Bruce Springsteen sort un nouvel album à 71 ans

Musique rock

C’est vraiment la quintessence du type bien. Le genre qui s’entretient, qui aime la même femme depuis trente-deux ans, qui travaille sans relâche mais ne néglige pas sa famille, qui traite bien ses collègues et milite pour des causes justes. Toute sa vie, il a fui les excès autant que les opinions politiques douteuses.

À 71 ans, il est mince, musclé, avec une capillarité régulièrement implantée, grisonnant à peine au-dessus des oreilles. Son look repose sur une constante ou plutôt une matière : le jean, et il est indémodable. On ne lui connaît aucune faute de goût. En quarante-sept ans de carrière, il n’a jamais connu de revers. S’il est déprimé, il en parle à son psy. Il est si lisse, si parfait, il est presque ennuyeux. Mais comme en politique, en temps de tumulte, il est parfois bon de revenir aux valeurs sûres. Et côté rock, Bruce Springsteen en est une. Avec sa voix rocailleuse, poussée au maximum et qui fait vibrer les stades, Bruce Springsteen est un des rois du rock américain. Il a vendu plus de 130 millions d’albums dans le monde. Il est connu aussi bien pour ses tubes entraînants («Born in the USA», «Dancing in the Dark», «I’m On Fire») que ses engagements pour les démocrates, les ouvriers, les laissés pour compte. Sa chanson «Rise Up» est actuellement utilisée pour une publicité sur Joe Biden. Cela faisait sept ans qu’il n’avait pas écrit. Et puis un soir, à la sortie d’un de ses spectacles à Broadway (dans lequel il se racontait à travers des souvenirs et des chansons), un fan italien lui a offert une guitare et l’inspiration est revenue. Il a rappelé son groupe historique : E Street Band. Retirés dans sa ferme du New Jersey, ils ont enregistré en quatre jours, dans des conditions live, neuf nouveaux titres et trois inédits datant des années 1970. Les septuagénaires prouvent qu’ils n’ont rien perdu de leur sens du rythme et de leur adresse. Les guitares, batteries, basses, claviers sont très rock, voire folk, comme dans la superbe balade «One Minute You’re Here», rappelant Bob Dylan, son idole. Springsteen (qui ressemble de plus en plus à Robert de Niro) ne parle pas de politique (à part cette pique à Trump, la seule de tout l’album) ni de la pandémie, mais de thèmes intemporels. Dans sa chanson «Ghosts», il chante «la beauté et la joie d’être dans un groupe, la souffrance liée à la perte de l’autre à cause de la maladie et du temps», explique-t-il. Mixé par Bob Clearmountain (Rolling Stones, Johnny Hallyday), c’est un de ses meilleurs opus. Ce vingtième album est accompagné d’un documentaire aux allures de spot publicitaire, filmé en noir et blanc dans les coulisses de cet enregistrement pour Apple TV. On y voit The Boss à l’œuvre, précis, un poil autoritaire, mais touchant dans son perfectionnisme. Il y commente quelques images d’archives, parle de ses débuts, décrit son processus de création, sa relation avec le groupe… C’est plus un concert acoustique filmé en studio qu’un documentaire biographique, mais les chansons sont irrésistibles et conçues pour la scène, donc c’est plutôt efficace. On se sent comme une petite souris sous la table de mixage, assistant à un moment de la vie de Springsteen et de l’histoire du rock.
A.-S. J.