Une succession de clichés sur l’Algérie reposant sur des procédés journalistiques bien curieux

M6 – L’ALGERIE – LES PARTIS-PRIS

Au sortir du reportage diffusé dimanche 20 septembre 2020 soir sur M6 concernant le Hirak algérien, le téléspectateur peut en sortir groggy. Ainsi, l’Algérie se résumerait à une jeunesse entière désabusée qui prend la chaloupe méditerranéenne pour échapper à un système bloqué, des femmes voilées vivant sous le boisseau d’un gouvernement totalitaire opaque de connivence avec les islamistes barbus. Le sensationnalisme constitue une vieille recette journalistique pour faire le buzz. Un chien qui mord une vieille n’intéresse personne, mais une vieille qui mord un chien….

Les réactions qui ont suivi cette enquête d’une part par une partie des protagonistes de ce reportage et d’autre part du gouvernement algérien (dépôts de plaintes, saisine du CSA, interdiction de diffusion pour la chaîne M6 en Algérie) sont révélatrices d’une onde de choc. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner que le reportage, la ligne éditoriale, le parti-pris, les objectifs cachés constituent les contreparties de la liberté de la presse. La vitalité du débat démocratique est à ce prix. Mais les tenants de la liberté de la presse en France doivent aussi veiller à la défendre dans ce pays : interrogeons-nous sur les débats autour de la protection des sources, la mainmise des grands groupes industriels devenus propriétaires des principaux journaux et lignes éditoriales, du traitement médiatique des mouvements des Gilets jaunes et des journalistes couvrant ces évènements.

La vitalité et la complexité de la société civile algérienne passées sous silence
Le reportage de M6 opère d’une vision incomplète, volontairement incomplète. Interrogeons-nous avec quelques reculs… Dans combien de pays un mouvement tel que le Hirak se serait transformé dans une dérive sanguinaire, déstabilisant totalement le pays en question? Des pays sont aujourd’hui en lambeaux après avoir connu «un mouvement populaire spontané exigeant la démocratie». Ne nous y trompons pas. Le peuple algérien, la société civile algérienne mobilisés à travers le Hirak sont entrés dans l’Histoire des Révolutions. Un magnifique mouvement populaire pacifique qui a fait exploser un système à la dérive. La société algérienne est riche de sa diversité, sa jeunesse l’une des plus dynamiques au monde à l’image de son territoire : d’une richesse absolue. Le peuple algérien, la jeunesse algérienne, l’Algérie, ont subi dans le passé de terribles épreuves, si bien que la méfiance à l’égard des «donneurs de leçons étrangers» reste salutaires. L’Algérie s’est retrouvée toute seule dans ses pires moments. Le regard si singulier des médias sur l’Algérie fait échos au regard nauséabond des médias français sur la communauté franco-maghrébine.
Les clichés en France sur l’Algérie ont la vie dure. Mais il est vrai que le système de gouvernance algérien est tellement singulier. Ce reportage ne peut laisser le lecteur de marbre. Le déchaînement hideux des grands médias français à l’encontre de l’Islam constitue l’autre facette de cette même projection. Imaginer des députés français qui dénient toute humanité à une femme voilée intervenant devant eux, au nom d’une laïcité en réalité bien dévoyée… Le regard effaré des médias étrangers sur le débat français (le voile, la laïcité, l’ensauvagement, l’islam) en dit long sur le racisme médiatique ambiant. L’absence de réactions fortes des intéressés (issus des mondes politiques, économiques associatifs, ou des corporations) est éloquente quant à son désarroi. L’absence de prise de conscience de la situation des Franco-Maghrébins en France est très inquiétante. Ces dérives populistes risquent bien de frapper de plein fouet les futures générations.
Nous voilà prévenus. La diaspora algérienne : un levier précieux et indispensable pour la rénovation de l’Algérie débarrassée de ses propres turpitudes pour relever les défis à venir. Autant les parcours individuels des membres de la diaspora franco-algérienne sont marqués au coin de réussites individuelles éclatantes et bien souvent silencieuses, autant il revient à la communauté franco-algérienne de se constituer en corps organisé pour, d’une part, peser sur son sort en France et d’autre part participer à l’avenir de l’Algérie. Il serait un comble pour l’Algérie, à la croisée des chemins, de pas s’appuyer sur les membres de cette diaspora qui sont ses enfants. La gouvernance algérienne peut compter sur l’intelligentsia de sa diaspora pour se rénover afin de répondre aux aspirations légitimes du peuple algérien et de sa jeunesse. Ce reportage finalement aura l’avantage d’en montrer l’impérieuse nécessité.
Brahim Mabrouki Président de l’Association Le Grand Maghreb