Makhzen cherche roi désespérément !

Maroc

Après trois mois d’absence, le Roi du Maroc, Mohamed 6, a regagné son royaume au début de ce Ramadhan. Le 25 mars, soit trois jours après le début du mois sacré, le roi fait sa première sortie publique dans le quartier de Salé, à Rabat, pour distribuer des couffins aux familles nécessiteuses. L’opération caritative qui porte le nom de « Ramadhan 1444 » consiste en la distribution d’aide alimentaire à un million de ménages dans le besoin, en majorité en milieu rural. La valeur de chaque couffin est de 35 euros, soit l’équivalent de 5.135 dinars algériens ! La modestie de cette aide a suscité la réaction de nombreux Marocains. Frappés depuis plus de deux ans par une forte inflation, qui a touchée surtout les produits alimentaires, de nombreux Marocains ont vu leur pouvoir d’achat gravement érodé.
A titre d’exemple et à la veille de Ramadhan le prix d’un kg de pomme de terre a atteint les 9 dirhams, soit l’équivalent de 120 dinars algérien, l’oignon à 15 Dh (200 DA) et la tomate 13 Dh (170 DA). Pour beaucoup de Marocains, cette flambée jamais vu des produits maraîchers seraient la conséquence de l’orientation de la production agricole de ce pays vers l’exportation. La pénurie de produits maraîchers qui frappent certains pays européens a été une aubaine pour les gros exportateurs de ce pays qui préfèrent exporter à des prix élevés que de vendre dans le marché local. Sauf que ces exportations se sont faites au détriment des Marocains. L’autre remarque concerne le nombre de familles nécessiteuses qui ont bénéficiées de cette aide. Les statistiques dépassent et de loin le nombre de un million.
En 2021, une enquête menée par l’Observatoire marocain du développement humain conclut que près d’un Marocain sur deux se considère comme pauvre. Cette enquête est suivie en 2022 par un rapport du Haut-commissariat au plan du Maroc (HCP) qui annonce que pas moins de 3,2 millions de personnes supplémentaires sont tombées dans la pauvreté et la vulnérabilité après la pandémie du Covid-19. Le rapport conclut que le Maroc revient au niveau de pauvreté et de vulnérabilité de 2014.
Au royaume de Mohamed 6, seuls 3,4 millions de travailleurs sont déclarés à la sécurité sociale, soit deux fois moins qu’en Algérie. Pas moins de 22 millions de Marocains n’ont pas de couverture sociale, alors que la santé publique est payante. Après la sortie du monarque du samedi 25 mars beaucoup de Marocains n’ont pas cachés leurs déceptions. Ils attendaient des mesures plus fortes du roi pour faire face à la descente aux enfers de leur pouvoir d’achat. Mais le monarque a-t-il les moyens pour répondre aux attentes de son peuple ?
L’économie marocaine vient de clôturer l’année 2022 par un bilan très négatif. La croissance économique n’a été que de 1,2%. La population rurale a subie de plein fouet les conséquences économique et sociale de la sécheresse qui persiste pour la quatrième année consécutive. Le déficit commercial du royaume a atteint un record l’année passée avec 331 milliards de dirhams, soit l’équivalent 30,40 milliards de dollars. Ce lourd déséquilibre du commerce extérieur vient contredire la propagande du Makhzen qui ne rate aucune occasion pour vendre l’image d’un royaume performant économiquement.
En 2022, l’économie marocaine a importée des biens pour 71,50 milliards de dollars et n’a exportée que 41 milliards de dollars. Et ce déficit persiste en ce début d’année 2023 où la balance commerciale a enregistré un déficit de 2,12 milliards de dollars à fin janvier. Ce déséquilibre entre le montant des importations et celui des exportations nous renseigne sur les contres-
performances de l’économie de ce pays qui doit importer deux dollars pour n’exporter qu’un seul dollar. Le lourd déficit de la balance commerciale du Maroc n’est plus compensé par les recettes du tourisme et par l’important montant en devises transféré par les ressortissants marocains installés à l’étranger. Pour les seuls neuf premiers mois de 2022 le déficit des transactions courantes a presque doublé par rapport à la même période de l’année passée en atteignant 4,94 milliards de dollars. Ce déficit a fait en sorte que les réserves de change du royaume n’ont été que de 32,6 milliards de dollars à fin décembre 2022. Elles ne couvrent ainsi que 5,5 mois d’importations.
La situation se complique davantage pour le Maroc concernant la dette extérieure. A fin décembre 2021 l’encours de la dette extérieure s’élevait déjà à 65 milliards de dollars selon le Fond monétaire international. Tandis que le service de cette même dette, selon la Banque mondiale, avait atteint 4,6 milliards de dollars la même année. Le Maroc figure ainsi parmi les pays les plus endettés en Afrique, après l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Nigeria et l’Angola. En 2023, le royaume doit prêter au bas mot 6 milliards de dollars pour financer le déficit de sa balance des paiements et maintenir les réserves de changes à leurs niveaux actuels. Pour mobiliser ces fonds, aller sur les marchés financiers internationaux n’est plus indiqué en raison du conflit ukrainien et la hausse des taux d’intérêts décidés par les banques centrales des pays occidentaux. Prêter de l’argent par ces temps de crise internationale devient de plus en plus cher. C’est pour cette raison que le royaume a sollicité le Fond monétaire international pour un prêt de 5 milliards de dollars avec un taux d’intérêt inférieur au marché. Cet environnement économique et financier défavorable a obligé la Banque centrale du Maroc de relever ses taux de 0,5% au début de ce mois de mars pour les porter à 3%. Une décision qui va compliquer encore plus la situation des entreprises en difficultés.
En 2022, pas moins de 12.397 entreprises ont faits faillites au Maroc, représentant une hausse de 17,4% par rapport à 2021. Tandis que le recours au Fmi a déjà entraîné une dépréciation du dirham depuis le début de l’année en cours.
Autre conséquence le budget de compensation des prix a été divisée par deux en 2023. Au Maroc, seuls les prix de trois produits (gaz butane, sucre et farine) sont soutenus. L’année passée 45,2 milliards de dirham (4,2 milliards de dollars) ont été mobilisés pour soutenir les prix de ces produits. Pour 2023, le montant a baissé à 26 milliards de Dh (2,54 milliards de dollars). En 2024, le gouvernement marocain et avec la bénédiction du FMI, compte cesser toutes les subventions des prix. Actuellement le Marocain achète une bouteille de gaz butane de 12 kg soutenu à 42 Dh, soit l’équivalent de 550 dinars algériens. Une fois la subvention levée le prix atteindrait les 130 Dh, soit l’équivalent de 1.700 dinars algériens.
Pour l’année 2023, la majorité des Marocains ne s’attendent pas à une amélioration de leurs conditions sociales. La croissance de l’économie marocaine reste fortement dépendante du secteur agricole. Depuis l’automne, la pluviométrie est restée faible et l’actuelle campagne agricole risquerait fort d’être compromise pour la seconde année consécutive. Les investissements directs étrangers peinent à atteindre les 2 milliards de dollars. L’annonce en grande pompe de grands projets dans les chemins de fer, le dessalement d’eau de mer et autres projets fantaisistes tardent à voir le jour en raison des difficultés à trouver des financements extérieurs.
A titre d’exemple, la ligne à grande vitesse Tanger-Kenitra, qui fait la fierté du Makhzen, d’une longueur de 180 km, inaugurée en 2018, avait coûté la bagatelle de 2 milliards d’euros.
Pas moins de 72% du financement de cette ligne s’est faite grâce à des crédits extérieurs, dont 51% de la France. Rares sont les observateurs qui prennent aux sérieux les annonces de ces grands projets largement médiatisés par le Makhzen en raison des difficultés à trouver des financements extérieurs pour les réaliser. D’autant plus que les relations entre le royaume et la France se sont détériorés ces derniers temps. Une détérioration qui aurait inévitablement des conséquences sur le Maroc quand on sait que la France détient 30% de l’ensemble des investissements directs étrangers et reste la première détentrice de la dette extérieure du royaume.
Enfin, il y a la colonisation du Sahara occidental et la violation du cessez-le-feu par le Maroc suite à l’occupation d’El Guerguerrate. La reprise de la lutte armée décidée par le Polisario le 13 novembre 2020 a fait exploser le budget militaire du Maroc. Ce dernier est passé de 4,6 milliards de dollars en 2021 à plus de 11 milliards de dollars en 2023. En 2011, on pouvait lire dans la revue les cahiers de l’Orient ce qui suit: «Si les autorités marocaines réfutent l’idée de coût économique associé à l’occupation du Sahara occidental, et préfèrent parler d’investissement, il n’en reste pas moins que les sommes d’argent engagées pour maintenir la sécurité, en particulier en ce qui concerne la construction et l’entretien du mur de sable, sont extrêmement élevées. Le maintien d’une présence militaire estimée entre 130 et 160.000 hommes, ainsi que les patrouilles de sécurité sur l’ensemble du territoire contrôlé pèsent lourdement sur le budget militaire du royaume». Cet écrit date de 2011, alors que le cessez-le-feu était toujours en vigueur. Depuis et suite à la reprise de la lutte armée par le Polisario, les dépenses militaire du royaume ont été multipliés par quatre. Le pillage des richesses du Sahara occidental, phosphate et pêche surtout, ne couvre même pas 20% de ce que dépense annuellement le Makhzen pour maintenir l’occupation. Des dépenses qui se font au détriment du développement des nombreuses régions pauvres du monde rural du Maroc. Il est connu de par l’histoire que toute colonisation par la force d’un territoire à un coût. Enfin, il y a cette normalisation avec Israël. Deux ans après les accords d’Abraham, nombreux sont les Marocains qui affichent leur scepticismes face aux «promesses positives» sur l’économie qu’entraînerait l’accord de normalisation avec Israël. Pour le moment, cet accord profite surtout à l’économie israélienne qui a sensiblement augmenté ses exportations à destination du Maroc. Et le rush tant attendu de touristes israéliens au royaume tarde à venir.
Alors que les problèmes sociaux économiques et même politiques s’accumulent, le roi du Maroc passe de moins en moins de temps dans son royaume.
Depuis le début de cette année, Mohamed 6 a passé presque trois mois dans sa résidence au Gabon. Et ces absences à répétions entre la France et le Gabon ne sont pas récentes. En 2018 et pendant les quatre premiers mois de l’année, le roi du Maroc avait passé moins de vingt jours dans son pays. Mohamed 6 se sent-il impuissant face aux attentes de son peuple pour « fuir » très souvent à l’étranger ?
En tout les cas et avec la poursuite de la colonisation du Sahara occidental et après avoir normalisé les relations avec Israël, la monarchie marocaine n’a plus rien à offrir aux Marocains.
M. Chermat