Pratique et spiritualité

Islam

“Ô croyants, il vous a été prescrit le jeûne, tout comme il l’avait été à vos prédécesseurs. Puissiez-vous atteindre ainsi la véritable piété.”S2.V183.Notre année ne connaît qu’une seule saison en laquelle se récoltent les fruits de Ramadân ; qu’il nous soit donné d’en connaître la suave douceur. Mais les mots sont tel les vêtements, ils habillent ou dévoile l’indécence ; ainsi le jeûne est-il tout d’abord astreinte au silence…

En cette occasion unique, s’exacerbe la pratique tout autant que les intentions d’ordre spirituel. Ramadân est en soi la parfaite démonstration que pratique et spiritualité sont intimement liées, et que l’on ne peut prétendre à l’une sans l’autre, l’argument, qui est en réalité une expérience, paraîtrait suffisant. Aussi, en ce bref rappel, proposerons-nous une méditation et une invitation à la voie médiane, l’Islam comme chacun sait. Nous envisagerons à cette fin deux célèbres hadîths de notre noble Prophète SBSL qui éclaireront notre chemin.
Il serait bien assurément utile de parler de la pratique en Islam. Le sujet est vaste, bien connu aussi, l’on ne saurait le traiter en quelques pages si ce n’est à répéter l’évidence. Le quotidien du croyant en est le meilleur exposé et la plus parfaite démonstration ; par la pratique il reconstruit patiemment ce que son existence, mue par le présent inexorable, détruit : “Par le temps. L’homme, certes, est en perdition, exception faite des croyants qui agissent vertueusement.”S103.V1-3.
De même, traiter de la spiritualité permettrait de parcourir des horizons aussi larges qu’élevés mais de telles étendues ne se prêtent guère aux cartes postales. Nous ne citerons qu’une sentence sans appel attribuée à Dâwûd ibn Bâkhilâ[i] : “Qui parle du soufisme n’est pas un soufi. Vivre le soufisme est en être absent.”
De manière bien plus immédiate et concrète, nous nous attacherons donc à préciser les rapports entre la pratique et la spiritualité. Surgit un premier antagonisme: la pratique est aisée à préciser en forme et en quantité mais la spiritualité est matière improbable.
De fait, il est donc préférable de concevoir l’une et l’autre en un système de relations, comme deux lumières éclairant respectivement le champ d’action de l’autre, les séparer plonge alors ces deux domaines dans l’obscurité. Ainsi, à l’évidence, une pratique dénuée de toute spiritualité ne serait que sécheresse stérile, un désert, une spiritualité sans pratique ne serait qu’un discours vide de réalité, un néantmystique.
En Islam les liens intrinsèques entre la spiritualité et la pratique sont indissolubles, nous allons le démontrer, et ce serait tout autant un faux problème qu’un faux débat que de vouloir argumenter de l’une contre l’autre. Toutefois, la problématique est ancienne, et certains courants prétendument soufis ont, au nom de la supériorité de la spiritualité, transgressé la pratique de l’islam. Ibn Khaldûn,[ii] par exemple, a dénoncé le charlatanisme de son époque et l’intérêt de son témoignage n’est pas seulement d’ordre anthropologique ou strictement historique. L’orthodoxie et l’orthopraxie furent cependant la règle, l’hétérodoxie et l’abandon de la pratique ou l’adoption de rituels étrangers à l’Islam furent l’exception.Cependant, sous l’influence d’un certain esprit de fusion spirituelle sous produit mystique et mystifiant de la mondialisation- on assiste actuellement à l’éclosion d’un mouvement de pensée prônant une spiritualité musulmane sans les contraintes de la pratique. Observons que ce même phénomène, né des décombres de la destruction du fait religieux en Occident, tend aussi à influencer les “études” coraniques.
Aussi, nous propose-t-on régulièrement de remiser au placard de notre histoire une bonne part des versets du Coran dont le prétendu archaïsme ne pourrait s’accorder à une toute autant prétendue modernité. Prenons garde à ces deux coquilles vides, dont les seules âmes sont le vent d’une plage inhabitée. Le débat a donc quelques raisons d’être réactualisé.
Loi des excès et des contre-réactions, des tendances sectaires contemporaines ont propension, on ne sait par quel faux littéralisme aussi sec qu’obtus, à vouloir condamner toute spiritualité en Islam. Prétexte : bon nombre de pseudo soufis ou mystiques ont délaissé les commandements de la religion…c’est prononcer la sentence sans avoir tenu procès.
A moins que d’avoir le cerveau aussi sec que le cœur il n’ y a rien dans les textes, Coran, Sunna et propos de tous les grands ulémas, qui permettent de rejeter la spiritualité en Islam. Ibn Taymyya, référence opposable de ces même laudateurs de l’islam “matérialiste”, pour ne citer que lui, a dit au sujet de l’attachement des soufis au Coran et à la Sunna : “Les véritables cheminant en Dieu ne se sont jamais écartés des ordres et des interdits de la char’ia.”[iii]
Dans ce jeux d’antagonisme il apparaît alors bien difficile de trouver la voie médiane indiquée par Dieu et son Prophète SBSL, les controverses ne sont point propices à la réflexion sereine et les vents contraires, plus que d’autres, ne fécondent que misère…
Si tant est qu’il y ait à prouver qu’une accusation mensongère soit infondée, les deux hadîths annoncés répondront sans ambiguïté à l’ensemble de la problématique en indiquant avec précision les rapports entre la pratique et la spiritualité. – Un des hadîths, des plus fameux qu’il soit, nous renseigne quant à trois composantes de la religion ou, plus précisément, trois degrés de la relation à Dieu par l’Islam. Il nous permettra d’approcher des définitions essentielles de la pratique et de la spiritualité et d’indiquer les liens qui les unissent. Nous en donnons une traduction littérale résumée au thème de notre réflexion[iv] :Un homme tout de blanc vêtu et à la chevelure de jais interrogea le Prophète en ces termes :
“…Ô Muhammad, informe moi au sujet de l’islâm. Le Messager de Dieu SBSL répondit : ” L’islâm est que tu attestes qu’il n’ y a de dieu que Dieu et que Muhammad est le Messager de Dieu. Que tu accomplisses la prière, t’acquîtes de la zakât, jeûnes Ramadân et fasses le Pèlerinage de la Demeure si tu en as la possibilité. “Il dit alors : ” Tu dis vrai.” Nous fûmes étonnés qu’interrogeant le Prophète il pût le confirmer.“Informe moi au sujet de l’îmân, la foi.” Il dit : “C’est que tu crois en Dieu, Ses Anges, Ses Livres, Ses Messagers et au Jour Dernier. Que tu crois aussi aux arrêts du Destin, qu’ils soient bons ou mauvais.” : “Tu dis vrai.”Informe moi au sujet de alihsân, la vertu.”Le Prophète répondit : “Cela consiste à ce que tu adores Dieu comme si tu le voyais car, si tu ne le vois pas, sache qu’Il te voit.”…C’était Gabriel venu vous enseigner votre religion.”Le Prophète SBSL, en ces réponses synthétiques, a parfaitement systématisé les trois constituants de la religion, l’Islam avec une majuscule :
1- L’islâm, ici avec une minuscule, est littéralement la soumission à Dieu. Il s’agit de la reconnaissance de l’unicité de Dieu et de la prophétie de Son Messager et de l’acceptation de quatre pratiques fondamentales : Prière, Ramadân, Zakât, Hadj. On constate que cette attestation, shahada, est dès l’origine corrélée indissociablement à une pratique rituelle minimale mais irréductible. Soumission et obéissance étant liées l’on peut donc qualifier l’islam d’obédience à Dieu ce qui, sous un autre aspect, se dirait abandon à Dieu. Notons que le Prophète SBSL a soigneusement mesuré les termes employés et que “attester qu’il n’ y a de dieu que Dieu”, mode principalement verbal, diffère d’une allégeance de foi ou de croyance. Ajoutons que le substantif de islâm est muslimun, soumis au sens littéral et général, et musulman en son application spécifique et courante.
2- Al îmân, est la foi en Dieu, en Ses Anges, Ses Livres, Ses Messagers, au Jour Dernier et en la détermination par Dieu de toutes choses bonnes ou mauvaises. Si la shahada est un engagement formel, la foi, elle, relève de l’intime de l’âme. Elle est une certitude non intellectuelle, une adhésion relative à des éléments appartenant au non-manifesté, l’insondable ou ghayb.
Elle est pur don de Dieu qui s’en attribue l’origine : “Telle est la Guidée de Dieu par laquelle il dirige de Ses serviteurs qui Il veut …”S6.V88. Ainsi, la foi provient de Dieu et ramène à Dieu. Le substantif de îmân est mu’minun, que l’on traduit couramment par croyant.
On trouve confirmation de la différence essentielle entre attester de l’islâm, être musulman, et le fait d’être croyant à la lecture du verset suivant : “Des Bédouins ont dit : “Nous croyons (âmannâ).” Réponds leur : “Vous ne croyez pas encore. Dites plutôt : “Nous nous sommes soumis (aslamnâ).” car la foi (îmân) n’a pas encore pénétré vos cœurs. Mais si vous obéissez à Dieu et à Son Messager toutes vos actions vous seront tout de même comptées car Dieu est Pardonneur et Miséricordieux.”S49.V14.
D’aucuns prétendraient qu’en ce hadîth essentiel la foi n’est pas assujettie en apparence à des pratiques particulières, elle serait donc comme un degré supérieur dont les bénéfices et les contraintes diffèrent de ceux imposés par la simple attestation, la shahada, l’islam de base en quelque sorte. Nous avons là une première déviation dont l’énoncé même n’appartient pas à l’enseignement de Dieu en Sa Révélation. Si croire est réactualiser individuellement le pacte initial que Dieu fit contracter à l’humanité,[v] ce n’est point pour autant une simple reconnaissance de cœur.
Dr A.A
(A suivre… )