Le rêve est gratuit

Ne m’en voulez pas

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Dans ce climat difficile, le coup d’État n’était pas une sanction contre un Homme, un seul, même si les langues se sont déliées et les plumes sont devenues remarquablement agiles, comme à l’accoutumée, dans pareilles circonstances. Ce qui s’était passé chez nous, en ce jour du I9 juin 1965, était véritablement une sanction contre un système, contre des hommes, pratiquement contre tous les responsables qui constituaient le pouvoir. Ainsi, pour l’Histoire – et il faut s’en convaincre –, il faut dire courageusement que personne ne pouvait faire mieux, en ce temps-là, même si des apprentis sorciers ont essayé de «broder» pour jeter la responsabilité sur un seul. Peut-être que d’autres, n’ayant pas cette fougue militante et le charisme du Président «déposé» auraient mené le pays vers le désastre, vers une crise plus grave et plus longue, vers une passe dont nous aurions subi de tragiques conséquences. Parlons encore de cette décision d’un certain mois de juin de l’année 1965. Le rêve nous le permet… Il nous permet d’aller plus loin encore pour dire qu’il n’était pas opportun, malgré tout ce qu’on nous a rabâché en ces jours de campagnes «convaincantes» où certains, parmi les grands ont exhibé leurs talents dans la persuasion «musclée». Une décision, disent les concepteurs, qui avait pour but d’assainir le climat, de reprendre la situation en main et de vaquer à d’autres programmes, autrement plus sérieux, plus consistants, qui s’inscriraient dans le futur pour un développement durable.
Ces mêmes concepteurs ont appelé cette action rapide, et presque inattendue au niveau du peuple, «le redressement» ou «le réajustement révolutionnaire», d’autres, les jeunes, connus pour leur fougue et leur honnêteté dans le propos, le «coup d’État militaire» classique, comme on en voyait dans tous les pays du Tiers-monde et principalement du Moyen-Orient, je l’ai dit. Ces jeunes ont eu du mal à accepter un «mouvement» qu’ils considéraient non conforme aux règles de la démocratie et de la gouvernance dans les pays civilisés. D’ailleurs, ils ont été toujours hostiles à toutes les sautes d’humeur des grands qui nous régentaient, à leur façon. C’est leur nature, et c’est tout à fait normal, venant d’une génération qui accepte difficilement ce que lui tendent les aînés, souvent enclins à plus de narcissisme et de brutalité dans les solutions de problèmes d’intérêt capital. Des voix s’élèvent dans la salle réclamant plus de précisions. Elles convergent toutes vers une demande expressive de savoir plus sur ce qui s’était passé, il y a bien longtemps, entre des frères d’un même combat, mais qui se sont déchirés et séparés à cause de leur avidité de pouvoir.
C’est alors qu’un homme, assez jeune, qui se rappelle ce jour-là, transcende le groupe, se dresse en son milieu et crie d’une voix qui porte : – Pourquoi ce coup d’État ? N’étions-nous pas assez faibles et altérés par de longues années de guerre pour en entamer une autre, encore plus difficile, celle qui devait nous mener vers des luttes fratricides, compliquées, qui laissent très souvent derrière elles des traces indélébiles ? N’y avait-il pas de sages dans le système qui auraient agi autrement par le dialogue et la conviction, ce procédé civilisé, au lieu de recourir à la dissuasion par les moyens forts, voire barbares, en descendant avec des chars pour ravir le pouvoir à un homme, un seul homme ? Ne sommes-nous pas en train de vivre les conséquences de ce dérapage politique, puisque nous avons ouvert grandement la porte aux conflits et aux chicanes ? Ce qui nous arrive aujourd’hui n’est pas le fruit de cette niaiserie d’hier qui, au lieu de nous réconcilier avec les bonnes manières qui nous rapprochent de la compréhension et de la complémentarité, nous a appris à régler nos problèmes avec une certaine exaltation, allant jusqu’à la violence et frisant même la barbarie ? Un sage – appelons-le ainsi –, barbe blanche, taillée convenablement dans le rite de notre bel Islam, entouré de quelques jeunes, aussi propres qu’intelligents – cela se lisaient sur leurs visages –, laisse glisser cette réplique : – En effet, notre pays n’avait pas besoin de cette intervention musclée. Le dialogue aurait été la meilleure solution et la sagesse aurait agi contre les fractures et leurs imbrications, comme elle aurait atténué beaucoup de confusions et d’amalgame. En bref, l’intelligence aurait été la bonne thérapie pour nous guérir de nos tourments.
Mais que voulez-vous, des exaltés comme nous, après une dure période de résistance, ne pouvaient ne pas se laisser aller au-delà de leurs forces. L’extrémisme devenait le seul exutoire pour se décompresser… il faisait partie de notre culture, hélas. Il fait synonyme de fougue, de ferveur et, quelquefois, d’enthousiasme ! L’artiste hoche la tête en signe d’approbation et reprend son monologue, encouragé par des questions qui démontrent tout l’intérêt de ces amateurs de vérité qui, avides d’informations, veulent en savoir davantage sur notre passé récent… ce passé qui reste controversé, selon les appréciations et les positions des uns et des autres. – Voyez-vous, un coup d’État n’est jamais bon ! Je l’affirme devant vous. C’est un procédé pas tellement recommandé car il n’a rien à voir avec les bons usages qui régissent la conduite des affaires publiques, dans des pays civilisés. C’est une façon de créer l’insécurité et la confusion, c’est une manière d’affaiblir les chances et les perspectives de croissance économique et de développement… Les propagandistes de ces formules pensent corriger le cours de l’Histoire avec la rapidité dans l’exécution et la capacité des moyens utilisés. Le peuvent-ils vraiment, quand de grandes déceptions s’installent chez certains et que des marques inaltérables demeurent ad vitam æternam chez d’autres… ? Oui, le peuvent-ils vraiment, lorsque tout un pays est bouleversé, tant au niveau de ses structures qu’au niveau de ses cadres et responsables ? En tout cas, un coup d’État n’est jamais le bienvenu dans une République qui se respecte, au milieu de citoyens qui tiennent à leur stabilité, car on a l’impression qu’il y a eu un rapt, une subtilisation de passé, un détournement de conscience, une escroquerie politique et une réduction de liberté… L’oracle fut accompli, chez nous, en ce 19 juin, en l’absence d’une démocratie traditionnelle et effective.
Les structures du parti – devenues de facto, structures honnies, puisqu’elles appartenaient «déjà» à l’ex-régime – furent priées de «fermer boutique», les textes, comme la Charte d’Alger et la Constitution, furent envoyés au «débarras» pour tenir compagnie aux reliques de l’Histoire, et des responsables, connus pour être des «durs», ont pris la clé des champs quand ils n’étaient pas sous de «bonne garde». Les organisations de masse furent mises en veilleuse quand elles n’étaient pas, purement et simplement, décimées. Les quelques activités de circonstance, qu’elles entamaient, faisaient l’objet de contrôle sévère et d’obstruction incompréhensible. Le Conseil de la Révolution, l’instance dirigeante après ce coup d’État, gérait avec rudesse et n’entendait point laisser le parti lui grignoter quelques prérogatives. C’était la fin d’un régime clamé fougueusement avec «un peu trop de véhémence», au lendemain de l’indépendance. C’est à partir de ces constats que la culture partisane ne trouvait plus d’adeptes auprès du peuple et des responsables. C’est pour cela également que l’écart qui s’était creusé entre les deux pôles a fini par avoir raison du parti libérateur qui, dans la tourmente que lui ont imposée les nouveaux chefs du pays, s’était réfugié dans l’isolement. Et là, il connut sa disgrâce et fut marqué à jamais pour devenir, après sur le terrain et dans les faits, non pas le parti au pouvoir, comme affublé aujourd’hui, mais l’instrument et, plus tard, quand on allait choisir le «bouc émissaire», l’alibi du pouvoir.
La salle est tout ouie. Personne ne bronche. Personne ne gigote. Tous écoutent avec intérêt ce qui se dit, notamment sur cette époque, par trop contestée et chahutée. Les jeunes veulent savoir plus que les autres… ces autres qui ont vécu ces événements, dans l’indifférence, peut-être, mais qui les ont vécus quand même, dans leur intégralité, dans leur tonalité et leurs nuances… Un jeune, parmi ceux-là qui suivent attentivement ce discours, se lève et, imperturbablement, déclame de tout son soûl, comme cet acteur des temps anciens : – D’accord, le coup d’État n’est jamais une bonne chose. Ce n’est pas un acte de gens civilisés. C’est une escroquerie politique, comme vous l’avez si bien dit. Mais que s’est-il passé après ? Étions-nous mieux qu’avant ? Avons-nous accédé au bien-être «psalmodié» par tous les dirigeants lors de leur prise de pouvoir ? Et les jeunes ont-ils eu leur part de sollicitude et de considération, comme promis dans les discours séduisants et flamboyants ? Et enfin, notre pays, a-t-il subi ce qu’il a toujours souhaité, c’est-à-dire cette transformation qualitative pour laquelle il a longtemps combattu ? Un grand silence s’instaure dans la salle. Tout le monde se regarde. Tout le monde attend. Le jeune qui vient de s’exprimer a posé, comme il se doit, le véritable problème. Quand à l’artiste, toujours debout au milieu de l’assistance, se pavanant comme pour dire qu’il a toutes les réponses, ne s’embarrasse d’aucun préjugé pour aller encore dans un autre commentaire plus illustratif et diversement plus édifiant. Il débute ainsi son autre monologue : – Et vint la seconde période. Une «ère nouvelle», disaient les responsables en charge de la toute fraîche direction politique. Une ère où le sérieux prenait place dans tous les rouages de l’État pour stimuler le labeur et inciter les travailleurs vers l’efficacité et le rendement. Mais est-ce vrai, toutes ces bonnes paroles ? Et le peuple croyait-il à toutes ces promesses ? Pour être sincère, il faut dire que le peuple n’avait aucune intention de croire ou ne pas croire aux engagements qui lui étaient clairement signifiés, par de nombreux discours qui se faisaient çà et là, par des «porte-voix», convenablement préparés. Le peuple était encore groggy par cette frustrante décision du changement par la force. Il fallait le comprendre… il sortait à peine de la guerre de libération nationale pour se retrouver encore une fois sous la pression d’un autre régime qu’il tenait pour impérieux et dictatorial. C’était ce qu’il pensait en ces débuts du nouveau règne et c’était dur pour lui de signer un chèque à blanc à la nouvelle équipe. Seulement, personne ne pouvait parler devant les militaires qui se sont imposés en «gendarmes», plutôt qu’en réformistes qui allaient faire évoluer la situation dans le sens du bien. Delà, a commencé la chasse aux sorcières, ce qui n’a pas arrangé les choses au niveau des organisations de masse et surtout au niveau de la jeunesse qui se voyait responsable devant une situation qui n’augurait aucune ouverture sur la démocratie et ne rendait accessible aucun dialogue… Mais le dévouement de notre peuple et la sagacité de plusieurs responsables ont fait que nous avons pu surmonter cette dure épreuve et arriver à nous entendre sur le minimum pour faire avancer les choses dans un pays qui n’avait pas le droit de souffrir encore de divisions et de problèmes liés à la mésentente et à l’incompatibilité d’humeur des uns et des autres. Ainsi, en un laps de temps, très court, heureusement, les choses devaient virtuellement changer. Elles ont changé, en effet, quasiment changé, et c’était du vrai. Parce que le «nouveau chef», cet homme qui paraissait taciturne, introverti et secret, cet homme qui ne souriait jamais, mais qui était en réalité modeste, timide, sobre et de surcroît infatigable, a su préparer pour notre pays, dans le calme et la clairvoyance, des programmes qui allaient remodeler notre physionomie et nous donner cette force pour lever la tête. Cet homme voyait très loin et ne se contentait pas de suivre certaines doctrines, aveuglément, comme l’ont fait d’autres «leaders» pour leur révolution d’essence populaire, comme la nôtre. En son temps, le pays a pris un certain nombre de mesures telles que la nationalisation de l’industrie minière, la prise en main de tous les moyens de production dans les secteurs fondamentaux de l’économie nationale, les décisions instituant le contrôle de l’État sur l’industrie des hydrocarbures. L’ensemble de ces mesures se conjuguant avec la démocratisation de l’enseignement et la transformation des structures économiques dans les campagnes, ont abouti à l’établissement de nouveaux rapports de production et à la mobilisation progressive des potentialités du pays pour un développement accéléré. Sous l’autorité de cet Homme donc, notre pays commençait à se porter bien. Nous étions fiers et notre voix était entendue et respectée dans le concert des nations. Oui, notre pays se portait bien même si quelques «écueils», naturels et même compréhensibles, dus à cette culture de l’hystérie – démagogique au demeurant –, entretenue par des encenseurs spécialistes en adulation, allait nous présenter d’autres «performances» que nous n’avions nullement besoin d’exhiber. «Des bénéfices fictifs ont été distribués à des travailleurs de fabriques importées et à des coopérateurs agricoles croulant sous le poids des calculs politiques, reculant ainsi le miroir dans lequel chacun devait se regarder franchement en se disant des vérités»… Il y avait de cela, en cette période. Nous donnerons des exemples après pour illustrer la gestion démagogique de certains de nos dirigeants qui ne lésinaient sur aucun moyen, même le plus malhonnête, pour arriver à leur fin. Mais que voulez-vous «cela venait précisément du rêve que chacun se faisait de son pays : un pays puissant économiquement et viable démocratiquement…», répétaient des responsables, sans conviction. Nonobstant ces écueils – je répète, tout à fait naturels – au cours de cette période passionnante et riche en événements, les réalisations allaient bon train. Par exemple, lorsque nous réalisions 5 écoles, nos voisins n’en construisaient qu’une, une seule école laborieusement. Il en était de même pour toutes les autres réalisations. Voilà ce qui caractérisait notre engouement pour le développement, pour le progrès, pour la prospérité, et, bien évidemment, pour le bien-être de notre peuple. Cette période-là, on l’appelait, à juste titre, «l’âge d’or» de notre pays, même si des nihilistes lui trouvaient des raisons «convaincantes» pour qu’elle ne le fut aucunement, en accablant tout le monde d’épithètes fort inconvenantes. «Nous avons applaudi, sans raison, une démarche qui nous menait droit vers la catastrophe», disaient-ils, à l’unisson… après la mort de celui devant qui ils n’ont jamais eu le courage de lever la tête et le regarder fixement. Mais en aparté, ces cadres et ces responsables nihilistes, ingrats, irrespectueux, soutenaient devant tout le monde qu’ils n’ont jamais été d’accord avec cette démarche et qu’ils ont été simplement «des porte-voix, inconscients, d’un programme qui ne reflétait pas leurs ambitions, ni même leurs capacités». Mais peu importe ce qu’ils ont dit hier ou ce qu’ils disent, aujourd’hui, dans l’aisance de cette «liberté d’expression ?» retrouvée… l’essentiel, pour le pays, c’est d’avoir créé les bases matérielles d’une économie qui peuvent, à l’heure des réformes, servir amplement, en s’adaptant sérieusement et courageusement aux nouvelles exigences d’un monde en perpétuelle mutation… L’essentiel, pour le pays, c’est d’avoir produit de nombreuses promotions de cadres supérieurs et moyens dont les médecins, les ingénieurs, les scientifiques et d’autres cadres de valeurs, dans diverses filières, pour faire face aux besoins essentiels. En ce temps-là l’enseignement était encore plus sérieux et plus performant qu’il ne l’est aujourd’hui. L’essentiel, disaient les militants, c’est d’avoir permis au peuple de se sentir protégé par un État qui lui assurait la sécurité et le pain quotidien. L’essentiel pour lui était que son passeport s’oblitérait avec le sourire, dans toutes les frontières du monde, sauf celles de cet État fantoche que nous ne reconnaissons pas et dont nous espérons maintenir cette position jusqu’à ce que ce dernier concède à nos frères palestiniens et syriens leurs droits inaliénables. L’essentiel, enfin, c’est d’avoir cru à tous ces programmes. En un mot, à cette révolution qui s’appliquait pour le bonheur des masses. Mais eux, ces oublieux patentés, ces cadres qui ont, de tout temps, manqué de résolution et qui ne se mouillaient jamais pour des problèmes de principes, que faisaient-ils, entre temps, à part se montrer plus arrogants, plus connaisseurs en matière de développement et plus militants que les militants qui ont toujours porté haut l’idéal de la révolution ? Ont-ils dénoncé, honnêtement, les aléas ou la «démagogie» de notre démarche, puisqu’ils en parlent maintenant… ouvertement, dans «l’aisance» que crée cette sacrée anarchie ? Ont-ils prouvé par des démonstrations probantes et par des décharges concluantes, que le pays allait droit vers sa perte ? Non ! Ils se sont tus, pour mieux préserver leur situation de rente. Mieux encore, ils étaient là, dans tous les discours, pour augmenter la teneur de l’applaudimètre qui signalait des «pics» alarmants d’obligeance et d’obséquiosité. Mais aujourd’hui, dans cette aisance de la liberté d’expression – nous en avons parlé – ils prétextent qu’ils ne pouvaient s’exprimer pour dénoncer des carences et des écarts, constatés en ce temps-là. Mais passons. Oui, passons et contemplons les villes universitaires qui se sont multipliées pour occuper tout le territoire national, les écoles et les lycées qui ont poussé comme des champignons, les infrastructures socio-économiques et culturelles qui se sont implantées partout pour lutter contre les disparités régionales, et enfin, ces jeunes, ces millions de jeunes qui ont eu accès à l’instruction et qui ont bénéficié de l’attention d’un État qui se voulait tout près du citoyen. Contemplons, également, ces… L’artiste est interrompu par un jeune qui se lève brusquement et lui dit dans le langage de la rue, ce langage qui ne saurait mentir parce qu’il charrie toutes les exigences d’une société qui a tant besoin d’attention et de sollicitude : Et aujourd’hui, que sommes-nous devenus ? Vous nous parlez d’hier, lorsque nous étions des gens respectables et révérés par tous. Mais cette ambiance d’hier, avons-nous été capables de la perpétuer aujourd’hui, pour pouvoir vivre dans le bonheur et ne pas rougir devant ceux qui, hélas, nous enviaient à cause de nos performances, de notre pondération, de notre sérieux, de notre sagesse, de notre calme et de notre sérénité ? Mon père aussi, me racontait les mêmes choses, tous les jours quand, pris d’inquiétude, je lui posais quelques questions sur notre récent passé. Il me disait que nous étions très sereins, que nous coulions des jours heureux, que les jeunes avaient les mêmes chances, partout, tant est si bien que des fils de pauvres – chose qui existe rarement dans d’autres pays – ont obtenu des diplômes qui ont fait rougir les étudiants des universités renommées à travers le monde. En effet, il me disait beaucoup de choses, beaucoup de belles choses… et je souhaitais les vivre un jour dans notre environnement qui subit de graves préjudices. Il me disait que la situation était très favorable, depuis la nationalisation du secteur pétrolier. Il me disait que notre pays se lançait dans un ambitieux projet d’industrialisation, que la situation a alors évolué avec le rétablissement des grands équilibres macroéconomiques, l’amélioration des soldes commercial et budgétaire, le recul de l’inflation etc. Il me disait que cela nous a permis d’accomplir de remarquables progrès aux plans économique et financier. Je voulais voir tout cela de mes propres yeux, comme pour me rassurer. Car, au rythme où va notre vie, et de plus si l’on regarde la dégradation qui nous entoure et avec laquelle nous cohabitons, impuissamment, indifféremment quelquefois, il est difficile de croire que nous étions des gens qui avions connu le progrès, le bonheur, le bien-être et la quiétude. Parce qu’enfin nous avons du mal à croire que tout a changé si rapidement, si simplement, et que nos responsables n’ont pas eu cette clairvoyance et cette vigilance pour nous préparer à cette regrettable dévalorisation, à défaut de pouvoir nous assurer une vie relativement décente, comme réitérée, constamment, dans leurs discours. En effet, ils n’ont pas eu cette force pour nous épargner cette «dégringolade» ou, à tout le moins, pour préserver les acquis de ces années de grande forme. Et, pour terminer cette brève intervention, je répète, encore une fois, ma question. Admettons que tout ce qui a été dit concernant cette fameuse période de l’âge d’or de notre pays est juste, que nos parents aient vécu des jours heureux, est-ce possible que tout s’écroule, en un temps record ? Je pose ces questions tout en respectant le sentiment populaire qui a fait du Président de l’époque un chef incontesté et de son «pontificat» une période féconde et appliquée. Mais aujourd’hui, au regard des résultats, peut-on être affirmatif sur la cohérence de la démarche et la consistance des programmes qui ont été adoptés hier ? Peut-on témoigner que la période a été bénéfique au peuple eu égard aux conséquences que nous vivons présentement ? Si tout ce que nous disent nos parents est vrai, pourquoi sommes-nous aujourd’hui dans des situations difficiles ? Et pourquoi nous entendons de temps à autre un jeune s’écrier de la sorte : «Je n’aime pas mon pays, parce qu’il ne m’a rien donné !» ? Si vraiment tout allait bien hier, il n’en reste pas quelque chose aujourd’hui ? Car ne dit-on pas que la belle femme garde toujours les beaux restes quand elle prend de l’âge et… malgré les offenses du temps ? Malheureusement, ce qui n’est pas le cas pour cette «révolution» d’antan qui paraissait singulière et prodigieuse à nos parents, mais qui s’est révélée chimérique, insignifiante et insipide eu égard aux déplorables conséquences que nous subissons jusqu’à maintenant !
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)