Une culture et des traditions

La cuisine de nos aïeux

Ils ont vécu dans les pires difficultés, mais personne n’a eu à mourir de faim depuis les origines. Quant au travail des cuisinières, il a toujours consisté à accommoder les manques aux besoins en nourriture. Question de culture ou de savoir-faire.

«Nous travaillerons pour les autres jusqu’à notre vieillesse et quand notre heure viendra, nous mourrons sans murmure et nous dirons dans l’autre monde que nous avons souffert, que nous avons pleuré, que nous avons vécu de longues années d’amertume et Dieu aura pitié de nous (Tchekov). Cette belle citation a été extraite par M. Feraoun d’un texte de cet auteur russe parce qu’il l’a trouvée en parfaite conformité avec notre société traditionnelle qui fait d’un père et d’une mère, toujours unis par les liens du mariage pour faire face aux aléas d’une vie incertaine en élevant leurs enfants jusqu’à la fin de l’adolescence.

La terre nourricière, un symbole et une histoire
Elle est le symbole de l’identité en tant que terre héritée des ancêtres. Nous sommes à l’ère coloniale au cours de laquelle, les familles algériennes étaient pour la plupart attachées aux parcelles de terres qui leur avaient été laissées par les expropriateurs étrangers. Mais, il s’agit de terres que les propriétaires cultivaient avec soin pour obtenir d’elles ce dont ils avaient besoin pour vivre : cultures maraîchères sur les flancs de colline, plantation d’arbres fruitiers. Pour désigner cet espace de terre cultivable, on emploie généralement l’appellation de «champ» qui a son correspondant en arabe ; quand on y a planté des oliviers, figuiers privilégiés dans la tradition pur leurs fruits à longue conservation. Nos anciens étaient ingénieux, au voisinage immédiat de leurs maisons, ils créaient des jardins potagers juste suffisants pour les besoins de la famille en oignons, pommes de terre, salade, tomates, haricots.
Il faut ajouter que chaque famille avait ses poules pondeuses et une ou deux chèvres, selon les moyens. Pour le couscous ou la galette, la majorité qui n’avait point d’argent pour les grands achats, utilisait la semoule d’orge mélangée à celle des glands ramassés par sacs aux pieds des chênes qui avaient envahi la nature. L’orge était à l’époque classé comme aliment des pauvres, comme les glands qui, de plus, servaient de succédané du café ; on les grillait comme les grains de café avant de les transformer en poudre qui donnait un liquide noir quand même buvable additionné de lait de chèvre.

De la terre à l’assiette
Quelquefois, le passage était direct quand il s‘agissait de crudités : comme la tomate, l’oignon, la salade. Quant aux autres ingrédients, ils devaient passer par la cuisson pour arriver à l’assiette, c’est le cas du piment, poivrons, haricots, pommes de terre, qu’on faisait cuire à la vapeur, dans l’eau ou dans l’huile. Nos aïeux savaient faire beaucoup de plats nourrissants et qui donnaient de la force. Ils se rendaient à leur propriété située parfois à plus de 10 km et à pied, le soir ils rentraient en marchant parce que la bête de somme indispensable à la vie servait pour le transport des provisions de toutes sortes. Leur prévoyance fut telle qu’ils ramenaient le bois du printemps à la fin de l’automne. Et le bois, comme le fourrage pour le bétail, servait pour la cuisine et le chauffage. Rien ne se perdait pour eux.
Les braises presque ou pas tout à fait éteintes servaient à faire cuire les œufs couverts de papier ordinaire, en l’enfouissant sous la cendre chaude, par mesure d’économie. Les poules qui se nourrissaient d’elles-mêmes en allant parfois loin pour ramasser des grains à picorer, pondaient de gros œufs souvent à deux jaunes dans des endroits qu’il fallait découvrir. Il fallait connaître leur nid. En réalité, les aïeux étaient plus près de la terre et leur vie était aussi saine que simple, n’avaient pas besoin de prendre le couffin pour acheter les légumes dont ils cultivaient les plus importants pour la vie. Ils ramassaient les olives tombées à terre pour avoir de l’huile.
Et toutes les familles dormaient sur des matelas en paille ou en crin posé par terre. De plus étant de vrais croyants qui se contentaient du nécessaire pour vivre, ils savaient que l’homme a pour origine la terre qui le nourrit et que son destin est de retourner à la terre. Les auteurs de romans ou de pièces théâtrales qui associent la terre à leur titre, donnent un sens connotatif à celle-ci. «Terre des hommes» de Saint Exupéry, la Terre et le sang de Féraoun, «La terre» de l’Egyptien Cherqaoui, en sont des exemples à méditer en axant la réflexion sur le sens donné à chaque fois.
Abed Boumediene