Libération de la mémoire, révélation des enjeux populaires

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Lorsque les cercueils des ossements de nos résistances populaires d’hier, se sont présentés devant le Président Si Tebboune, c’est la nation qui s’est inclinée devant le peuple en armes. Cet hommage puissant nous raconte que l’Algérie se réalise dans les luttes populaires et qu’elle est un organisme vivant en perpétuel production de lui-même, pourvu que ses combats collectifs en soient le mode opératoire. L’algérianité ne vaut pas tant par son territoire immense que par sa propension au sacrifice suprême comme valeur première de la pérennité de son existence. Ce paradoxe affirmatif de la permanence du contrat social, en même temps que de son annihilation dans la défense intransigeante des valeurs islamiques pour lesquelles les Zaatchas en alliance des tribus voisines se sont battus jusqu’à la mort, constitue le ressort intime de notre modernité. Si nous pouvons reconnaître le maghrébin par son port altier du burnous, cette carte postale confinerait au folklore si l’algérianité ne lui ajoutait une dimension en défense de la foi à nulle autre pareille, en élévation jubilatoire vers la rencontre du Très-Haut, désir ardent de tous ceux qui portent en eux la volonté de fusion avec leurs ancêtres. En réalité, le véritable territoire de la nation algérienne, c’est le Paradis que Dieu accorde aux méritants. C’est précisément pour cette raison que les généraux criminels de la colonisation ont échoué. Ils découvrirent qu’ils ne pourfendaient des corps que là où n’existait sur les champs de batailles que des âmes qui se dressaient devant eux. Ils ont mutilé les cadavres de leurs ennemis parce que leurs armes étaient impuissantes face à nos dispositions morales. Aussi, ont-ils enfreint le droit aux enterrements comme l’exigent les traditions en humanité depuis que l’homme est humain. Il s’agissait pour les Saint-Arnaud de la barbarie de nier notre caractère guerrier, aristocratique, intéressé en valeurs transcendantales. Cela enrageait cette caste de criminels de guerre car ce sont ces valeurs qui fondent les grands Etats. Et je m’interroge encore pour savoir jusqu’à quel point leurs ethnologues ne firent pas «collection scientifique» de nos crânes pour tenter, en secret, d’en percer le mystère de la force spirituelle.

L’ardeur au combat n’est pas une chose nouvelle chez les Algériens. Déjà le 4 juillet 1187, ils prêtèrent main-forte, lors de la bataille de Hattin à Salah Eddine El Ayoubi contre un roi franc (Guy de Lusignan). Le premier défenseur de l’Islam de l’époque préférait mettre les cavaliers algériens levés par Sidi Boumediene (Choaib El Ichbili) en première ligne contre les croisés car «eux seuls savent comment les combattre», jusqu’à jouer un rôle clé dans la prise de Jérusalem. En remerciements, il fut attribué tout un quartier aux valeureux combattants, au sein de la ville Sainte même, le fameux «Hay» des «Al Maghariba», de même que des terres connues sous le nom de «Ain El Karam», dans la région du Lac de Tibériade. D’où leur venait cette force entre toutes distinguée ? De l’élévation spirituelle de leur Chef, Sidi Boumediene, natif de la région de Séville, fondateur majeur de l’école soufie maghrébine qui a su trouver les mots touchant les cœurs des guerriers de la Petite Kabylie. C’est cet héritage en droite ligne de l’inspiration de Sidi Abdelkader El Jilāni et de Hamid El Ghazali, que reprit plus tard l’Emir Abdelkader, disciple du maître soufi Ibn El Arabi. L’Emir présenta une lumineuse résistance contre la première puissance militaire mondiale de l’époque – la France a prévalu avec 30.000 hommes seulement sur l’Italie et l’Empire austro-hongrois – alors qu’elle n’est arrivée à soumettre le fils de Mohiédine qu’en mobilisation de 130.000 hommes. Ces qualités anthropologiques des Algériens sont connues depuis des lustres. Déjà Polybe le Grec racontait les exploits de la cavalerie numide lors des trois guerres Puniques en confrontation d’avec Rome, aux côtés du légendaire Hannibal, épuisant les Romains de leurs manœuvres étourdissantes. Mais c’est au moment du triomphe de la bataille de Cannes (216 av JC), dans le Sud-Est de l’Italie que les cavaliers numides donnèrent toute la mesure de leur maestria militaire en exécutant un mouvement de débordement puis d’encerclement (le fameux cercle cantabrique) de troupes romaines bien plus nombreuses et que l’on enseigne encore aujourd’hui dans les plus grandes académies militaires du monde.

La foi, ferment de la Nation…
Ce sont ces qualités naturelles, amplifiées de manière exceptionnelle par la foi en Dieu, nourries par les zaouïas de l’affermissement des connaissances en alphabétisations généralisées fécondes qui donnèrent tant de force à nos résistances populaires, se comptant par millions de chouhada, des murs de Jérusalem jusqu’aux plaines de Sidi-Brahim. Tous ne cessèrent, depuis que les premières troupes françaises débarquèrent dans la baie de Sidi Fredj, d’étourdir la troupe ignare, de confondre les officiaux coloniaux cupides. Ce socle de la Nation construite sur la culture de l’écriture élégante et savante (le trait maghrébin en mélange de formes angulaires et de larges courbes où l’on peine à distinguer le plein du délié tant l’unicité nous interpelle), le strict respect de l’apprentissage des différentes intonations dans l’art de la récitation propre au Livre Saint, générations après générations, a produit en une lente maturation une attitude face à la vie pleine d’humilité puis un rapport à Dieu marqué par la transparence de l’être, en une tentative continuelle de rapprochement d’avec la figure prophétique (QSSSL) pour en atteindre la sagesse. Cette puissance mystique fut à l’origine des fondations de nos empires fatimides et c’est elle qui nous donna la volonté inébranlable de sa transmission aux générations suivantes, en éclairements intérieurs du sens profonds de nos devenirs. Aussi, l’algérianité, comme le Djihad, se divise en petite dimension et en grandes perspectives. Son expression minimale, constitue en le sacrifice suprême de la vie en défense de la Patrie, objectif qu’il nous est guère difficile d’atteindre tant il est à la portée de nos prédispositions psycho-socio-anthropologiques. Son achèvement maximal, considère la défense de la vie comme un service à rendre à Dieu, dans la mesure où il nous est alors donné la possibilité de porter son message universel spirituel aux autres peuples. Ces résistances populaires, alimentées par nos contes décrivant le burnous de l’Emir Abdelkader troué de balles sans qu’aucune ne puisse jamais atteindre sa spiritualité, constituent le cœur même de notre Algérie en expressions résistantes à toute tentative de corrompre nos âmes. Il en fut ainsi lorsque les militaires colonialistes voulurent réduire à des explications bassement matérielles, la «jacquerie» des Zaatchas, à un refus de payer des impôts sur les dattes qu’ils cultivaient, ou celle du grand Cheikh Mokrani, en défense d’intérêt des propriétés du régime «melk» des paysans de la Petite Kabylie. Comme si on cherchait à piéger les significations de l’être algérien, dans des préoccupations strictement matérielles. Alors que ce peuple est avant tout en recherche permanente du mystère du dévoilement à Dieu. C’est cette même dichotomie factice, au mépris du sens profond des luttes populaires en constructions nationales et étatiques, qui cherche à diviser le mouvement national moderne en réformistes et révolutionnaires, en classant les oulémas du Cheikh Ben Badis dans les premiers en leur déniant tout rôle dans le déclenchement des énergies libératrices des seconds. Cette interprétation du monde en filiation de la négation de Dieu, constitue le génome patrimonial douteux, commun à ceux qui cherchent à nous faire croire que 1962 fut une étape de libération de la terre et qu’il s’agit désormais de libérer le peuple. Comme si nos résiliences populaires ne suffisaient pas en elles-mêmes, dès le moment où elles s’exprimèrent en défis combattants des Aurès, de la Kabylie, des portes du désert au plus profond de notre Sahara, à nous affranchir individuellement de toutes les entraves qui tentèrent de nous lier à une conception profane du monde. Elle ne sera jamais la nôtre tant que nous apprendrons à nos enfants à s’agenouiller devant Dieu et à un président de la République, à s’incliner devant l’expression de nos fiertés populaires, recouvertes du Croissant et de l’Etoile lorsqu’elles passent en revue les armes de nos forces militaires, issues de la Proclamation du Premier Novembre 1954.

…et la Nation inspiratrice du Peuple
Jamais des célébrations du 5 Juillet 1962 n’ont eu une telle signification. 1962 fut une immense fête de la libération. 2020 est un incroyable recueil émotionnel en symbiose historique de nos résistances populaires, illuminant tout d’un coup en profondeur aussi bien l’intimité dont nous sommes faits que les enjeux de l’instant. Tout ceci, au moment où nous nous apprêtons, grâce au «Hirak béni» du 22 février 2019 du refus rédhibitoire de la corruption matérielle, à poser la pierre fondatrice constitutionnelle d’une nouvelle phase du déploiement de notre Etat. Les ossements mortuaires de nos chefs de guerre sont venus à point nommé, un 3 Juillet, jour légal de notre indépendance, dans un invraisemblable entrechoquement de nos sentiments et de notre histoire, pour reposer en paix, réconciliés avec leurs Institutions à nouveau en posture de responsabilité militante, un 5 juillet 2020, jour officiel de l’indépendance nationale. Nous ne craignons pas d’affirmer que lorsque les ossements mortuaires ont atterri sur la piste de l’aéroport international Houari Boumediene, ils ont béni un Etat convalescent qui s’est enfin retrouvé un Chef, Si Abdelmadjid Tebboune. La République attend désormais son inspirateur. Il s’agit en réalité de la libérer de forces anti-démocratiques et antipopulaires, ne jurant que par l’accumulation des bienfaits d’ici-bas, dans un pseudo-radicalisme populiste, ayant pour but de mystifier la jeunesse algérienne. Le «Hirak béni» ne s’est pas contenté de déboulonner des statues. Il a mis à bas un régime du vol éhonté au service de puissances étrangères. Par le pacifisme de sa société civile, partisane et militaire, il a prouvé au monde que Peuple et Institutions pouvaient ne faire qu’un, pour refuser l’avenir sombre qui leur était promis à l’image des évènements qui secouent l’Irak, la Syrie, le Yémen et la Libye voisine, victimes des appétits féroces dont nous avons malheureusement une longue connaissance. Le monde bascule. Pas seulement vers son axe Asie-Pacifique mais dans les mentalités jusqu’à récuser les thuriféraires de la traite négrière, les colonialistes, les impérialistes, les exploiteurs, en même temps qu’émerge une conscience planétaire portée par la défense de la Nature et le besoin de sa communion en une spiritualité de la symbiose avec l’univers. C’est ainsi que furent défaits les groupes de pression qui figent l’Etat français dans des attitudes revanchardes passéistes. Le «Hirak béni», le mouvement social en France, celui des Gilets Jaunes mais également de nombreuses autres luttes, la puissance d’un mouvement antiraciste internationalisé s’exprimant en dehors de la caporalisation dont il fut victime par le passé, les évolutions sociétales ouvrent une nouvelle ère non seulement en Algérie mais également dans le monde. La domination économique incontestable de l’Asie, bientôt ses ordonnancements technologiques majeurs, feront pivoter les rapports de puissance et modifieront les équilibres sociaux de la globalisation. Cela ne va pas sans avoir de conséquences sur les rapports entre l’Etat et la société, en particulier dans les pays sous domination euro-occidentale. Les luttes populaires, sociales et culturelles, ne peuvent plus s’y exprimer dans un rapport ambivalent de contestation de l’ordre national mais de soumission à celui de la division internationale d’entre les Nations. Elles doivent prendre désormais en permanence la mesure de balances de forces, complexes, en perpétuelles évolutions s’exprimant au niveau d’une dimension planétaire qu’il s’agit plus que jamais de saisir pour mettre en ligne aspirations catégorielles et objectifs nationaux, voire synergies régionales aux fins de capitaliser nos luttes populaires en victoires retentissantes.
Brazi