La terreur est l’apanage des classes dominantes

Violence de classe

Une société fondée sur l’antagonisme de classes implique nécessairement une violence de classe. Celle de la classe exploiteuse. Toute exploitation de classe fonde son pouvoir sur la violence. Une violence toujours croissante au point de devenir institutionnelle. C’est-à-dire étatique. De nos jours, la violence organisée et institutionnalisée, incarnée par l’État, est l’unique technique de soutènement de la société capitaliste. Sans la violence institutionnelle exercée par l’État tout l’édifice social de la société s’effondrerait immédiatement. L’État s’emploie en permanence à empêcher la constitution pérenne de rassemblements, d’attroupements, de regroupements propices à la fermentation politique subversive et à la création de collectifs autonomes librement organisés, susceptibles d’initier et d’instaurer un forum de discussion libre, une agora démocratique populaire permanente qui peut se transformer en contre-pouvoir capable de supplanter et d’abolir les institutions dominantes officielles bourgeoises déjà malmenées et délégitimées, c’est-à-dire les rendre caduques, donc illégitimes. Autrement dit, capables d’engendrer une situation de dualité de pouvoir surgie sur un conflit irréductible des classes.
À la faveur du mouvement de contestation actuel en France, tout le monde aura remarqué que chaque manifestation s’achève dans une atmosphère de violences. De terreur perpétrée par les forces de l’ordre.
Au vrai, ce climat de terreur provoqué et perpétré par l’État vise deux objectifs. D’une part, empêcher les manifestants de former des groupes de discussions, des Assemblées générales à ciel ouvert, susceptibles de s’implanter durablement, avec comme perspective de s’étendre à l’ensemble des villes. Donc, de se transformer en véritables institutions délibératives et décisionnelles alternatives majoritairement adoptées par l’ensemble du prolétariat. Un véritable contre-pouvoir.
D’autre part, à dissuader une partie des travailleurs de se joindre aux prochains cortèges, c’est-à-dire de participer aux manifestations par crainte des violences policières. Autrement dit par peur de subir la terreur de l’État bourgeois. En France « démocratique », vous avez le droit de manifester mais dans un climat de harcèlement, d’intimidation, d’humiliation et de terreur policiers. De quoi dissuader le plus téméraire des protestataires. C’est ce qui s’appelle une démocratie totalitaire. Ou un Totalitarisme démocratique. Un Totalitarisme light. Une démocratie sous la férule de la Terreur.
Pour autant, pour évoquer le phénomène des violences urbaines actuellement très médiatisé en France, la focalisation sur les casseurs a également pour dessein de distiller dans l’esprit des protestataires l’opinion selon laquelle la révolte sociale engendre inéluctablement la violence et, par voie de conséquence, le chaos. Cette polarisation sur les éléments les plus radicaux du mouvement de révolte (infiltré par des agents de police), auteurs de dégradations, vise à justifier la brutalité de la répression policière. Et, surtout, elle a pour finalité de présenter l’État et ses institutions comme les principaux remparts pour défendre la « démocratie » (bourgeoise), « menacée par les hordes de casseurs ». (Or, comme on vient de démontrer, ce n’est pas quelque centaines de black blocs manipulés qui menacent et répriment les millions de prolétaires, mais les centaines de milliers de policiers, qui font régner un climat de terreur).
Cette orchestration étatique des violences vise également à diviser les manifestants, à désagréger les manifestations, à susciter la méfiance et la suspicion au sein des travailleurs, donc à neutraliser toute éclosion de sentiments de solidarité, de volonté de cohésion afin d’impulser une réelle structuration du mouvement de révolte sociale inscrite dans une perspective révolutionnaire. Au vrai, les manifestations de violence contemporaines traduisent tout à la fois la faiblesse de la classe ouvrière, fragilisée par le reflux de sa conscience et de sa combativité opéré ces trois dernières décennies, une classe ouvrière phagocytée par la petite-bourgeoisie intellectuelle fréquemment aux manettes de la lutte, et la dégénérescence de la société bourgeoise, la délégitimation des institutions gouvernementales, réduites à régner par la terreur, comme on l’a analysé plus haut.
Les violences commises lors des manifestations sont l’œuvre d’individus issus de la petite-bourgeoisie déclassée, animés de ressentiments exacerbés, de haine vengeresse à l’endroit du système capitaliste, souvent mal appréhendé et mal défini.
Ces pulsions de violence, ces comportements nihilistes rappellent étrangement ceux des jeunes djihadistes musulmans, fascinés par les actions destructrices, qui plus est partisans du terrorisme. Ce n’est pas un hasard si ces deux mouvances radicales sont fréquemment instrumentalisées par l’État, notamment par la création de climats de psychose propres à susciter la sidération et l’abattement, le repliement et la résignation. Elles permettent surtout de justifier et de légitimer le durcissement autoritaire étatique, la répression policière, la militarisation de la société. Et, dans le cas du phénomène des casseurs de France, de réhabiliter et de recrédibiliser les syndicats, ces appareils de contrôle et d’encadrement des salariés œuvrant au service du Capital, « seuls capables, selon la propagande médiatique, d’organiser pacifiquement la lutte ».
En tout état de cause, le mouvement ouvrier a toujours condamné les violences urbaines, les dégradations et le terrorisme. Il est de la plus haute importance de souligner qu’aussi bien la guérilla en zone rurale que la violence dans l’espace urbain entre policiers et groupes de black blocs sont étrangères au prolétariat. En effet, les violences aveugles et minoritaires des Black-blocs ne s’intègrent absolument pas dans une dynamique et perspective de lutte de classes. Elles ne participent en rien à l’affermissement de la lutte, ni à l’aiguisement de la conscience de classe ouvrière.
En revanche, elles participent amplement à la justification et à la légitimation de la Terreur d’État.
Khider Mesloub
(Suite et fin)