Le tatouage sous toutes ses formes

Modes de communication insolites

Quand on parle de tatouage, on pense aux graffitis, les deux modes de communication insolites ayant la même vocation d’être porteurs de messages forts et d’émaner des pires caprices humains.

Par ces deux formes d’écriture entrant aussi dans la catégorie des arts, l’homme extériorise tout ce qu’il a d’extravagant dans son intériorité comme désirs, rêves, sentiments. Lorsqu’on voit les formes, les couleurs, le contenu des messages, de leurs signes, on se demande ce que les producteurs ont l’habitude de ressentir par rapport à la société et quelles sont leurs obsessions maladives ou intentions passagères. Et dans tous les cas de figure, ils relèvent de la psychanalyse ou de la psychothérapie.

Le tatouage comme écriture de tous les temps
Contrairement aux auteurs de graffitis qui sont anonymes, les porteurs de tatouages s’exhibent en public pour se faire remarquer et inciter les autres à faire l’effort de décrypter leurs signes symboliques avec tout ce que cela laisse supposer comme signifiés de connotation. Les dessins, reproduits sur la peau moyennant des séances de gravures colorées, sont d’apparence banale mais ils renvoient à des pensées personnalisées bien installées dans l’esprit des patients qui font reproduire sur leur corps des objets, parties du corps, animaux qu’ils se choisissent au préalable, sous le prétexte qu’ils sont représentatifs de toutes leurs obsessions. Les motifs gravés sont indélébiles et restent donc à vie. Le tatoueur les réalise au moyen de pointes tranchantes ; au fur et à mesure de l’opération, il trace dans l’épiderme ses lignes multiformes, essuie le sang puis introduit la couleur désirée par son client ; ce dernier le regarde faire dans la douleur et le calme parce qu’il a le sentiment que tout travail d’artiste ou d’artisan demande beaucoup de patience pour le réussir.
Tous ceux qui se chargent de tatouer les autres sont à la fois des artisans à la main habile et des artistes ayant le sens du mariage des formes et des couleurs, bref, de l’esthétique des symboles. Un cœur traversé par une flèche, un œil à demi ouvert, un regard crispé, un fruit bien mûr ou vert, un outil sont reproduits avec dextérité et l’esprit de créativité. Ceux qui se font tatouer appartiennent à une diversité de catégories sociales. Il y a ceux qui décident de marquer leur peau, mais à une partie comme le bras, la poitrine, le dos et chacun pour des raisons personnelles. Il existe des régions d’Algérie à longues traditions culturelles, où seules les femmes portent des tatouages au front ou aux pommettes, aux joues, quelque fois même au cou. Elles considèrent ces dessins comme protecteurs.
Le mauvais œil est dévié vers d’autres, selon la croyance. Les motifs pour ces femmes des Aurès ou des montagnes de Kabylie sont à peu de chose près identiques. Il nous a été donné de voir en couverture de livre, une image de vieille tatouée sur les joues signifient l’idée de femme authentiquement nationale. Il y a des pays où les hommes se font tatouer pour être marqués à vie. Des vieux qui ont vécu au Maroc sont revenus le dos ou la poitrine tatoués de haut en bas et de gauche à droite. On dit que des femmes qui ont été leurs campagnes pendant leurs années d’exil ont exigé d’eux ces tatouages, peut-être comme témoignage de fidélité.

On peut considérer les tatouages comme des œuvres d’art
On a relevé auprès des marins qui parcourent les océans et les mers toute l’année. Il s’agit, depuis la nuit des temps, d’hommes attachés à la navigation comme marchands allant d’un continent à l’autre, de contrebandiers cherchant à rehausser leur image, à se donner un look d’invincibles. Il y a des gens de bonne moralité qui considèrent ces tatoués, voyageurs en bateau, comme des dévoyés. Sont-ce là des préjugés ou des jugements fondés ? Le tatoué est vu comme quelqu’un dont il faut se méfier. Le tatouage comme œuvre d’art qui est notre sujet est une pratique ancienne qui relève de l’esthétique des apparences.
On se fait tatouer pour attirer l’attention des autres sur soi. Les Marocaines, peut-être même aussi les Tunisiennes et les Egyptiennes le font parce que cela fait partie d’une tenue, d’un accoutrement traditionnel mais chez elles, il ne s’agit pas de tatouages à vie, mais temporaires. Elles le font pour se donner de l’importance. C’est pourquoi elles le font avec du henné de toutes les couleurs. Sur des peaux très blanches, cela fait l’effet d’un tableau de maître. Les tatoueuses qui ont appris le métier par transmission font preuve d’un grand savoir-faire et de patience pour répondre aux vœux de leur clientèle. Juste pour le temps de trouver un partenaire pour la vie, elles exigent de la spécialiste qu’elle se plie à ses désirs pour des raisons intimes. Lorsque tout est fini, c’est un véritable chef-d’œuvre qui s’offre à la vue, des mains expertes en la matière sont passées par là avec l’intention de séduire.
Les grands tatoueurs des pays qui ont perpétué cette pratique font de véritables œuvres d’art représentant des décors en polychrome de nature sauvage, d’ensembles harmonieux d’êtres hors du commun. On a privilégié les animaux de la jungle en situation d’attaque entre diverses espèces qui font le plus peur ou qui s’adonnent à des scènes impressionnantes. Quand on voit leur dos ou leur poitrine, sinon leurs bras et leurs avant-bras entièrement recouverts de tatouages, on reste sidérés. On ne peut pas imaginer le nombre d’heures, de jours, peut-être de mois de travail que cela exige ; c’est un véritable chantier qu’on charge le tatoueur de réaliser et à quel prix.
Abed Boumediene