Quand Hollywood consacrait la première actrice noire

Retour sur la polémique «Autant en emporte le vent»

Si le film culte, aujourd’hui vilipendé, véhicule des clichés racistes, il permit aussi à Hattie McDaniel, la bonne de Scarlett O’Hara, de décrocher un oscar. Faut-il entièrement jeter aux orties «Autant en emporte le vent» ? Tout le monde est d’accord pour dire que ce film est le fruit de son époque, celui de l’Amérique ségrégationniste des années 1930.

À ce moment-là, l’esclavage a été aboli depuis 70 ans, mais les Afro-Américains subissent encore des discriminations dans de nombreux domaines comme l’emploi, le logement, l’éducation, sans compter l’interdiction dans certains États de se rendre dans les lieux fréquentés par les Blancs… Le film sera le reflet d’une Amérique qui tente de laver son péché originel en Technicolor : montrer l’effondrement de l’âge d’or sudiste avec les stéréotypes et les préjugés de l’époque, sans malmener le public, où l’on voit des esclaves pleurant presque la détresse de leurs doux maîtres… Un film qui a évidemment vieilli sous notre regard du XXIe siècle, dans la forme comme dans le fond, et qui appartient plus que jamais aux reliques du cinéma de papy.
Mais on oublie aussi qu’il a permis à la cause noire d’avancer en consacrant pour la première fois une actrice afro-américaine dans l’industrie hollywoodienne : Hattie McDaniel, restée dans toutes les mémoires pour le rôle de Mamma, la domestique à poigne de Scarlett O’Hara. McDaniel était la descendante d’esclaves libérés, son père avait même participé à la guerre de Sécession, c’est dire si son parcours est un symbole. Elle a multiplié les petits boulots, femme de chambre, cuisinière, tout en poursuivant une carrière dans la radio et le cinéma, avant de décrocher le rôle de sa vie dans «Autant en emporte le vent», qu’elle obtient, dit-on, en arrivant au casting directement habillée en domestique. À l’époque, le Los Angeles Times plaide pour qu’elle soit distinguée par l’Académie des Oscars : en février 1940, Hattie devient la première actrice noire honorée en recevant le prix du meilleur second rôle féminin, une vraie révolution, premier jalon dans le métier vers l’égalité…

Mépris et apartheid
En revanche, la voilà désormais prise entre deux feux, à la fois traîtresse aux yeux de certains activistes noirs et toujours méprisée par les Blancs. Quand a lieu la grande première du film à Atlanta, elle n’est même pas admise dans la salle, au nom de la ségrégation en vigueur, au grand dam de son ami Clark Gable, qui fait des pieds et des mains, en vain, pour lui obtenir un passe-droit. Comme tous les Noirs du film, elle est également exclue de toute promotion dans les États du Sud. Quand vient la remise du prix, elle doit se contenter de rester au fond de la salle, avec son agent, sur une pauvre table, à l’écart des autres : le club de l’hôtel Ambassador, où a lieu la cérémonie, pratiquait une stricte politique de «no black» à l’entrée. Ainsi était l’Amérique des années 1940… Ce qui n’empêchera pas l’actrice de remercier Hollywood dans un discours plein d’humilité : «J’espère sincèrement que je ferai toujours honneur à ma race et à l’industrie du cinéma, mon cœur est trop plein pour vous dire juste comment je me sens…».
Elle sera pourtant régulièrement critiquée par ses frères noirs pour avoir pactisé avec les Blancs en se cantonnant dans des stéréotypes nuisibles à la cause – elle a interprété plus de soixante-dix fois des domestiques dans sa carrière. Mais est-ce sa faute si le métier ne lui proposait plus que des rôles qui correspondaient à l’étiquette clinquante que Hollywood lui avait accolée ? Sur le sujet, elle ne manquait pas de franchise : «Je préfère jouer une femme de chambre et faire 700 dollars par semaine qu’être une femme de chambre et gagner 7 dollars…» Hattie McDaniel poursuivra sa carrière sans jamais retrouver un rôle aussi important que celui dans Gone with the Wind, qui l’avait fait entrer dans l’histoire du cinéma. Mais avec ses limites : quand elle décède d’un cancer du sein, en 1952, le célèbre cimetière Hollywood Forever refuse tout net de lui faire une place…
M. F.