La ville des Roses en quête de son lustre d’antan

Blida

Un bain, une mosquée en bordure de l’actuelle place du 1er novembre en plus d’un four banal. Voici, en gros, ce que l’on pouvait trouver à Blida au début du 16e siècle. Des établissements peu nombreux pour constituer le noyau d’une grande ville. C’est sans doute pour cette raison que Sid Ahmed Lekbir le saint patron de la ville dont les enseignements étaient très appréciés et qui a longuement voyagé dans les pays d’islam, également en Andalousie, avant de venir se fixer sur les hauteurs de Blida en 1519 donna à Blida l’appellation de Boulaida (en arabe petite ville ou petite contrée, qui est le diminutif de Blida). Depuis la ville est passée par bien de péripéties. En raison de sa position stratégique, elle fut, convoitée par tous les conquérants : les Romains, les Arabes et les Français. Les historiens s’accordent à dire que la prospérité est venue avec les Ottomans. Ces derniers bâtirent des portes monumentales à chacune des entrées de la ville : Bab Edzair, Bab Essebt, Bab Errahba, Bab Khouikha, Bab Ezzaouia et Bab El Kbour. Ces portes n’existent plus de nos jours. Après l’invasion de l’Algérie, en 1830, les Français n’entrèrent à Blida qu’en 1837. A l’indépendance, Blida, ancienne sous-préfecture du département français d’Alger, devient chef-lieu de la wilaya en 1974. Elle était en quelque sorte conçue comme la capitale de la verdoyante plaine de la Mitidja. A l’époque, d’aucuns considéraient comme étant le jardin potager et le jardin fruitier d’Alger, au regard de la variété de légumes, de maraichages et d’arbres fruitiers dont elle regorgeait. Ses pommiers, orangers et grenadiers étaient si réputés qu’ils émerveillèrent Albert Camus, de passage dans la région. Deux décennies après l’indépendance, la métamorphose. Mais, comme les belles choses ne durent pas, il était dit quelque part que Blida allait sombrer dans une période de léthargie, exacerbée il faut le dire par la passivité l’indifférence des hommes. La décennie 1980, puis les années 1990 avec son lot de larmes, de sang, de peur et de ruines, semblent avoir sonné le glas d’une région qui, jadis, était une référence en tous points de vue. Les vielles personnes ayant vécu ou séjourné à Blida lors des premières années de l’indépendance sont catégoriques. Celle qu’on appelait jadis «la ville des Roses» ne semble être que l’ombre d’elle-même. En ces temps-là, Blida, entourée d’orangeraies et de rosiers, était appelée «ourida», c’est-à-dire la petite rose. Située dans la riche plaine de la Mitidja, elle embaume de tous les rosiers qui fleurissent dans la ville. «Les personnes qui ont le même âge moi se souviennent du temps où la mairie de Blida organisait des concours de fleurs. Le plus beau bouquet était alors récompensé. Vous conviendrez que c’est révélateur du cadre de l’état d’esprit alors en vigueur. Mais, aujourd’hui, que reste-t-il de tout cela ? Rien, absolument rien. Le jardin Patrice Lumumba (ex-Bizot), à l’image d’ailleurs de bien d’autres endroits, n’est plus que l’ombre de lui-même. Certaines personnes continuent à vivre dans le passé. Elles doivent se rendre à l’évidence que les temps ont changé et que Blida n’est plus celle d’antan», nous dira, avec amertume, septuagénaire ayant vu le jour à Blida dans les années 1930. Pour notre interlocuteur, cultiver à l’époque des fleurs (ou avoir des fleurs chez soi) était presque conçu comme une obligation. C’était une culture bien ancrée dans les mœurs. Aujourd’hui, il n’en est rien. La métamorphose est des plus radicales. L’esthétique, la beauté (et tout ce qui renvoie au naturel de façon générale) sont de vains mots. Là où l’on va, atteintes à l’environnement sont légion. Pis, les immondices et détritus sont présents au centre-ville même. Vieux quartiers de Blida, éternels oubliés. Mais, incontestablement, ce sont les plus anciens quartiers de Blida, situés à la périphérie de cette dernière souffrent de cet état de fait. Leurs habitants manquent de commodités les plus élémentaires pour une vie décente. Au quartier El Djoun, le plus vieux quartier de Blida (on estime sa fondation en 1535), plus connu sous l’appellation de «douirette», les habitants vivent dans des conditions extrêmement difficiles «Rien que par respect à feu M’hamed Yazid (un moudjahid natif du quartier et qui fut l’un des artisants des pourparlers d’Evian en 1962, plus de considération aurait dû être accordée à ce quartier», nous dire avec dépit, un vieil habitant du quartier. Pour lui l’immense foule présente le jour de l’enterrement (en 2004) de l’illustre moudjahid, dont de hauts responsables de l’époque et des moudjahidine de la première heure, était révélatrice à plus d’un titre. Même Chadli, l’ex-président de la République, était présent au cimetières», se remémore notre interlocuteur. Le quartier de douirette est situé au pied de la montagne. Au cours de la période ottomane, on l’appelait «Ouled Soultane». La plupart des demeures de ce quartier sont construites dans un style ancien. Les portes d’entrée sont de forme ogivale. L’intérieur est de pur style mauresque avec des parties ombragées, rafraichies en permanence par des courants d’air, agrémentées par des plantes grimpantes comme le jasmin, la treille (aaraiche), le citronnier, le géranium, le basilic…Dans cet endroit, l’hospitalité est loin de constituer un vain mot. Jusqu’à ce jour, l’hôte est accueilli avec joie. Les «marh’ba bik» (soit le bienvenu) fusent de toute part lorsqu’un étranger se rend dans le quartier en compagnie de l’un des habitants. «Lors des fêtes religieuses, nous échangions les pâtisseries traditionnelles. Tout était convivialité lors des quaadate organisées à l’occasion», se remémore avec nostalgie une septuagénaire. A «zenket edrouj» (appelée ainsi en raison des nombreux escaliers), un vieil homme nous fera part de son indignation au sujet du fait que l’APC n’hésite pas à déposer les ordures non loin des habitations. «C’est à croire que nos responsables ne se soucient guère de la santé des citoyens», lancera-t-il, avec colère. Tout en nous invitant à visiter sa maison complètement fissurée et menaçant ruine, il nous fera savoir que cette dernière abrite 3 familles, soit 21 âmes. «Les dernières pluies ont failli nous ensevelir. Nous vivons le calvaire au quotidien. Ma première demande de logement, je l’ai déposée en 1976. Celle-ci sera suivie de deux autres, en vain. Les autorités promettent monts et merveille mais ne tiennent pas parole. Peut-être attendent-elles que l’irréparable se produise pour daigner enfin réagir ? ». Notre interlocuteur s’arrête un moment. C’est comme s’il était pris par un malaise. Puis, nous fixant du regard, il reprendra de plus belle. « Si jamais un malheur se produisait, alors je vous assure que les responsables le paieront cher », martèlera-t-il. Selon lui, pour survivre et pouvoir parer au plus pressé, il faut savoir se débrouiller. « Mon voisin, dialysé, ayant déjà fort à faire avec les frais médicaux, a dû débourser de fortes sommes pour pouvoir transférer le gaz dont la conduite principale ne passe pourtant qu’à quelques mètres de sa demeure», relèvera-t-il. Un peu plus loin, une grande et spacieuse maison (dans un état des plus lamentables) attira notre attention. «Cette maison est abandonnée depuis plusieurs années. Les héritiers, ayant perdu courage âpres avoir dépensé beaucoup d’argent suite à de longues batailles judiciaires, ont décidé de tout laisser tomber. L’État aurait pu l’acheter et la rénover. Elle serait d’une grande utilité», nous dira Youcef Ouargui, un septuagénaire natif de Blida, véritable encyclopédie en matière de données historiques relatives à la ville. Non loin de là, notre guide nous montrera Hamam Ezzahar, l’un des plus anciens bains maures de Blida. Il date de 1940. Avec ses jolies mosaïques, il continue, à ce jour, à être le point de mire de nombreuses personnes, particulièrement les plus vieilles d’entre elles en quête de baraka qui semble fuir les lieux. Ici, l’artisanat d’antan est omniprésent. Poterie, dinanderie, tissage traditionnel, nombreuses sont les célébrités issues de ce quartier (uléma, enseignants de Coran, moudjahidine, artistes et sportifs). A quelques encablures de là, à Bab Edzair, non loin du siège de la Protection civile, le quartier Bécourt, l’un des plus anciens de Blida, constitué de vieilles constructions a été complètement rasé. Des projets d’utilité publique y seront lancés. Tous les expropriés seront indemnisés, nous a-t-on certifié. L’état de déliquescence de la ville est perceptible dans d’autres endroits à l’image de la cité abboudi, située non loin de l’ex-souk el fellah de Blida, à la périphérie de la ville. Les habitants de cette cité vivent dans des conditions extrêmement difficiles. Blida doivent être restauré afin de préserver l’aspect historique qu’ils véhiculent. Mais, ce n’est a priori pas chose aisée dans la mesure où ces quartiers doivent avant tout être classés. Outre cela, il y a l’aspect financier qu’une telle opération engendrera. En tout cas, ce qui semble avoir affecté les véritables enfants de Blida, c’est que leur ville, qui compte en son sein l’un des meilleurs boulevards d’Algérie (celui de Larbi Tebessi) et dont la place du mûrier (connue sous le nom de placet ettout), désignée par Deleuze, (ex-enseignant à l’EPAU d’El Harrach), comme étant la meilleure place d’Algérie ayant perdu de sa superbe d’antan.
Rachid Lounas