La nouvelle politique africaine de l’Algérie déstabilise le Makhzen

Stratégie diplomatique

L’adoption par le Gouvernement algérien d’une nouvelle stratégie diplomatique et économique en direction du continent africain suscite de vives réactions au Maroc. Depuis le début de ce mois de mai l’importance accordée par le Président Abdelmadjid Tebboune, à l’ouverture de succursales de banques publiques algériennes en Afrique de l’Ouest a mis dans tous leurs états certains médias marocains.

Le site Afric.com, proche du Makhzen et en réponse à la décision de l’Algérie d’avoir une présence bancaire en Afrique de l’Ouest publiait un article virulent sous le titre : «Vers un Mortal combat au Sénégal».
«Le Maroc et l’Algérie vont s’affronter loin de leurs frontières. Ces deux pays nord-africains seraient sur le point de livrer un combat économique des plus violent, dans des pays ouest-africains comme le Sénégal», lit-on dans l’article.
Evidemment, l’auteur de l’article a prédit l’échec de ce projet d’implantation de succursales de banques algériennes dans cette région africaine. Les médias à la solde du Makhzen estiment que l’Afrique subsaharienne et surtout le Sénégal et la Mauritanie, sont la chasse gardée des banques et des entreprises marocaines. Ce discours élaboré par les milieux proches du palais royal à Rabat ressemble, à s’y méprendre, à celui déjà pratiqué, pendant très longtemps, par les anciens empires coloniaux, en tête la France, en direction du continent africain. Cette similitude est confortée par le processus d’implantation de certaines banques marocaines en Afrique subsaharienne. En 2008 et suite à la crise des «subprimes» aux Etats-Unis, les banques françaises décident alors de céder des filiales dans des pays à risques, surtout en Afrique. Après des tractations et des arrangements, les banques françaises vont vendre leurs filiales africaines à des banques marocaines.
C’est ainsi qu’en 2008, l’ensemble des filiales ouest-africaines de Crédit Agricole sont rachetées par la banque marocaine Attijariwafa bank. Ce processus de cession se poursuivra en 2017. Cette année-là, c’est au tour du groupe français BPCE, un groupe coopératif de banque universelle et d’assurance, de céder son portefeuille à la Banque populaire du maroc. Il est clair qu’il y avait une entente entre Paris et Rabat pour ne céder les filiales ouest-africaines des banques françaises qu’à des banques marocaines. Cette entente a récemment fait réagir un journaliste français qui a souligné dans un article que «l’expansion économique du Maroc en Afrique s’est faite sous les auspices du réseau colonial français», (voir article de Simon Pierre in afriqueXXI du 7 avril 2023).
Quinze ans après le début d’implantation des banques marocaines en Afrique de l’Ouest le bilan et contrairement aux affirmations de la propagande du Makhzen, n’est pas aussi positif qu’on le pense. Plus de 70% des investissements du royaume sont allés aux banques et aux sociétés d’assurances. Les secteurs productifs comme l’industrie et l’agriculture, dont les Africains ont le plus besoin, ne sont pas la priorité du Makhzen et restent faibles. En réalité, les banques marocaines accompagnent les exportateurs de leur pays.
Le commerce extérieur du Maroc est déficitaire avec tous les continents sauf avec l’Afrique où le Makhzen réalise un excédent. La monarchie marocaine considère l’Afrique comme un marché pour ses produits et non pas comme un continent à développer. Mais cette stratégie à son revers de la médaille.
En 2022, les grandes banques marocaines, également présentes en Afrique, cumulent 8,6 milliards de dollars de créances en souffrances, dites également douteuses. Chose qui fragilise ses banques et limite leurs engagements à l’étranger. Même constat concernant les échanges commerciaux avec l’Afrique. En 2019 les échanges commerciaux du Maroc avec l’Afrique se sont élevés à 3,88 milliards de dollars. La même année et malgré son retrait économique de la scène africaine depuis 2010 les échanges commerciaux de l’Algérie avec l’Afrique ont été de 3,15 milliards de dollars. Ce montant serait largement dépassé en 2022 quand on sait que les exportations hors hydrocarbures de l’Algérie ont été multipliées par trois par rapport à 2019. L’absence de communication sur les statistiques des douanes algériennes ces deux dernières années ne permettent pas d’évaluer les avancées en Afrique.
La panique qui déstabilise le Makhzen depuis l’adoption par le Gouvernement algérien d’une nouvelle stratégie en Afrique nous renseigne sur la position fragile du Maroc sur le continent. Il est connu que les Africains font plus confiance à l’Algérie qu’au royaume de Mohamed VI. Entre 2010 et 2014 et suite à une grave crise de l’endettement, l’Algérie décide d’effacer la dette qu’elle détenait sur 14 pays africains. Le montant global concerné par l’annulation dépassait 1,4 milliard de dollars. Aucune condition n’a été posée par l’Algérie aux pays concernés par l’effacement. Sur le plan financier, l’Algérie figure parmi les plus grands souscripteurs africains de la Banque africaine de développement (BAD) avec le Nigeria, l’Egypte et l’Afrique du Sud, loin devant le Maroc.
Récemment, l’Algérie a contribué avec 10 millions de dollars au profit du Fonds africain de développement qui soutien les pays les plus pauvres et les plus endettés du continent. A ces engagements viennent s’ajouter la création de l’Agence algérienne de coopération internationale pour la solidarité et le développement. Ce fond a été alimenté avec un milliard de dollars. Un montant qui représente le double du montant des investissements du Maroc en Afrique en 2019. Plusieurs autres projets sont venus soutenir la position du pays en Afrique : Réalisation d’une route reliant Tindouf à Zouerate en Mauritanie. Achèvement des travaux de la route de l’Unité africaine et de la dorsale transsaharienne (fibre optique), et la relance du projet du Gazoduc Transsaharien. Et ce n’est que le début !
M. Chermat