Philosophie de la dépense, politique de l’économie

Actuel

Le coût de notre brut se situe à une moyenne élevée de 14 USD/baril. Au moment où l’industrie des huiles de schiste s’effondre aux Etats-Unis en raison d’une rentabilité rédhibitoire à 40 USD/baril, nous mesurons à l’occasion de l’écroulement systémique de notre pétrole du renoncement, la malédiction qui nous aurait attendue si d’aventure l’option du schiste avait été promue en Algérie. Ce débat est donc définitivement tranché. Un rideau de fumée supplémentaire éteint, comment sortir d’une guerre de 40 ans, menée contre notre peuple par les seigneurs de l’exportation du brut qui peuplaient une partie des hautes travées de notre appareil militaro-sécuritaire en décochant leurs flèches enflammées à partir des étages supérieurs du siège de la Sonatrach ? Cela dépendra du rapport de force politique que le « Hirak béni » sera capable d’imposer aux incendiaires et à leurs alliances internationales rodées à la mise à sac des pays dominés. S’ouvre devant nous, une fenêtre historique de prix bas, pour au moins deux années, opposant à l’exception pétrolière dépensière, la généralisation économique des énergies populaires, seules capables par la transcendance politique et le partenariat international d’un développement qualitatif.

Cheikh Zaki Yamani, ministre du Pétrole de l’Arabie saoudite entre 1962 et 1986 avait vu juste. Avec une sagacité toute bédouine, il répétait à qui voulait l’entendre que « de même que l’âge de pierre ne s’était pas terminé par manque de pierres, l’âge du pétrole ne s’achèvera pas avec le manque de pétrole » ! Il est un fait que l’âge du bronze, celui du fer, du charbon ne se sont jamais éteints en raison d’une pénurie de minerai. Cette réflexion vient éclairer d’une lumière crue la découverte tardive par les stratèges de la Sonatrach que le marché de l’or noir, en perpétuelle croissance de ses volumes, n’a toujours pas atteint un mythique pic pétrolier, monstre du Loch Ness dont la multitude s’entretient mais que personne n’a jamais vu. Dupé par les manipulateurs du commerce du pétrole, voilà donc SH, confrontée à de nouveaux acteurs pétroliers essentiellement africains dont les besoins socio-économiques les transforment en féroces concurrents. Ce constat accentue la guerre des parts de marché et oblige les anciens intervenants pétroliers à aller chercher des marges de rentabilité dans leurs productions.
Car désormais, l’ère de la philosophie de la dépense dispendieuse de nos ressources est révolue alors que s’ouvrent les vannes des prix bradés. Nous sommes, au grand dam des forces réactionnaires de la rente différentielle, engagés dans la recherche frénétique de gisements financiers aux fins de réformer un appareil économique en panne du carburant des activités vivifiantes de la valeur ajoutée. Il s’agit dans un premier temps de réduire nos frais de fonctionnement. Chaque dollar économisé sur notre coût de revient de 14 USD/baril équivaut à 350 millions de dollars d’augmentation de nos marges financières. Aussi, il est essentiel de savoir si ce chiffre de 14 USD/baril s’exprime en tête de puits pour refléter le coût de sa prospection et de son forage ou en FOB pour indiquer celui de son enlèvement. Il est indispensable de ventiler ce ratio qui n’indique rien en lui-même de la performance de SH, si par ailleurs nous ne savons pas grand-chose du prix de la prospection par baril produit, du mètre linéaire du puits foré, du mètre cube transporté et de ce qu’il nous dit des charges d’investissements, d’exploitation, de maintenance, le tout exprimé en USD/baril.

Pour des indices de la performance de Sonatrach !
Et puisque Mohammed Arkab, le ministre de l’Energie informe de sa disposition à la transparence des chiffres pour ce qui concerne la Sonatrach (dont acte !), il serait opportun d’établir des indices qualitatifs de la performance de cette entreprise pour mieux mesurer les actions qu’elle se complait à n’étaler qu’en termes quantitatifs insipides, de réserves prouvées, de volumes de productions et de quantités exportées. Ces chiffres expressifs de la mentalité rentière ne nous entretiennent pas des conditions d’optimisation économique des activités de la SH, celles liées à son propre mérite et non pas celles attachées à la nature de son industrie. Ce n’est qu’une fois engagées les reformes d’une politique de l’économie, d’au moins 5 USD/baril, d’abord appliquée à la Sonatrach du gaspillage tous azimuts, que nous serons en mesure de solliciter notre peuple d’efforts équivalents, dans sa surconsommation d’énergie en agissant sur son modèle énergétique (par la promotion radicale du GPL par exemple) mais aussi sur les prix. Aussi, face à la concurrence exacerbée sur le segment pétrolier, au rétrécissement des revenus en raison de la dépréciation continuelle des prix des matières premières et au contraire à l’appréciation tendancielle de l’investissement productif et de sa maintenance, la Sonatrach de la performance médiocre, n’a d’autres choix que d’aller vers plus d’exploration pour espérer maintenir ses marges.
Et elle serait restée prisonnière de cet effet de ciseaux des courbes inversées si le « Hirak béni » n’était venu dans un mouvement social anti-rentier mené par sa jeunesse avec pour soutien l’ANP, sur fond de rébellion des classes moyennes, cisailler les positions indéboulonnables depuis 40 ans des seigneuries locales du pétrole. Aussi, l’annonce de la signature de mémorandum d’entente avec Chevron et Mobil démontre au moins deux choses. D’abord, les grands groupes reviennent à des gisements classiques et sont guéris de la fièvre du gaz de schiste. Ensuite, la Sonatrach n’a d’autres choix que de servir aux majors une table alléchante de ses réservoirs aux ventres arrondis et de ses confortables débattements fiscaux de la dernière mouture de la loi sur les hydrocarbures, inspirée de nos insuffisances financières, technologiques et organisationnelles.
Mais en l’état de notre faible productivité, cela n’est pas en soi une mauvaise idée à condition que les revenus que nous obtiendrons de nos bas de laine sous forme de blocs miniers, soient impérativement consacrés au financement de la transition énergétique et de la réforme pétrochimique. Nous souhaitons attirer l’attention du lecteur attentif sur les risques d’utilisations de technologies nouvelles aussi bien dans le domaine de la réinjection de charges innovantes dans les puits que de techniques de fractionnements des roches mères de Hassi-Messaoud, seul gisement géant à notre disposition, au prétexte d’une plus grande récupération d’huiles. Nous serions exposés à la perte sèche de quantités étalées sur un temps plus long, en raison d’équilibres délicats de pression des réservoirs, pour engranger de chiches bénéfices sur le temps court. L’étreinte exercée sur la Sonatrach par le mouvement social en contexte de réserves de change désormais comptées, ne doit pas pousser aux aventures technologiques qui ne seraient pas suffisamment éprouvées ou contextualisées à la géologie particulière de Hassi-Messaoud. Mais alors ou trouver rapidement des marges de manœuvre monétaires ?

La fin de notre renoncement à la pétrochimie ?
Cette précaution prise, se situent en tête des dépenses à juguler, les importations insensées de diesel à hauteur de 2 milliards de dollars. En janvier 2020, soit un an après le « Hirak béni », un contrat de 3,7 milliards de dollars a été signé pour une raffinerie à Hassi-Messaoud. Elle traitera 100.000 barils par jour grâce au consortium Tecnicas Reunidas et Samsung qui promet de livrer en mars 2024, 2.659.000 tonnes par an de gasoil, d’autres quantités de carburants aux normes Euro V mais aussi du butane et du propane ouvrant ainsi la voie à leurs utilisations en synthèses industrielles dans le secteur aval. Cette raffinerie vient avec trente ans de retard répondre à la déstabilisation du marché algérien débordé par les impératifs de Total cherchant à se débarrasser de ses productions de diesel, poussant l’industrie automobile française dès le début des années 1970 à s’orienter vers ce carburant de la pollution. Et par contre-coup, Paris, sûre de sa domination économique d’ex-puissance coloniale, de l’imposer en Algérie… dès le décès du Président Boumediene, alors que nos propres raffineries étaient formatées pour la production d’essences dites « normale » et « super » !
La diésélisation du parc automobile, spécialité française a entraîné la nôtre, créant des liens de dépendance favorisés par la promotion du diesel par des milieux intéressés qui peuplent les couloirs du ministère de l’Energie et de celui des Finances. Cela est reflété par notre structure des prix ou le diesel de l’importation se retrouve plus subventionné que nos carburants de fabrication nationale ! Les dépenses pharaoniques occasionnées par l’importation du diesel et sa subvention douteuse, sont une parfaite expression technocratique d’une ultime manœuvre de diversion du « pré-carré pétrolier » pour retarder, par la dilution de nos ressources financières limitées, la nécessité impérieuse d’investissements capitalistiques dans le secteur stratégique de la pétrochimie. Aussi, en période de raréfaction de nos devises et en attente d’investissements étrangers incertains, nous sommes d’avis de rééquilibrer sérieusement les prix de nos carburants pour stopper d’ici à 2025 l’accroissement de nos importations diesel et concentrer notre effort sur la création d’une puissante industrie pétrochimique.
La discussion sur les prix de nos carburants mérite un article à part (dès la semaine prochaine inch’allah) tant les forces rentières cherchent à semer la confusion en menaçant de supprimer les subventions alimentaires, si d’aventure, les forces patriotiques du redressement national venaient à toucher à « l’équilibre » des prix des carburants. A l’avantage de la pétrochimie, celle majeure, d’expulser les commissionnaires de l’exportation du pétrole et de l’importation du diesel (ce sont les mêmes !) qui, désormais, représentent avec leurs relais locaux une menace politique souveraine. En effet, la pétrochimie nécessite des quantités de pétrole importantes pour postuler à l’efficience économique, ce qui la place en situation de compétiteur redoutable de l’option pétrolière. Une planification à horizon 2025 (dans une expression optimiste) pour le projet pétrochimique stratégique de Tiaret nous semble contenir un agenda politique pariant sur la fin de carrière du Président Si Abdelmadjid Tebboune et un éventuel retournement des rapports de force au sein de l’appareil d’Etat au profit des cercles de la mondialisation. Il serait préférable de signer des contrats pour la pétrochimie des matières intermédiaires, immédiatement, au plus haut du « Hirak béni », pour ne pas manquer une énième fois la transformation du pétrole brut en molécules de l’industrialisation paralysée par des cercles puissants outre-méditerranée qui craignent la compétition de nos avantages comparatifs enfin libérés.
Il est urgent de tabler sur l’irréversibilité de partenariats financiers et technologiques gravés dans le marbre, prioritairement arabes et ou asiatiques. Nous briserons la division internationale de l’énergie dans laquelle nous fûmes enfermés par les forces du recroquevillement. Le Qatar, l’Arabie saoudite, la Chine, l’Allemagne, le Japon sont en disposition politique d’un tel partenariat. Nous sortirons alors du tunnel de 40 ans de manœuvres prévaricatrices des « pétroliers » grâce à la soudaineté de nos décisions portées par un mouvement social qualitatif qui prit le monde par surprise. Le temps de la transition énergétique, du solaire, de la convergence de la pétrochimie et de l’agriculture des biocarburants, en un mot de la politique de l’économie est venue. Cela se réalise car les sciences et les technologies sont suffisamment sollicitées par les évolutions sociétales et les consciences culturelles en émergence, pour considérer d’un regard nouveau l’ère du tout-pétrole comme une période de régressions dont nous devons absolument tirer les leçons en dispositions constitutionnelles pour que plus jamais la volonté dévoyée de si peu ne s’impose aussi longtemps au devenir du plus grand nombre de notre peuple méritant.
Brazi