Genèse, caractéristiques, évolution et perspectives

Hirak

Dans cette modeste contribution, sur la base d’une tentative d’approche marxiste-léniniste(1) de l’histoire immédiate, sur le «Hirak» ou soulèvement populaire, je m’appuierai sur une reconstitution chronologique approximative des divers faits marquants amassés dans les sources journalistiques et orales de première main, en plus de certains échanges avec des camarades et ami(e)s, d’internet (avec la nécessaire prudence exigée à cause de la propagande perfide – fake news – des protagonistes), et de l’observation directe de l’événement à Oran pendant plusieurs semaines et Alger, pendant le 8 novembre 2019 et les 21 /22 février 2020.

N’ayant pas accès aux sources policières et autres archives publiques des services de renseignements, importantes pour confronter les diverses données, et suffisamment de recul, je considère livrer ici une brève analyse préliminaire sur le déroulement enchainé et apparent des séquences de cet événement historique qui nécessite d’être approfondie à l’avenir lorsque toutes les faces cachées seront plus visibles aux chercheurs. La prudence et le doute s’imposent encore plus dans ce cas. En 2014, j’avais souligné, dans une contribution politique sur les instruments politiques de la révolution, le rôle primordiale du « (…) mouvement des masses populaires que rien ne remplacera, pas même les trois instruments politiques nécessaires réunis ensemble…». (2) En faisant allusion au parti d’avant-garde de la classe ouvrière et ses cadres d’alliance impératifs durant cette étape. D’une petite étude historique critique consacrée aux manifestations populaires de décembre 1960, en 2011, j’extrais de la première note la remarque suivante : «L’auteur n’est pas partisan de la conception policière de l’histoire qu’il trouve même dangereuse, mais pense qu’à chaque facteur il faut donner sa juste proportion.
Le pouvoir d’Etat politique depuis la nuit des temps use de services spéciaux dont l’action en progrès constant est secrète et déroutante, et mérite l’attention de l’historien comme toute autre forme d’action de masse, médiatique, diplomatique, militaire, politique. Et c’est la sous-estimation de l’étude de l’histoire de la fonction secrète qui serait étonnante pour la compréhension globale du passé, en éclairant au maximum ses multiples énigmes et sa face cachée. C’est tout l’art du métier d’historien qui doit bannir «la théorie ou plutôt le mythe du complot» sans négliger l’étude scientifique de «l’iceberg de l’histoire» qui relève des méthodes du monde de l’espionnage et du contre-espionnage, des hommes de l’ombre comme on dit dans leur propre jargon. (3) J’ai déjà fait une contribution succincte sur le «Hirak» en septembre 2019, sous forme d’analyse de la situation politique nationale(4) et un texte de projet de déclaration de principe à la veille du 1er novembre 2019 qui caractérise la phase que traverse l’Algérie de façon condensée et détermine les orientations générales d’une ligne de conduite comme alternative propice à débattre.
C’était à la veille du scrutin des présidentielles du 12 décembre 2019, pour lequel avec un groupe informel de camarades de l’ex-PAGS, nous avons appelé à y participer tactiquement par un bulletin nul, (5) alors que jusque-là, on avait toujours boycotté toutes les élections durant le long règne du président coopté et imposé à notre peuple et qui lui promit démagogiquement au début, la dignité «العـزة و الكـرامة» mais en finalité, lui servit par le stratagème de la ruse politicienne l’avilissement et le mépris. Dés le début du « Hirak », j’ai fait circuler l’information d’un politologue iranien de source des renseignements de son pays, qui signalera dans le journal libanais El Akhbar en arabe, le déploiement de forces opérationnelles aux diverses frontières de l’Algérie dans des bases occidentales (U.S.A., France, Israël) pour guetter l’évolution de la situation du mouvement populaire. Cette information sera très vite reprise par la presse algérienne écrite et électronique. (6)

Genèse du «Hirak»
Ledit «Hirak» algérien s’était déclenché progressivement sous forme de contre-manifestations, dans un mouvement ascendant, en réaction et rétroaction aux multiples regroupements initiés par l’alliance bouteflikienne au pouvoir, dans le cadre des présidentielles d’avril 2019 autour d’un «portrait» d’une semi-momie. Il a eu comme facteur déclenchant principal, l’annonce du 5éme mandat vécue par le peuple algérien comme une humiliation et une remise en cause du caractère républicain de son Etat-national, acquis de la guerre d’indépendance nationale, avec le soutien extérieur des pays qui ont parrainé depuis 1999 l’accession au pouvoir du despote Abdelaziz Bouteflika, France-USA-EAU. et paradoxalement, l’opposition de l’Etat profond qui l’avait intronisé au début et soutenu pendant les trois premiers mandats, en modifiant la constitution sur le nombre des mandats présidentiels. La police politique dirigée par le général-major Mohamed Mediène dit Toufik – dont l’hégémonie planait sur les deux autres pôles du pouvoir (Présidence et Etat-major) depuis 1992 – n’ayant pas réussi à surseoir au 4éme mandat, avait perdu sa prééminence au profit de l’Etat-major de l’A.N.P. dirigé par le défunt général-major Ahmed Gaïd Salah depuis 2013, tout en gardant une forte influence sur la société civile et l’appareil d’Etat à travers la toile tissée de ses réseaux d’auxiliaires qui n’épargna aucune sphère avec toutes ses ramifications tentaculaires.(7) Cette rivalité chronique trouve ses profondes racines historiques dans le conflit permanent entre maquisards et D.A.F. (8) surtout à partir de la création de l’E.M.G. unifié en 1960 au sein de l’A.L.N. sous la direction du défunt colonel Houari Boumediene, transposé dans l’A.N.P. après l’indépendance en 1962 et se cristallisant pendant les crises successives dans les luttes autour du pouvoir disputé par les multiples franges de la petite bourgeoisie qui en avait l’hégémonie ; ensuite celles de la bourgeoisie conquérante des hautes sphères de ses arcanes depuis l’ère de l’infitah libéral de 1981 qui fortifia progressivement sa domination sur les rouages de l’économie.(9) Tous les indices démontrent que ce sont les mêmes réseaux agissant timidement contre le 4e mandat, qui s’étaient redéployés dans une offensive acharnée contre le 5e et cette fois-ci avaient leur propre candidat sosie en la personne du général Ali Guediri, même si l’appel à manifester le vendredi 22 février 2019 demeura anonyme.
Ils constituaient la principale force politique avec leurs relais dans les partis de toutes obédiences, les associations, les syndicats, les médias, les appareils de l’Etat, les assemblées, les centres de recherche, les «réseaux sociaux» (facebook et Youtube)…animés par les dhoubabs (trolls) et des agitateurs-propagandistes et manipulateurs professionnels (Bensedira, Rahmani, Derradji…), (10) voire anonymes et un éclaireur-voltigeur politique, déguisé en faux-candidat qui sillonna le territoire national de bout en bout, chauffant les esprits des jeunes algériens, soulevant «la populace» contre la mascarade électorale par une pré-campagne sous forme de contre-mascarade. Il s’était déjà illustré comme candidat en 2014 en Algérie et même en France auparavant, en l’occurrence Rachid Nekkaz, un B.H.L. franco-algérien, capitalisant une expérience appréciable dans la stratégie et les techniques de manipulation des foules et ayant à sa disposition une manne financière inépuisable le dotant d’un don d’ubiquité qui lui permit de narguer partout l’équipe de l’homme figé au fauteuil roulant, y compris en Suisse où il a été évacué pour le rendre plus présentable, au moment opportun du scrutin explosif.(11) Il est vrai que d’autres forces politiques se sont aussi préparées contre le 5éme mandat, gravitant autour de la nébuleuse islamiste à travers la chaine T.V. d’El- Magharibia et les «lives» des leaders de Rachad, le mouvement berbériste et la chaîne berbère TV, la social-démocratie avec toutes ses variantes dont le trotskysme, l’opposition libérale…et avaient décidé de s’engager dans la bataille des élections présidentielles. Le candidat de l’Etat profond s’était même distingué des autres, acceptant de défier Abdelaziz Bouteflika en le concurrençant ! (12).
Avec le recul, on peut déduire que l’appel à manifester le 22 février provient des réseaux de l’ex-DRS, mais le grandiose torrent des masses populaires déferlant partout les grandes artères des villes et surtout de la capitale, avait dépassé tous leurs calculs et prévisions. (13) Comme en décembre 1960, les contre-manifestations populaires initiées secrètement par les réseaux gaullistes de «l’Algérie algérienne», dirigés par le colonel François Coulet, directeur des affaires politiques – en réaction aux manifestations des partisans de «l’Algérie française» et «récupérées» par le FLN.ALN, avec le mot d’ordre «d’Algérie musulmane et indépendante» (14), le «Hirak», surprenant dans un premier temps l’Etat-major de l’ANP, sera vite «récupéré» par ce dernier avec le mot d’ordre «Djeïch Chaâb khawa khawa», contre le 5e mandat et le prolongement du 4e, etc. L’intervention massive de la classe ouvrière, en amont du «Hirak» dans tous les secteurs de l’économie nationale, surtout le mois de mars de l’année 2019, pesa de tout son poids sur celle de l’ANP et avait été déterminante (15) pour faire avorter le projet du 5e mandat, grâce au rapport des forces sociopolitique résultant de l’affrontement de classe, masqué et déformé pour la perception consciente par le tiraillement entre clans, au moment culminant du mouvement, confirmant le rôle principal des masses populaires dans la marche et le façonnement objectif de l’histoire…(16) en amorçant l’issue à la crise politique et institutionnelle d’un régime aux abois.
B. Lechlech. Chercheur-Historien