Dépréciation du pétrole, appréciation de la Sonatrach !

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Le temps de l’arrogance prendrait-il fin ? La Sonatrach de l’insolence, celle qui soumettait l’Etat à ses desiderata, voit une période se clore. Ce ne sont plus les traders de l’or noir, à la sauce algérienne, arrachant leurs dividendes à force de copinage de milieux interlopes huppés qui feront désormais la loi jusqu’à contraindre la nation à importer des carburants diesels au lieu de leurs productions. Mais nous devons nous méfier de l’arbre qui cache la forêt. Il existe de nombreux autres dérivés du pétrole qui sont importés par la Sonatrach (les oxygénants pour carburants) à coups de devises fortes au lieu de leur manufacture dans le pays, nourrissant les forces réactionnaires. Un audit rigoureux est nécessaire pour fabriquer ce qui est nécessaire et couper l’herbe sous les pieds des ennemis du développement. Ensuite la contrainte exercée par une direction politique sincère pour transformer une gestion administrée du Pétrole (la Sonatrach) en une véritable entreprise de valorisation des hydrocarbures est un objectif nécessaire mais pas suffisant en soi. La rupture ne se décrète pas tant cet effort structurel dépendra de la qualité de la réforme mais aussi du poids politique qu’exerceront la société civile (dans son implication dans la lutte contre la corruption) et le «Hirak béni» par rapport à une «rogue entreprise» défiant l’autorité publique souveraine jusqu’à lui imposer un modèle économique de la dépendance pétrolière. Enfin, les milieux de la rente n’ont pas dit leur dernier mot. Ces détenteurs anonymes de l’argent sale, nichés au sein de nos administrations en complicités de milieux internationalisés, ne connaissant ni patrie, ni foi, ni loi. Ils nous préparent de véritables épées de Damoclès au-dessus de nos têtes, prêtes à tomber sur nous à la moindre défaillance de la vigueur du mouvement social qu’ils veulent voir sombrer dans la violence.

En demandant à la Sonatrach et à la Sonelgaz de réduire la voilure de leurs investissements et d’orienter, ceux incompressibles, dans le sens de la concentration de la création de valeurs ajoutées ; en traçant des contre-feux politiques aux milieux rentiers de la surfacturation ; en les sommant de cesser l’importation de tout et de rien, le Président Si Abdelmadjid Tebboune ne répond pas seulement aux nécessités de l’heure imposées par le «Hirak béni» du 22 février 2019 et par la pandémie du Covid-19. Il s’appuie sur une conjoncture baissière historique exceptionnelle dans l’histoire des marchés des hydrocarbures, sur une expression populaire irrépressible dont le pacifisme a fait tomber les barrières politiques protectrices de la prévarication que nous pensions infranchissables, sur un reflux d’ordre géopolitique durable de l’influence française au Maghreb désormais ouvert aux Turcs, Russes et Chinois.
Il s’agit de dérouler un programme anti-rentier de première prise de conscience de l’état déplorable dans lequel se trouvent les laissés-pour-comptes, parmi de très larges pans de la population, mais également les grandes et petites entreprises de la nation. C’est un paysage chaotique qui s’offre à la vue d’experts d’hier qui louaient la politique économique du gouvernement d’alors ! Rappelons-nous la théorie de l’émergence des «champions de l’économie» de la… corruption avec laquelle on nous serinait les oreilles pour justifier la mise en coupe réglée de nos banques par une poignée de mafieux flibustiers de mauvais commerce. On nous affirmait au Premier ministère de l’hypocrisie de l’époque, la bouche en cœur, qu’il s’agissait-là du modèle sud-coréen. Pauvres Sud-Coréens ! La Sonatrach est à l’image du pays. C’est un champ de ruines qu’il faut patiemment reconstruire avant de lui imprimer des changements qualitatifs juridiques qui ne permettront plus jamais que de tels échecs se reproduisent.

La contrainte par la dette et l’intégration nationale des facteurs de production
C’est tout le sens du communiqué du Conseil des ministres du dimanche 12 juillet 2020 qui a insisté sur la nécessité impérative «d’un audit profond, une évaluation de son patrimoine, la réduction du nombre de ses représentations à l’étranger, la diminution des postes de responsabilités qui ne sont pas liés au rendement ou à la rentabilité de l’entreprise, le passage d’une gestion qui date d’une époque révolue vers une comptabilité analytique saine». Voilà qui a le mérite de la clarté et de la concision. Ce qui a retenu le plus notre attention est la question de l’évaluation précise du patrimoine. Celui de la Sonatrach est important et il n’est exposé à aucune hypothèque. En clair ce patrimoine immobilier peut être l’un des leviers du basculement de la Sonatrach d’une bureaucratie fossilisée à une compagnie de la performance. Ne faudrait-il pas explorer la possibilité pour la Sonatrach de se financer, graduellement, sur le marché bancaire international (comme toutes les multinationales du secteur), pour mettre son administration de la médiocrité coupable, car vénale, en face de contraintes de remboursements de ses échéances par la réussite impérative de ses projets ? Cela aurait plus d’un avantage. Les dettes internationales qu’elle contracterait (sans garantie de l’Etat) pour son développement joueront le rôle d’aiguillon dans sa transformation, l’obligeront à s’orienter vers les secteurs de la valeur ajoutée, la disposeront à une rigoureuse gestion de ses deniers car elle en sera redevable devant ses créanciers. Par ailleurs, cela nous permettra de libérer de nouvelles marges financières à investir dans les autres secteurs de l’économie.
Pour faire reculer les forces de la corruption qui dirigent fondamentalement l’action de la Sonatrach, il faut faire peser de fortes contraintes financières, non par l’impôt écrasant et improductif, mais par l’endettement raisonné et salvateur. Pour ce faire, il est nécessaire, sur le plan juridique, de rendre potentiellement cessible son patrimoine aux fins de nantir en assurances de première main les créanciers potentiels, même si pour cela, les lois relatives au transport, à la distribution et à la production d’énergie doivent être encore plus rigoureusement reformulées. Nous préférons, de loin, voir la Sonatrach (l’entreprise) s’endetter sur son patrimoine industriel, plutôt que l’Etat céder, sous des formes détournées, ses gisements en hydrocarbures. Dans le premier cas il s’agit d’hypothèques d’importance secondaire dans le second cas de biens stratégiques au sens militaire et de liquidités. Endetter la Sonatrach et non plus l’Etat est une idée séduisante pour frapper au cœur les rentiers. Il reste que si ces mesures peuvent s’avérer nécessaires, elles sont loin d’être suffisantes pour défaire les puissances de l’argent sale. Pour y arriver il est indispensable d’organiser un nouveau rapport social à la rente pétrolière par une sous-traitance de tous types employant des milliers de travailleurs, en dehors de la Sonatrach, l’encadrant au plus près de ses dépenses nécessaires pour faire de son intégration un levier essentiel à la bonne orientation, c’est-à-dire à la production nationale des facteurs de son exploitation efficiente. La sous-traitance ne vaut dans un système rentier comme le nôtre que par les contraintes règlementaires qui obligent la Sonatrach.
Toute petite et moyenne entreprise qui décrocherait un contrat avec la Sonatrach doit pouvoir être automatiquement financée par nos banques nationales, le contrat faisant office de garantie. Mais avant d‘en arriver à ce stade de réalisation idéale et impossible à atteindre dans l’état actuel de corruption endémique qui caractérise sa gestion, il s’agit de faire émerger une société de l’engineering du secteur des hydrocarbures, indépendante de la maison-mère, capable d’établir des cahiers des charges techniques rigoureux et détaillés de l’ensemble des besoins techniques et technologiques. Un appel aux fournisseurs nationaux pourrait alors être organisé par ces ingénieurs intégrateurs, sous forme de datas show technique des besoins industriels et de services divers et variés (de la simple boulonnerie aux logiciels les plus sophistiqués). Nous affirmerions ainsi, de manière permanente et publique – en y consacrant un pavillon dédié, ouvert toute l’année en un atelier d’affaires, opérationnel, à la Foire Internationale des Expositions par exemple – la volonté de susciter la confiance d’investisseurs que de telles opportunités intéresse. Seule l’entreprise de l’engineering pourrait se prononcer sur la validité du projet de l’investisseur (y compris la qualité et les prix des biens et des services offerts) sans que la Sonatrach ne puisse interférer si ce n’est dans la définition de ses besoins. Le reste ne devant plus être du ressort d’une administration pétrolière douteuse, si ce n’est le règlement des prestations demandées.

Changer de culture d’entreprise
Il est indispensable d’institutionnaliser de telles dynamiques en planifications volontaristes et d’en évaluer annuellement les progrès par des organismes indépendants chargés de mesurer l’état d’avancement de l’intégration ainsi réalisée en mode de sous-traitance industrielle. Il y a là des gisements d’emplois importants et des chiffres d’affaires à plusieurs milliards de dollars, capables de donner un souffle nouveau à notre industrie défaillante (représentant à peine 5% du PIB) de débouchés viables, en particulier dans les domaines de la mécanique, de l’électricité, de l’électronique, informatique, automatique etc. Pour réussir de telles réformes, il est désormais impératif de réorganiser de fond en comble la Sonatrach. Son articulation suivant un schéma de l’amont à l’aval est obsolète. Il nous semble plus pertinent de suivre une logique «produits», pétrole et gaz étant abordés de manière différenciée car il ne s’agit pas de la même industrie. De plus, au sein de chacune des filières «gaz» et «pétrole», il est nécessaire de refonder des synergies intégratrices entre différentes grandes fonctions vitales. La Sonatrach ne rayonne pas en influences sur le tissu industriel environnant, car elle-même se vit également en entités désarticulées comme si le forage du pétrole n’avait absolument rien à voir avec sa commercialisation et son transport maritime alors que l’efficacité de la logistique et son optimisation économique voire financière est d’une importance capitale pour la valorisation globale de l’activité pétrolière en fonction des marchés Platt’s, qu’un outil comme Hyproc, notre compagnie nationale du transport maritime de nos hydrocarbures, peut nous permettre de mieux monétiser. La Sonatrach possède des cadres de tout premier plan. Ils ont de tous temps refusé la corruption et se sont appliqués à faire tourner l’appareil de production malgré toutes les incohérences inhérentes à une administration dévoyée. Les fonctions commerciales peuvent être repensées ainsi que celles qui ont un rapport direct aux approvisionnements.
La direction gagnerait à être collégiale dans le «management» et s’appuyer sur la valorisation rigoureuse des métiers de base en liaison intime d’un suivi méticuleux de chacun des marchés concernés. Pour prendre une image empruntée au secteur financier, la Sonatrach agit comme une banque de détails alors qu’elle devrait se comporter comme une banque d’affaires au service de la nation. Ses modes d’action sur le plan international doivent répondre à la modernité introduite par les fonds d’investissements. En interne, les critères de primes salariales sont ineptes lorsqu’ils se réalisent à l’ancienneté et non pas à la performance qu’il est impératif d’introduire dans l’ensemble des grandes fonctions pétrolières et gazières prises dans leurs segmentations respectives spécifiques. Pour ce qui concerne la composition managériale de ceux qui doivent présider, en collégialité, deux profils sont requis : les pétrochimistes et les financiers. Les premiers seront enclins à accentuer les transformations valorisantes à partir du gaz et du pétrole, les seconds concourront à une comptabilisation analytique et non plus quantitative des performances de la Sonatrach qui doit désormais apprendre à devenir une… entreprise. Nous en avons les capacités humaines et la nouvelle direction du pays annonce un sens aigu des responsabilités en remettant en cause radicalement le confort du parasitisme rentier. Si nos valeureux chouhada ont payé du prix du sang pour sauvegarder, face au colonialisme, nos potentiels en hydrocarbures, ne sommes-nous pas capables d’en recevoir le salaire de l’intégrité morale, de l’effort et du travail appliqué ? Aux cadres patriotes et sincères de la Sonatrach et du ministère de l’Energie de nous surprendre.
Brazi