Quelle place pour l’Algérie dans sa coopération énergétique avec l’Europe ?

Face aux tensions géostratégiques en Ukraine

Au sein de la région méditerranéenne et africaine, l’Algérie est un acteur stratégique en matière sécuritaire et énergétique. Après la visite en Algérie du président du parlement européen début septembre 2022, la coopération Algérie/Europe, dans sa démarche d’évaluation réclamée ne vise nullement à remettre en cause l’Accord d’association mais à l’utiliser pleinement dans le sens d’une interprétation positive de ses dispositions permettant un rééquilibrage des liens de coopération. L’objectif est de favoriser un partenariat gagnant-gagnant, l’Europe ne devant plus considérer l’Algérie qui entend diversifier ses partenaires, du point de vue d’un marché.Les solutions durables pour renforcer l’approvisionnement de l’Europe est d’accélérer la transition énergétique D’où l’urgence de revoir le modèle de consommation énergétique afin de s’adapter aux nouvelles mutations 2022/2025/2030 afin d’asseoir dans les faits et non dans les discours déconnectés de la réalité, les énergies renouvelables représentent moins de 1% de la consommation intérieure, la transition énergétique autour de cinq axes directeurs pouvant être combinés et s’insérant dans le cadre du mix énergétique.
Le premier axe, est d’améliorer l’efficacité énergétique car comment peut-on programmer 2 millions de logements selon les anciennes normes de construction exigeant de fortes consommation d’énergie alors que les techniques modernes économisent 40 à 50% de la consommation? Par ailleurs s’impose une nouvelle politique des prix (prix de cession du gaz sur le marché intérieur, environ 10/20% du prix international) occasionnant un gaspillage des ressources, renvoyant à une nouvelle politique des subventions ciblées.
Le second axe est l’investissement à l’amont pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures traditionnels. Pour la rentabilité des gisements tout dépendra du vecteur prix au niveau international et du coût, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables, posant le problème de la rentabilité, et nécessitant de mobiliser plus de 70 milliards de dollars pour les cinq prochaines années alors que les réserves de change sont estimées à fin 2021 à 44 milliards de dollars malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production et accéléré le processus inflationniste du fait que 85% des matières premières des entreprises publiques et privées sont importées en devises.
Le troisième axe est le développement des énergies renouvelables devant combiner la thermique et le photovoltaïque dont le coût de production mondial a diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir. Or, avec plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire, ou presque. Le soleil tout seul ne suffit pas. Il faut la technologie et les équipements pour transformer ce don du ciel en énergie électrique.
La production à grande échelle permettrait de réduire substantiellement les coûts tout en favorisant à l’aval une multitude de PMI-PME, renforçant le tissu industriel à partir des énergies propres (industries écologiques). La promotion des énergies renouvelables. L’Algérie a réceptionné en mi-juillet 2011 la centrale électrique hybride à Hassi R’mel, d’une capacité globale de 150 MW, dont 30 MW provenant de la combinaison du gaz et du solaire. Cette expérience est intéressante. La combinaison de 20% de gaz conventionnel et 80% de solaire me semble être un axe essentiel pour réduire les coûts et maîtriser la technologie. À cet effet, le Creg (l’agence de régulation) a annoncé la publication de décrets destinés à accompagner la mise en œuvre du programme algérien de développement des énergies renouvelables. Des mesures incitatives sont prévues par une politique volontariste à travers l’octroi de subventions pour couvrir les surcoûts qu’il induit sur le système électrique national et la mise en place d’un fonds national de maîtrise de l’énergie (FNME) pour assurer le financement de ces projets et octroyer des prêts non rémunérés et des garanties pour les emprunts effectués auprès des banques et des établissements financiers.
Le programme algérien consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22 000 MW dont 12 000 MW seront dédiés à couvrir la demande nationale de l’électricité et 10 000 MW à l’exportation. D’ici 2030, l’objectif de l’Algérie serait de produire, 30 à 40% de ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables.
Le montant de l’investissement public consacré par l’Algérie à la réalisation de son programme de développement des énergies renouvelables, à l’échéance 2030, selon le Ministère de l’Energie, se situe entre 60/70 milliards de dollars. Le problème : l’Algérie aura-t-elle les capacités d’absorption, la maitrise technologique pour éviter les surcoûts, la maîtrise du marché mondial.
Le quatrième axe, selon la déclaration de plusieurs ministres de l’Énergie entre 2013/2020, l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 à des fins pacifiques, pour faire face à une demande d’électricité galopante.
Les réserves prouvées de l’Algérie en uranium avoisinent les 29.000 tonnes, de quoi faire fonctionner deux centrales nucléaires d’une capacité de 1.000 Mégawatts chacune pour une durée de 60 ans.
Le cinquième axe, l’option du gaz de schiste, l’Algérie possédant le troisième réservoir mondial, environ 19500 milliards de mètres cubes gazeux, selon des études américaines mais qui nécessite, outre un consensus social interne, de lourds investissements, la maîtrise des nouvelles technologies qui protègent l’environnement, et des partenariats avec des firmes de renom (voir étude sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul, pétrole et gaz de schiste, opportunités et risques, Premier ministère -Alger, 2015). L’Algérie est un pays semi-aride, le problème de l’eau étant un enjeu stratégique, doit être opéré un arbitrage entre la protection de l’environnement et la consommation d’eau douce, un milliard de mètres cubes gazeux nécessitant 1 million de mètres cubes d’eau douce et devant forer plusieurs centaines de puits moyens pour un milliard de mètres cubes gazeux et devant tenir compte de la durée courte de la vie du puits, cinq années maximum, et la nécessaire entente avec des pays riverains se partageant ces nappes.
Le sixième axe est de redynamiser le projet GALSI, Gazoduc Algérie–Sardaigne–Italie, qui devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars, estimation de 2011, et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, qui devait approvisionner également la Corse. Projet abandonné , suite à l’offensive du géant russe Gazprom, étendant ses parts de marché, avec des pertes financières de Sonatrach ayant consacré d’importants montants en devises et dinars pour les études de faisabilité.
Le septième axe est d’accélérer la réalisation du gazoduc Nigeria –Europe via l’Algérie.
La faisabilité du projet du gazoduc Nigeria Europe, doit tenir compte des nouvelles mutations gazières mondiales pour évaluer sa rentabilité, car les lettres d’intention ne sont pas des contrats définitifs. Comme le démontre une importante étude de l’IRIS du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, principal client qui doit se prononcer également sur ce projet, est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région. La rentabilité du projet Nigeria Europe, suppose quatre conditions.
Premièrement, la mobilisation du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau relativement faible au 01 janvier 2021, pour l’Algérie de 44 milliards de dollars fin 2021 pour 45 millions d’habitants avec un niveau d’endettement extérieur faible, et le Nigeria 33 milliards de dollars pour 210 millions d’habitants avec un endettement élevé, ne devant pas compter sur le Niger pays pauvre.
Le Nigeria et l’Algérie traversent une crise de financement, devant impliquer des groupes financiers internationaux, l’Europe, principal client, et sans son accord et son apport financier, il sera difficile voire impossible de lancer ce projet.
Deuxièmement, l’évolution du prix de cession du gaz, la faisabilité étant liée à une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet.
Troisièmement, la sécurité et les accords avec certains pays, le projet traverse plusieurs zones alors instables et qui mettent en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz. Il faudra impliquer les États traversés où il faudra négocier pour le droit de passage (paiement de royalties) donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire.
Quatrièmement, pour la faisabilité du projet NIGAL, l’Accord de l’Europe principal client est primordial.

En conclusion, la visite du président du parlement européen a permis d’aplanir les divergences où l’Algérie entend défendre comme tout pays ses propres intérêts, ne devant jamais oublier que dans la pratique des affaires et des relations internationales, n’existent pas de sentiments mais que des intérêts. Sonatrach, fournisseur fiable, est guidée essentiellement par une position purement commerciale pour satisfaire le marché intérieur et honorer ses engagements internationaux. Car nul doute que l’évolution de la guerre en Ukraine aura des conséquences sur la morphologie du monde multipolaire. La future stratégie énergétique affectera les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux avec l’émergence horizon 2030 d’un nouveau pouvoir énergétique mondial
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur
des universités, expert international
(Suite et fin)