notre pays au rang des Nations dont l’avenir n’est pas figé dans le marbre des volontés iniques des grandes puissances de ce monde.
Brazi