Le «voile» en islam : approche historique et coranique (partie 1/4)

Religion

Ces derniers jours, la thématique du voile de la musulmane refait surface (notamment à cause d’un projet d’amendement voulu par une députée LREM pour interdire le port du voile aux petites filles), thématique il faut le dire très récurrente sur la scène médiatique et politique française, et de cela naissent ou resurgissent de nombreux débats et prises de position. Parmi celles-ci, nombre de musulmans affirment, face à ce qu’ils appellent les «modérés» ou les «égarés», que le Coran, la sunna prophétique et le consensus des savants contiennent des arguments irréfutables quant à l’obligation du fait de se couvrir la tête pour la femme musulmane.

Pour autan, il convient donc de garder en tête l’objectif coranique à respecter : le but n’était pas de porter le jilbâb à tout prix, de façon continuelle et en toute circonstance, mais il était de préserver la femme par un moyen efficace dans le contexte de l’époque. L’orthodoxie fait aujourd’hui et depuis longtemps du jilbâb un but, alors que pour le Coran, il n’est qu’un moyen de réaliser un objectif bien plus noble. De même, si le moyen n’est pas adapté, il faut donc pouvoir le changer, tout en préservant de dessein premier, car si l’objectif est universel (préserver la femme des offenses qu’elle subit), le moyen doit forcément être adapté à chaque contexte pour que l’objectif se réalise. Ainsi, le vêtement est censé lutter contre les offenses et non en être une cause. Que le jilbâb soit un moyen efficace dans l’Arabie du VIIe siècle ou ailleurs de préserver la femme est une chose, mais généraliser son port dans une situation où, en outre, il engendre les offenses, cela n’a rien de cohérent et ne respecte nullement l’esprit du texte coranique. De nos jours, il y a une véritable inversion des valeurs et des priorités : de nombreuses musulmanes font du port du jilbâb un objectif en lui-même, peu importe les circonstances, et ce, même si ce jilbâb là où elles vivent est pour elle une source de difficultés, de stigmatisation, d’offenses, voire d’agressions physiques.
Pourtant, le «voile», du moins le jilbâb, a pour fonction initiale coraniquement de préserver les femmes musulmanes des agressions, insultes et autres comportements néfastes. Si cette fonction n’est pas remplie à notre époque, alors c’est que «l’outil» n’est plus adapté et qu’il n’a plus lieu d’être en tant qu’obligation. Il ne s’agit pas de s’incliner ou de s’humilier devant les haineux, mais il s’agit de préserver la femme des offenses qu’elle subit car ceci est l’objectif coranique du verset 33/59 clairement exposé. Pour le Coran, le but n’était pas de porter le jilbâb en toute circonstance, mais il était de préserver la femme par un moyen efficace. Or, l’orthodoxie a modifié sur ce point les valeurs en faisant du moyen un but et en mettant le but aux oubliettes… Certes, je conviens avec force que les musulmanes n’ont pas à céder face aux pressions et offenses, mais ce n’est pas céder que d’envoyer les femmes au front. Je pense qu’il est préférable de penser théologiquement avec l’objectif premier de préserver la femme tout en œuvrant, en parallèle, pour que le peuple de France ait une autre perception du message coranique et comprenne qu’il n’y a globalement pas de danger dans le port du voile puisqu’il exprime majoritairement une certaine conception du rapport au corps et à la spiritualité. Mais pour comprendre ce raisonnement théologique, il faut revenir à une règle élémentaire de logique et de bon sens, qui se trouve être également l’une des règles fondamentales des uṣûl al-fiqh (fondements du droit), que l’on nomme qawâ`id al-fiqh (préceptes du droit), et qui est notamment expliquée par l’imâm al-Juwaynî dans son ouvrage al-Waraqât.
Cette règle stipule la chose suivante «Le ḥukm (statut d’un acte) va de pair avec sa ‘illa (ratio legis, raison d’être), qu’elle soit présente ou qu’elle n’existe plus.» En d’autres termes, si la cause d’une norme est présente, cette dernière sera présente également. Mais si la cause de cette norme disparaît, alors elle disparaîtra aussi. Ainsi, lorsque le Législateur a identifié un élément comme étant la cause ou la circonstance immédiate d’un ukm (statut normatif/jugement), alors si la cause est présente cela nécessite l’application du jugement, mais si elle n’est plus présente, alors le jugement ne s’applique plus. Dans le cas du verset 33/59, ce dernier est explicitement cadré par deux conditions d’application données par le Coran lui-même, à savoir le fait que cela serve à lutter contre l’offense que subisse réellement (et non hypothétiquement) les femmes croyantes et qu’elles soient reconnues comme n’ayant pas une attitude laissant penser que les offenses puissent être «justifiées». La question qui se pose en France est alors la suivante : est-ce que les musulmanes qui ne portent pas le «voile» ou le jilbâb risquent fortement de subir des agressions et des offenses et est-il nécessaire qu’elles s’habillent d’une manière précise, au-delà de la pudeur élémentaire demandée à chaque croyants et croyantes, pour que le risque d’offenses soit nettement amoindri ? La réponse est non. Bien plus, les musulmanes qui subissent aujourd’hui le plus de désagréments de par leur tenue sont soit celles qui se dévêtissent à outrance (donc de façon non conforme au message coranique), soit celles qui portent un voile «classique» ou un jilbâb. Ceci dit, il est important de noter que les exégètes ont malgré tout divergé sur ce qu’il fallait comprendre du passage «elles en seront plus vite reconnues» : La majorité a dit qu’il s’agissait qu’elles soient reconnues comme étant des femmes libres et non des esclaves. Cette position, magistralement réfutée par IbnḤazm, invalide en fait d’emblée le fait que les femmes musulmanes soient encore, de nos jours, concernées par la prescription de ce verset puisque l’esclavage n’existant plus en France depuis 1848, ainsi que dans l’ensemble des pays occidentaux et la majorité des pays de la planète, les femmes n’ont plus ce besoin de montrer leur condition de femme libre. Donc, en tenant compte de cet avis, si la femme ne risque pas d’être offensée et qu’elle n’a pas besoin de montrer qu’elle n’est pas esclave, en quoi serait-elle concernée par cette prescription coranique ? De même, si une femme, dépendamment du contexte dans lequel elle vit, sait que le port jilbâb (ou du voile) risque de lui nuire (violence physique ou verbale), pourquoi serait-elle concernée par ce dernier ? Pourquoi la tenue vestimentaire utilisée comme moyen de protéger les femmes de Médine il y a plus de 1400 ans aurait vocation à être utilisée de la même façon en France au XIXe siècle ? Le jilbâb était un vêtement conforme aux coutumes arabes, mais en quoi correspond-il aux coutumes occidentales ? C’est d’ailleurs ce qu’avait dit Muḥammad Ṭâhir ibn ‘Âshûr (1879-1973), bien que partisan de l’obligation du voile, concernant le verset du «jilbâb». «… une législation qui a tenu compte de l’habitude (vestimentaire) des Arabes. Ainsi, les peuples qui n’adoptent pas le jilbâb ne sont pas concernés par cette législation». D’autres ont dit qu’il s’agissait qu’elles soient reconnues comme pudiques et ne voulant pas être importunées par des propos offensants et une attitude irrespectueuse. Ceci dit, il convient déjà de préciser que le fait d’adopter une attitude considérée comme montrant de la pudeur est en partie propre aux mœurs d’une société dans un contexte donné et n’est pas forcément partagé par l’ensemble des individus de la planète. De plus, cette opinion n’a pas vraiment d’impact sur la compréhension globale du verset puisque de toute façon il n’y a aucune référence au fait de se couvrir la tête avec ledit jilbâb. Bien plus, si l’objectif principal est justement que la femme musulmane ne soit pas offensée et que, conformément à la situation sociale dégradée dans laquelle elle vivait auparavant, elle retrouve alors un statut, des droits et une dignité, pourquoi devrait-on considérer que le voile de la tête doit être appliqué dans le cas où justement la femme se verrait offensée, rejetée, voire discriminée dans la société à cause de son voile de tête qui ne bénéficie pourtant d’aucune source coranique explicite ? De même, comme nous l’avons précisé, lorsqu’un statut normatif est lié explicitement à une cause et que cette cause n’est plus, le statut tombe avec. Or, si la cause de l’imposition du jilbâb était le fait que les femmes se trouvaient régulièrement offensées par certains hommes qui les confondaient avec des libertines (d’après certains commentateurs), pourquoi cette imposition perdurerait-elle si le risque d’offense est mineur ? Est-ce qu’une femme qui s’habille de façon décente, mais sans couvrir ses cheveux pour autant, risque de nos jours en France d’être offensée en vaquant à ses occupations quotidiennes ? La réalité des études réalisées montrent d’ailleurs, contrairement à ce que le discours ambiant véhicule, que là où les femmes risquent le plus d’être agressées, notamment sexuellement, ce sont dans des pays musulmans où il y a une forme de pression sociale ou étatique pour qu’elles se couvrent la quasi-totalité du corps. Quant au dernier avis consistant à dire que le but était que l’on reconnaisse la femme comme musulmane, celui-ci est totalement incohérent comme cela fut explicité. En effet, si le but était de protéger les femmes croyantes contre ceux qui souhaitaient leur nuire, alors il n’y a aucune logique à leur demander de se vêtir de façon à ce qu’elles soient plus vite reconnues et identifiables par ceux-là même qui voulaient mal agir envers elles à cause de leur foi.
(Suite et fin)
William Blob