«Les ex-internationaux ne savaient pas ce qu’étaient ces combines»

Lakhdar Belloumi :

Qui ne connaît pas Lakhdar Belloumi, ce numéro 10 qui a marqué les Algériens lors des années 1970/1980. Doué, fin technicien et possédant une vision de jeu hors du commun, l’enfant de Mascara aurait pu prétendre à une carrière internationale, lui qui était sollicité par plusieurs formations huppées. Aujourd’hui, face à tous ces scandales qui secouent le football algérien, il décide de se lâcher. Ecoutons-le…

La Nouvelle République : la reprise s’annonce tambour battant, vous êtes favorable à ce redémarrage du championnat ?
Lakhdar Belloumi : On ne peut pas parler aujourd’hui de reprise, sachant que tout est chamboulé. Le confinement n’exclut pas le sport, à ce que je sache. Non, c’est compliqué. J’entends ça est là des leaders et des suiveurs au classement réclamer un arrêt avec des conditions : garder le siège de leader. Non, ça ne marche pas comme ça. Il y a dans ce pays un protocole sanitaire qui impose un confinement à tous et il doit être respecté. La préservation des vies humaines passe avant tout. C’est tout le monde qui est concerné, et soumis à cette instruction sanitaire. Dès cet instant là, je dis, non cela ne vaut pas la peine de reprendre. Il serait plus sage de tout arrêter et reprendre la saison prochaine.

Mais il y a ceux qui épousent ton raisonnement avec des conditions que ne partagent pas d’autres clubs, en l’occurrence, annuler le championnat mais garder le classement tel quel ?
Le confinement est pour tout le monde, il ne s’agit pas d’une distribution de cartes d’invitation aux uns et non aux autres. Le pays est en pleine crise sanitaire et l’on a le temps de penser au football, plus tard. Cette reprise divise déjà la Fédération algérienne de football et la Ligue de football professionnel. La première veut y aller, la seconde veut suivre l’avis du docteur Demardji de la FAF qui s’y oppose. Soyons sérieux. A supposer que la reprise ait lieu, pour qui vont jouer les équipes ? Pour des gradins vides ? Où est le charme ? Vous entendrez des voix des entraîneurs résonnaient comme si l’on jouait dans un quartier populaire et non dans un stade. Arrêtons ce cirque. Vous n’avez pas le droit de vous acheter un avantage ! Nous sommes ensemble dans cette crise. Le football ce n’est pas ça, personne ne nous a appris à jouer dans ces conditions. Mais aujourd’hui, on a l’impression que la santé est mise de côté, au profit de ce que vous savez. Il faut stopper, tout effacer et reprendre à zéro. Rien ne presse lorsqu’il s’agit de la vie du joueur. J’ajouterai que dans cette histoire, personne n’est gagnant, alors personne sauf certains… Pour beaucoup, le sport de haut niveau, ça gueule, ça obéit, ça fait peur. Il y a eu des moments de silence, de gêne. Et puis les leaders commencent à prendre la parole comme s’ils détenaient les cordons de la vérité et du savoir-faire.

Vous m’invitez à vous poser la question relative au dernier scandale de l’enregistrement sonore qui vient de secouer, une nouvelle fois, le football national. Qu’en pensez-vous ?
Je vous remercie de me poser cette question relative à une attaque directe contre le football. On cherche son effondrement. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que de pareils actes font scandales chez nous. Je dirai que je suis extrêmement content, non pas de ce qui vient de se passer, détrompez-vous, mais de la réaction du ministre de la Jeunesse et des Sport, lequel, pour la première fois, redonne au football toute sa place qui lui revient de droit. Une première pour un ministre chez nous. Il s’est engagé à mettre le holà aux combines, à la corruption, aux malversations, aux intimidations et avertit, à la fois ceux qui sont ou seraient encore tentés de vivre au rythme des corruptions. Pour une poignée d’argent et de points, on se salit, pour un profit ? Les imprésarios bien intentionnés ont souvent laissé la place à des managers voraces et à des affairistes sans scrupules. Il faut que ces gens comprennent que le football n’est l’apanage de personne, mais de toute une nation et les décisions qu’ils prennent, soit au niveau des instances du foot ou des clubs, s’inscrivent dans ce sens et non pas dans un autre. Le football souffre de ces trucages, de ces combines, de ces marchandages ou encore de ces négociations pour l’achat ou vente d’un joueur comme s’il s’agissait… Il faut qu’ils soient sévèrement punis. Il faut que les gens qui continuent à se sucrer avec l’argent du contribuable finissent par payer cher. Le football n’est pas une source où l’on s’abreuve lorsqu’on a soif. Ce football, j’assume ce que je dis, est devenu un marché, un souk, où l’on s’approvisionne et on part sans se retourner. Demandez aux anciens internationaux comment vivions-nous, dans quel climat sportif construisions-nous ce sport. On jouait avec zéro dinars et pour zéro dinar ou presque. Ce qui intéressait le plus les supporters, c’était notre capacité à fonctionner de manière collégiale, solidaire et déterminée. Aujourd’hui, ce qui se passe est scandaleux. On ne vient pas au football pour le football, mais on vient pour l’argent.

Vous êtes…
Tout simplement un joueur professionnel qui aime son pays. Et ce football qui se développe en son sein devra accueillir ses professionnels ceux de 82 au sein des clubs. Nous avons une riche expérience que nous gardons à notre niveau, et que nous aimerions transmettre à tous les athlètes de toutes les disciplines, pas uniquement dans le football. Mais malheureusement, le sport est investi par des commerçants et des «beznassiya» qui n’ont rien à voir avec le football. C’est du n’importe quoi. Ceci dénote que le ballon rond est pris au piège. Un milliardaire qui ramène un chèque se positionne comme président alors qu’il n’a rien à voir avec ce sport. C’est totalement de la folie. Qui aurait dit qu’on allait assister à un pareil tableau ? Du temps du règne de Djamel Houhou (que Dieu ait son âme), en 1977 le sport algérien avait connu une réforme en profondeur. Et c’était là où les clubs étaient pris en charge par des entreprises. Il ne pouvait y avoir de trucages… Aujourd’hui, c’est devenu à la mode, une mode qui n’étonne plus personne tant que les professionnels sont absents des clubs. Pour rappel, l’Etat dégageait des aides aux clubs professionnels pour les accompagner en matière de formation. Ces aides étaient destinées notamment à la construction des centres de formation, l’achat des autobus pour le transport… et aujourd’hui combien sont ces clubs à avoir des centres de formation. Quatre à peine. Quel est le niveau du salaire d’un joueur qui ne signe que lorsqu’il prend connaissance du salaire, le reste ne l’intéresse pas, bien entendu il ne peut y avoir que des combines entre présidents et agent de joueur. «Quant à la FAF et la LFP, elles demeuraient mal placées pour lutter contre la corruption quand on sait que la gestion de l’arbitrage est la meilleure preuve de l’ancrage de ce fléau dans les pratiques footballistiques algériennes. En somme, la corruption dans le football algérien est devenue tellement transparente et banalisée que le MJS ne réagit pas au rapport de la Cour des comptes», disait l’ancien président de la Ligue nationale Mohamed Mechrara.

Un mot pour conclure ?
Que les gens sachent que ma retraite me fait vivre plus que je gagnai en étant joueur. Ceci juste pour vous dire que les ex-internationaux ne savaient pas ce qu’étaient ces combines, ces trucages, ces marchandages, il y avait du football-spectacle.
Propos recueillis par H. Hichem