«Entreprendre ensemble pour une prospérité partagée en Méditerranée»

Réunion des 5+5

Notre rencontre organisée par le Délégué interministériel à la Méditerranée et coordinateur des 5+5, au ministère des Affaires étrangères français, avec les responsables des organisations financières internationales, BM, FMI, OCDE, BIRD, les chefs de fil l’Allemagne qui a été associé à cette initiative accordant une importance à la rive Sud, de la France, l’Italie, l’Espagne, Portugal, Malte, Maroc, Tunisie, Libye et de la Mauritanie se tient dans une situation particulière.

Le monde est confronté à une crise mondiale jamais inégalée depuis 1928/1929, touchant la sphère réelle différente de celle de 2008 où selon le rapport de la Banque mondiale du 8 juin 2020, la croissance de l’économie mondiale sera négative de moins 5,2% avec des répercussions négatives pour 2021, un taux de croissance négatif en To 2020, le taux de croissance prévu en 2021 de 4,2% est un taux de croissance faible, se calculant par rapport à la période précédente, en 2021 donnant en terme réel, entre 1 et 2%, avec pour conséquence une baisse du revenu moyen d’environ 3,6% et d’importantes poches de pauvreté au niveau mondial. Cela impacte fortement toutes nos économies avec des intensités différentes posant la problématique d’une nouvelle régulation sociale conciliant l’efficacité économique et une profonde justice sociale pour éviter une implosion sociale qui déstabiliserait toute notre région.
C’est dans ce cadre que le président de la République Abdelmadjid Tebboune m’ayant donné son accord pour représenter l’Algérie, le remerciant pour la confiance témoignée, je tiens au nom de mon pays à assurer les organisateurs de cette heureuse initiative, comme cela a été souligné ave force par le ministre algérien des Affaires étrangères à Marseille, en juin 2019 que l’Algérie fera tout pour que cette initiative soit un succès afin de faire du bassin méditerranéen un lac de paix et de prospérité partagé, fondé sur le dialogue des cultures, le combat contre toute forme de racisme et d’extrémisme, la diaspora du fait de ses importantes potentialités maghrébine et africaine pouvant y contribuer. A cette occasion, je tiens à formuler six idées directrices, toute démarche scientifique devant partir du général au particulier en identifiant les actions prioritaires : selon la règle des 80/20%, 80% d’actions mal ciblées ont un impact de 20% mais 20% d’actions bien ciblées ont un impact sur 80%.
– Première idée, résolution des conflits dans la région dans le cadre du droit international et sous l’auspice des Nations unis, et en privilégiant la dialogue, comme le recommandent l’Algérie, Moyen-Orient, Libye, Mali, Sahara occidental afin d’éviter le développement du terrorisme et de la misère qui risque de déstabiliser la région et sans la résolution de ces conflits tout projet a un impact forcément limité.
– Deuxième idée, la démocratisation de la société tenant compte des anthropologies culturelles, source d’enrichissement mutuel et la moralisation des relations internationales surtout dans notre région où la corruption à travers les transferts illicites de capitaux, l’évasion fiscale a pris des proportions dangereuses avec une marginalisation croissante de larges couches des populations qui versent dans la pauvreté, un véritable nid pour des tensions sociales futures surtout avec les politiques d’urbanisation anarchiques favorisant des ghettos. Car s’il y a des corrompus, il y a forcément des corrupteurs impliquant une nouvelle gouvernance des dirigeants locaux mais également une nouvelle gouvernance mondiale pour lutter contre ce fléau destructeur. A ce titre, je préconise en tant qu’ancien haut magistrat à la Cour des comptes algérienne entre 1980/1983, premier conseiller et directeur général des études économiques, la création d’une cour des comptes des 5+5 à travers des réseaux des Cours des comptes nationales et ce afin de favoriser l’efficacité de la dépense publique et la mise en œuvre d’affaires saines.
– Troisième idée, avoir une vision stratégique du nouveau monde avec le développement des réseaux sociaux qui façonnent de nouveaux comportements et de nouvelles relations sociales, influant sur le mode de gouvernance, fondée sur les activités économiques de l’avenir, la santé, l’éducation, le numérique, l’intelligence artificielle en n’oubliant pas les activités culturelles, de loisirs. Dans ce cadre , la coopération des 5+5 doit faire du bassin méditerranéen un lac de paix et de tolérance. Pour ma part, j’appelle depuis longtemps à la création d’une université euro-méditerranéenne, lieu de fécondation des cultures ainsi que d’une banque et une bourse euro-méditerranéenne dotées d’instruments financiers adaptés à la réalisation de projets concrets et de la création d’un conseil économique et social, lieu de dialogue entre les partenaires économiques et sociaux.
– Quatrième idée, une plus grande implication de la société civile en Méditerranée qui a joué un rôle important lors des différentes réunions de la préparation de la réunion des 5+5 où l’Algérie a proposé des projets concrets au nombre de 42, privilégiant les intérêts économiques et la stabilité de la région, tenant compte de la transformation du monde où à côté des Etats, des entreprises publiques ou privées et des institutions internationales, en ce XXIe siècle, la société civile dans sa diversité, avec une rôle plus accru pour la femme dans la gestion de la Cité, aura un rôle déterminant dans les relations internationales à travers des réseaux décentralisés, la récente épidémie du coronavirus ayant montré sa vitalité.
C’est dans ce cadre qu’il est utile de rappeler que la réunion des 5+5 de la société civile où près de 200 personnes ont participé à cinq forums thématiques, dans le cadre de l’assemblée des 100 personnalités a essayé de définir concrètement, les moyens et les mécanismes à mettre en œuvre pour tisser des liens forts dans tous les domaines afin de dynamiser la coopération en Méditerranée occidentale, reposant sur la conviction que la société civile doit être pleinement associée à la définition d’un nouvel agenda positif, par la mise en œuvre de projets concrets en faveur du développement humain, économique et durable dans la région. Cinquième idée, puisque avec la crise du coronavirus, la commission européenne a dégagé un important effort financier pour soutenir les activités notamment des pays les plus touchés l’Italie, l’Espagne et à un moindre degré la France et le Portugal, pourquoi ne pas impliquer les pays du Maghreb dans ce financement non dans le cadre d’une aide mais d’une coopération gagnant/gagnant à travers la dynamisation de l’investissement porteur du fait que ni l’ancienne initiative de la Méditerranée, ni les accords de Barcelone dont l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont signé l’Accord de libre échange a eu des effets limités. La prospérité du Maghreb, sous réserve d’une nouvelle gouvernance de ses dirigeants, pointe entre l’Europe et l’Afrique, continent de toutes les convoitises et enjeu du XXIe siècle aura par ricochet, la prospérité de la rive Sud de la Méditerranée en freinant les flux migratoires. Sixième idée, le défi écologique pour sauver notre planète, le réchauffement climatique n’étant pas une utopie, mais devant être réaliste, une transition maîtrisée dont les impacts risquant d’être mille fois supérieurs à l’impact du coronavirus impliquant un nouveau modèle de développement mondial, un nouveau modèle de consommation et la nécessaire transition énergétique autour de projets écologiques à valeur ajoutée.
L’Algérie qui a eu le dossier de la transition énergétique qui constitue une question de sécurité pour les deux rives de la Méditerranée via l’Afrique tenant compte du bouleversement de la carte énergétique au niveau de la Méditerranée 2020/2025. La transition énergétique n’est pas simplement un sujet technique, elle est au cœur des politiques de sécurité des États. Il s’agit de passer d’un modèle construit sur une énergie essentiellement fossile, polluante, abondante et peu chère à un modèle où l’énergie est renouvelable, rare, chère et moins polluante. Reste à déterminer combien coûte cette transition, combien elle rapporte et qui en seront les bénéficiaires. Cela implique d’imaginer un nouveau modèle de croissance et de consommation. Le potentiel de l’espace méditerranéen – énergies éolienne, solaire, hydrocarbures – peut faire de cette zone, soumise depuis toujours à des tensions politiques fortes, une nouvelle région énergétique du monde, au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient. Les interconnexions des réseaux et l’optimisation de leur gestion devraient favoriser l’émergence d’une industrie de l’énergie, au service de l’intégration économique des deux rives. L’énergie apparaît donc comme un puissant facteur de coopération et d’intégration entre les deux rives de la Méditerranée.
Alors quelles perspectives ? Je tiens à rappeler que nous avons analysé avec plus de 58 experts, politologues, diplomates, économistes, sociologues, historiens, juristes, militaires, les mutations géostratégiques, militaires, politiques, sociales, culturelles et économiques en Méditerranée au sein de la revue IEMed en 2017, dirigé par un ancien ministre des Affaires étrangères de l’Espagne et préfacé par la commissaire européenne du chargée du voisinage où j’ai participé sur le thème de la transition énergétique en Méditerranée. Avec mes amis, depuis de longues décennies, ardent défenseur d’une intégration euro-méditerranéenne, les professeurs Jean Louis Guigou, Daniel Schossler et bien d’autres experts en énergie des deux rives, nous militons pour une communauté méditerranéenne de l’énergie du fait que les besoins électriques des deux rives sont complémentaires et que l’Algérie du fait de ses potentialités tant en hydrocarbures traditionnels conventionnelles et non conventionnelles et surtout de son potentiel solaire est un acteur pivot de cette coopération au niveau de la région : la pointe de consommation d’électricité en Europe se situe en hiver, alors que dans les pays du Sud, elle se situe en été. Le sud de la Méditerranée est mieux placé que le nord pour exploiter les énergies renouvelables.
L’ensoleillement y est deux fois plus important. Quant à l’éolien terrestre, il y a des sites extrêmement favorables, notamment sur la bordure Atlantique, avec des durées de fonctionnement qui sont le double de celles des sites allemands ou français. Il est tout à fait imaginable d’échanger de l’électricité tantôt dans un sens tantôt dans l’autre : l’électricité conventionnelle de l’Europe vers l’Afrique dans les périodes d’été ; l’électricité d’origine renouvelable de l’Afrique vers l’Europe dans les périodes d’hiver. Le déficit structurel européen et la forte hausse de la demande de la rive sud impliqueront à l’avenir de construire les éléments d’un partenariat qui dépasse le modèle classique fournisseur-client. En conclusion, je tiens au nom du président de la République algérienne et de toutes les autorités de mon pays, ainsi que de la société civile à vous remercier encore pour cette aimable invitation et à réitérer la position de l’Algérie qui a toujours été animée par la stabilité, la paix et le développement durable au niveau de notre région : une nouvelle gouvernance mondiale, la paix dans la région et un partenariat gagnant/gagnant fondé sur un co-développement, loin de tout préjugé de domination, devant certes être réaliste, dans les relations internationales n’existant pas de sentiments mais que des intérêts mais devant trouver lors des négociations un équilibre relatif. Ce sont les axes pour entreprendre ensemble afin de permettre une prospérité partagée au sein des deux rives de la Méditerranée qui devrait connaître entre 2020/2030/2040 une profonde reconfiguration géostratégique dans les domaines, sécuritaires, économiques, sociales et surtout culturelles acteur déterminant en ce XXIe siècle.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul