La recherche d’une vérité sur certains épisodes de la colonisation (VII)

Lettre à René

À son ami René, mais en fait aux générations montantes, Kamel Bouchama rappelle ce qu’entraîna l’acte odieux adopté par le parlement français en janvier 1830. Hélas, cinq mois après, les hordes colonialistes, commandées par de Bourmont, débarquaient sur la presqu’île de Sidi Fredj, amenant ainsi l’Algérie à engager une lutte incessante pour son indépendance… L’avenir, dit l’auteur de « Lettre à René » en filigrane, appartient aux peuples qui le construisent ensemble, une fois soustraites les lourdeurs du passé. Là, où notre vieille garde militante n’a pas cru bon devoir consigner son témoignage, ce livre vient au bon moment. Il devrait de ce fait, être mis entre les mains de tous les jeunes.

Ces soi-disant écrivains, qui s’étaient accordé, en l’espace de quelques pamphlets, le titre d’orientalistes éprouvés, n’ont rien compris de l’Islam et de l’Algérien en général, parce qu’ils ne les ont jamais étudiés dans leurs profondeurs et dans leurs vertus. Ils ne sont jamais allés au fond des choses pour dire, consciemment et sans parti pris surtout, concernant l’Islam particulièrement – quand bien même il s’agirait d’un culte qu’ils ne pratiquent pas – ce que recèle comme grandeur cette belle religion et notamment chez les Arabes, les purs, ceux qui ont été à l’origine de cette grande civilisation, chez qui l’on trouve la véritable caractéristique du génie individuel et de l’esprit philosophique. Ils n’ont certainement pas poussé leurs recherches pour marcher vers «ces grands moments de la pensée qui sont nés dans l’incroyable mélange d’incrédulité, de hardiesse d’esprit et souvent d’impiété». Ils n’ont pas fait d’études. Ils ont été très terre à terre et nous ont appris, comme pour nous convaincre, que «les indigènes sont mentalement incapables de penser et d’être structurés pour accepter les sciences». Eugène Guernier le disait éloquemment dans son livre «La Berbérie, l’Islam et la France», (Ed. Unions françaises, 1950) quand il affirmait sans aucune gêne que : «Tous les peuples d’outre mer, placés sous l’autorité de la France, possèdent à des degrés divers des civilisations propres, des connaissances peut-être limitées, des conceptions originales, telles que notre arsenal de doctrines mathématiques, juridiques, médicales, artistiques et morales s’adaptent mal aux formations intellectuelles préexistantes». Plus grave encore a été ce «discours renanien» qui ne différait pas de celui de Jules Ferry, ce «guide» respecté et adulé par l’ensemble des laïcs et francophiles, notamment ceux de chez nous. Un Jules Ferry qui, dans un sentiment de haine, soutenait péremptoirement, dans son intransigeante politique coloniale, «le droit des races supérieures», en tenant pratiquement le même langage que son «acolyte» Renan. Quelle innocente coïncidence !
Effectivement, Renan affirmait pour sa part :
«Ainsi, toute personne un peu instruite des choses de notre temps voit clairement l’infériorité actuelle des pays musulmans, la décadence des États gouvernés par l’Islam, la nullité intellectuelle des races qui tiennent uniquement de cette religion leur culture et leur éducation».
Il continuait sa diatribe contre l’Islam dans un style plutôt insultant qu’académique et disait, sans avoir peur d’être ridicule, dans l’amphithéâtre de ce sanctuaire du savoir qu’est la Sorbonne : «Pour la raison humaine, l’islamisme n’a été que nuisible, il a fait des pays qu’il a conquis un champ fermé à la culture rationnelle de l’esprit». Enfin, pour conclure, il n’hésitait pas à montrer la supériorité judéo-chrétienne, dans une caricature mensongère et un langage qui brouillait les esprits, en déniant à la civilisation musulmane tout apport au patrimoine culturel et scientifique en pays musulmans. Il affirmait encore une fois, dans le style le plus «persuasif»:
«Ce beau monument est l’œuvre de chrétiens, de juifs et de musulmans intérieurement révoltés contre leur propre religion».
Son émule Henri Martin, historien français, membre de l’Académie française, en juin 1878, en remplacement d’Adolphe Thiers, écrivait dans «L’Histoire de France populaire» ses impressions sur la bataille de Poitiers :
«C’était le sort du monde qui venait de se décider. Si les Francs eussent été vaincus, la terre eût été à Mahomet. Et alors l’avenir du monde et de l’Europe eût été perdu, car l’activité qui pousse les hommes vers le progrès n’était pas dans le génie des musulmans. Leur génie se résume dans l’idée qu’ils ont de Dieu. Le Dieu des musulmans qui, après avoir créé le monde, se repose dans sa solitude et dans son immobilité, n’excite pas les hommes au progrès».
N’est-ce pas de très «bonnes impressions» d’une éminence qui occupait le fauteuil 38, dans une Académie que nous respectons honnêtement et franchement ? René, ne penses-tu pas, après toutes ces affirmations mensongères, voire démoniaques, que l’on est en droit de nous arrêter sur une conclusion, une seule : que tout ce qui se dit à notre sujet est tromperie et rancœur ? Ne penses-tu pas que c’est plutôt de l’infamie, quand cela nous vient de propagandistes représentant la culture coloniale, une culture qui ne tient compte, malheureusement, d’aucune objectivité historique et, encore moins, qui ne répond à aucune honnêteté intellectuelle ? Ainsi, les mérites de cette culture universelle se trouvent partagés entre les pays d’Occident, selon ces gens aux plumes redoutables, acerbes ; et le monde musulman, selon eux, doit souffrir du complexe de n’avoir pas alimenté l’Histoire ancienne et contemporaine et vivre les frustrations pour n’avoir pas été, comme l’Europe, le berceau de l’universalité et du progrès. Renan, Martin et consorts, n’avaient-ils pas entendu parler de nos Algériens, les Abdallah El-Fassi et El-Betradji, qui furent grandement appréciés par les savants d’Europe au XIIe siècle, pour ne citer que ces deux-là, dans le foisonnement de savants et d’érudits qui ont fait de la science la jumelle de la religion ? Paul Krauss, Louis Gardet ou Maurice Bucaille, eux, savent très bien ce qu’ont laissé nos doctes dans le cadre des découvertes et des recherches qui ont été effectuées dans les Universités islamiques. Leurs témoignages suffisent amplement, aujourd’hui, pour savoir que nos savants ont toujours chéri l’idée de progrès.
N’est-ce pas une bonne réponse celle de Maurice Bucaille : «Que de dettes avons-nous envers la culture arabe en mathématiques, astronomie, physique, géologie, botanique, médecine, etc ! La science prit pour la première fois un caractère international dans les Universités islamiques du Moyen Age». Je vais poursuivre encore ces déclarations hostiles qui traduisent la haine et la rancœur à l’égard de l’Islam. Tu comprendras que je ne veux, en aucun cas, apporter la contradiction à ces «artistes de la confusion» – ce qui me déplaît énormément –, car je ne voudrais polémiquer avec qui que ce soit. Je me contente uniquement de faire état de ces affronts et d’émettre quelques mises au point sous for-me d’éclaircissements qui peuvent être utiles, par la suite, aux gens honnêtes dont tu fais partie.
Disons simplement, que depuis l’archevêque Lavigerie et ses sbires, aux colons venus avec cette hargne pour spolier les terres d’Algériens, on ressassait ces sarcasmes :
«Tout le monde tombera d’accord pour reconnaître que les principes du christianisme sont, à tous égards, préférables aux principes débilitants, immoraux et barbares du Coran».
C’est dire que la haine et le racisme se conjuguaient au temps et au mode de la xénophobie et de la discrimination du colonialisme français. Hélas, aujourd’hui encore, ce racisme et cette haine se perpétuent et se conjuguent au rythme des fantasmes occidentaux que façonnent des médias, avec une certaine hystérie, dans une démarche quasi manichéenne, à travers le prisme déformant du terrorisme. En effet, l’image qu’a l’Europe du musulman est au désavantage de notre communauté. Jean Monlaü, l’historien, dans son livre intitulé : «Les États barbaresques», paru, en 1964, le confirme :
«Les hommes de Barbarie auraient ainsi manqué à l’instant nécessaire de l’énergie indispensable ou de la capacité d’adaptation et d’organisation, de la volonté d’innover hors de la tradition qui, non renouvelée, n’est que routine, et aliéné en une véritable abdication leur pouvoir de décision d’eux-mêmes et de leur temps. L’Histoire semble ainsi pareillement vouer au sous-développement certaines civilisations orientales du rêve et tropicales de l’insouciance. Ainsi, certains aspects du devenir historique des pays arabes, arabisés, voire islamisés paraissent y figurer de même une civilisation du désordre…». Quelle «histoire coloniale»… ! Toujours à sens unique ! Effectivement, on sent très bien qu’elle a toujours considéré l’Arabe, notamment l’Algérien comme un être mineur, primitif, incapable et indigne de considération. Pis encore, elle ne lésinait pas sur «les bonnes formules» pour nous qualifier négativement. Le témoignage de l’écrivain Mahdjoub Bentebria est édifiant : «Du coup, le musulman, dans des amalgames innommables, est assimilé à celui qui, par nature, peut tuer. Cette façon de percevoir le musulman n’est naturellement pas dénuée d’arrière-pensées politiques. Mal admis en Occident de par sa culture, il l’est encore davantage en l’assimilant à un criminel potentiel.» Barbe broussailleuse, cheveux hirsutes, kamis, oisif, pris sur le vif dans des endroits obscurs ou malfamés, voici selon le même écrivain, l’archétype du musulman. Et quand, dans une quête vaine du musulman «idéal», on n’en trouve pas, on arrive même à en fabriquer. La preuve, encore une fois, la Télévision française, la mieux nantie en informations, n’avait-t-elle pas, en 1998, au cours d’un débat enflammé sur l’Islam, manipulé des images en ajoutant de fausses barbes aux interviewés ? Pour toutes ces accusations, les musulmans ont eu une réaction pondérée, même s’ils n’étaient pas restés muets. Leurs voix s’étaient élevées contre les accusations dont l’Islam a fait l’objet et contre l’hégémonisme occidental dont nous demeurons, jusqu’à l’heure, des victimes, sans exception. Les défenseurs de l’Islam ont rétorqué à ceux qui ont toujours tenté de nous dévaloriser: Cessez vos diatribes insolentes, cessez de nous vilipender avec des formules assassines comme l’ont fait, entre autres, vos «nobles croisés» qui se targuaient de dénoncer la précarité du pouvoir et l’absence de prestige moral et de majesté réelle dans la société musulmane ! Quelle noblesse d’esprit de gens qui s’étaient lancés contre l’Islam en des croisades qui ressemblaient à des aventures et à des expéditions de mercenaires!
K.B.