39e anniversaire du massacre de Sabra et Chatila

Moyen-Orient

L’auteur dédie ce texte au journaliste Amnon Kapeliouk et au colonel de l’armée israélienne Elie Gueva. Commandant de l’assaut de Beyrouth, le colonel Elie Gueva a démissionné de son poste sur le champ de bataille en guise de protestation contre des ordres qu’il jugeait contraires aux lois de la guerre et de la morale.

Elie Gueva a été depuis lors ostracisé par la société militaire israélienne, frappé du syndrome de Sabra-Chatila, rejeté vers les profondeurs de l’anonymat le plus complet, alors que la mise en relief d’un tel comportement aurait eu valeur pédagogique et thérapeutique.

Samir Geagea : l’unique survivant des protagonistes de ce massacre face à ses fantômes
Avec une régularité de métronome, la malédiction de Sabra-Chatila frappe ses promoteurs, souvent de manière violente, n’épargnant pratiquement aucun de ses protagonistes, comme l’expression d’une sorte de justice immanente, vingt-six ans après ce massacre de sang froid de près de trois mille civils des camps palestiniens de Sabra-Chatila, dans la banlieue sud-est de Beyrouth.
Hormis le rapport Kahanna de la commission d’enquête israélienne sur ce massacre et le bouleversant témoignage de l’écrivain français Jean Genêt « quatre heures à Chatila » consigné à l’automne 1983 dans la Revue d’Etudes Palestiniennes, aucune œuvre de l’esprit, pas plus un film, qu’un documentaire, qu’un récit historique, encore moins un « roman-enquête », -la technique de narration préférée du philosophe Bernard Henry Lévy pour torturer la vérité et titiller l’imagination et la curiosité de ses zélateurs-, n’est venu éclairer ne serait-ce que d’un simple faisceau lumineux cette effroyable boucherie commise, sans discernement, par les milices chrétiennes libanaises, téléguidée par la soldatesque israélienne, ivre de colère devant l’échec de leur plan de mainmise sur le Liban.
Depuis 35 ans, une chape de plomb s’est abattue sur cet épisode peu glorieux de l’armée israélienne au Liban, ternissant sa réputation au point de mettre à mal le mot d’ordre justificatif de ses excès, la « pureté des armes» israéliennes, au point de bouleverser la perception de l’opinion internationale à l’égard d’Israël. Près de trois mille civils palestiniens seront massacrés pendant deux jours, du 15 au 17 septembre 1982, dans une opération ordonnée pour venger l’assassinat de Bachir Gemayel, chef des Forces Libanaises, fraîchement élu à la présidence de la République Libanaise et assassiné à la veille de son entrée en fonction. Par la gratuité de sa violence aveugle, cet acte fut comparé en son temps par le Président François Mitterrand à Ouradour sur Glane, du nom d’une opération analogue commise par l‘armée allemande à l’encontre des habitants de la bourgade française en guise de représailles à l’assassinat de soldats allemands en France.

Que sont devenus les protagonistes de ce drame vingt-six ans après ?
1- Le clan Gemayel, le grand perdant de l’affaire malgré deux présidents.
Bachir Gemayel, qui rêvait de raser les camps palestiniens en une lointaine anticipation des épurations ethniques des guerres post-communistes de la décennie 1990, pour faire de son pays un paradis sur terre aseptisé des petites misères des grandes fortunes, ce chef militaire d’une communauté chrétienne minoritaire d’un monde arabe majoritairement musulman, qui s’est allié au principal ennemi du Monde arabe pour parvenir à la magistrature suprême, l’homme qui soutenait pour ce faire qu’il existait un « peuple de trop au Moyen-Orient », ignorant que ce peuple de trop pouvait être un jour le peuple des chrétiens arabes, réalisa bien son rêve. Il fut élu à l’ombre des blindés israéliens, président du Liban, sans toutefois jamais savourer la jouissance du pouvoir suprême, pas même un court instant : Il sera pulvérisé par une explosion dans son quartier général de Beyrouth-est, la veille de la prestation de son serment. présidentiel.
Depuis lors, la famille Gemayel accumule malheur sur malheur. De son propre fait et de ses méfaits. Son histoire n’est pas une saga à la Kennedy comme se plaisent à la populariser des gazettes occidentales complaisantes, mais une longue complainte de larmes et de sang, dont ils en sont les principaux responsables.
Bachir a été assassiné à 35 ans, en 1982, son neveu, Pierre Amine Gemayel, le sera à 34 ans, en 2006, dans son fief électoral de Jdeiddeh, dans le Metn, alors qu’une violente offensive diplomatico-militaire israélo-américaine était à nouveau lancée en direction du Moyen orient en vue de mettre au pas les contestataires de la « Pax Americana ». Amine Gemayel, l’aîné du clan, qui succéda à la tête de l’Etat à son frère cadet à la suite de son assassinat, et qui ambitionnait de succéder au poste de député à son fils assassiné, a vécu une sorte d’assassinat politique lors de sa défaite électorale en 2007 dans son propre fief du Metn, battu par un inconnu, en dépit de la sympathie villageoise suscitée par la tragédie familiale. Sa mise en cause du patriotisme des Libanais de souche arménienne qui lui ont fait défaut durant cette élection a démontré l’ampleur de son dépit face à cette cuisante défaite inattendue en même temps qu’elle a révélé une xénophobie primaire et rance dans les cercles dirigeants libanais dès lors que leurs intérêts claniques sont en cause.
Si la famille Gemayel a réussi à placer deux présidents à la tête de l’Etat libanais, des membres d’une même fratrie qui plus est, elle passe pour être le grand perdant de la vie politique libanaise, avec deux assassinats au sein de cette famille, sans aucune visibilité parlementaire ou ministérielle, son traité de paix avec Israël pulvérisé par ses contestataires, et, suprême humiliation pour ce seigneur du terroir, le chef du clan présidentiel, Amine, contraint à l’exil en France, pendant quinze ans dix (1985-2000), au terme d’une mandature peu glorieuse, le leadership chrétien âprement contesté désormais entre deux dirigeants, -le général Michel Aoun, chef du Courant Patriotique Libanais (CPL) et Samir Geagea, d’anciens subordonnés de la famille Gemayel du temps de la présidence familiale.

2-Menahem Begin et son «cheval fou» Ariel Sharon
Sur le plan israélien, l’opération «Paix en Galilée» a précipité la réclusion politique de Menahem Begin, chef historique de la droite messianique israélienne et premier ministre au moment de l’invasion du Liban, victime direct des embardées incontrôlées de son « cheval fou », le général Ariel Sharon, ministre de la défense, et des visions bibliques propres à la droite radicale israélienne qu’il a encouragées dans cette voie pendant le demi siècle qu’il a présidé ce mouvement.
Ariel Sharon : plus qu’un long discours, une simple séquence du film « Valse avec Bachir » résume mieux que tout le personnage, ses ambitions et ses contradictions. Par une fiction narrative, le cinéaste israélien, réalisateur du film, Ari Folman, projette une conversation téléphonique entre Menahem Begin et Ariel Sharon, au lendemain des massacres de Sabra-Chatila. Nullement incommodé par cette effroyable boucherie, tenant d’une main son combiné, opinant régulièrement du chef en direction de son supérieur hiérarchique, l’homme à l’embonpoint légendaire, gardait les yeux rivés sur dix œufs aux plats qu’il s’était commandé pour son petit déjeuner, comme indifférent aux malheurs des autres, se préoccupant surtout durant cette conversation de satisfaire, au propre comme au figuré, son féroce appétit du pouvoir en même temps que sa boulimie alimentaire. L’appétit du pouvoir, il la satisfera en devenant premier ministre 18 ans après Sabra Chatila, sa boulimie alimentaire, elle le terrassera ainsi que sa carrière politique, en le plongeant dans un coma cinq ans plus tard en état de contiguïté passive avec ses anciennes victimes. Une séquence qui passera dans l’histoire comme un morceau d’anthologie politique et illustre plus que tout l’autisme de la classe politique israélienne à son environnement arabe, particulièrement palestinien.
Le rêve d’un Liban fort havre des Chrétiens d’Orient est tombé en lambeaux. L’équipée de Bachir, particulièrement son alliance avec l’ennemi officiel du monde arabe, a entraîné un déclassement des prérogatives constitutionnelles des Chrétiens libanais, principalement les Maronites, dans le nouvel arrangement interlibanais conclu à Taëf, sous l’égide de l’Arabie saoudite, pour mettre fin à la guerre en 1989. Les camps palestiniens sont demeurés à la périphérie de Beyrouth, avec une population plus nombreuse et rajeunie, comme un pied de nez à la famille Gemayel, désormais comme marginalisée dans l’échiquier politique par l’avènement de l’ancien lieutenant de Bachir, Samir Geagea, un ambitieux à la férocité redoutable, au premier plan de la scène chrétienne.
Beyrouth qui fut la respiration du monde arabe et sa conscience critique pendant un demi siècle, assume désormais de surcroît une fonction traumatique dans la conscience collective israélienne puisqu’elle revendique le privilège unique au Monde d’avoir symbolisé, à deux reprises dans l’histoire contemporaine, la résistance arabe à l’hégémonie israélo-américaine.
La première fois, en 1982, lors du siège de la capitale libanaise par le général Ariel Sharon, du temps où le sunnisme s’identifiait au combat nationaliste, depuis le fief du sunnisme libanais à Beyrouth-Ouest.
La deuxième fois, en 2006, depuis Beyrouth-sud, cette fois, (ad dhyah), littéralement la banlieue sud de la capitale, le fief chiite de la capitale, du temps du coma du général Ariel Sharon, où le chiisme libanais suppléant la vassalisation du sunnisme arabe à l’axe israélo-américain prenait sa relève en vue de pérenniser le combat nationaliste arabe.
René Naba