Un métier cela s’apprend, tandis qu’artiste cela s’invente tous les jours

Mode de vie

Deux activités diamétralement opposées, celui qui veut exercer un métier pour lequel il est novice est obligé de suivre une formation au terme duquel il est supposé avoir acquis quelque expérience qui le rende apte pour l’exercer, mais pour être artiste, il faut des qualités innées, et on ne le devient véritablement qu’en pratiquant un art tous les jours et toute la vie.

Le métier de tôlier par exemple s’acquiert soit dans une école professionnelle soit auprès d’un ancien qui vous embauche et vous entraine au fil des mois à la pratique du métier. Il existe plusieurs travaux de tôlerie, mais il en est un qui est plus précis, c’est celui qui s’occupe à réparer des tôles de voitures et qui demande des connaissances, de l’adresse et de l’expérience et à ce travail s’ajoute celui de la peinture de carrosserie. On est d’abord pris en charge comme apprenti et on acquiert le métier qu’après de longues années de pratique dans la tôle et la peinture. Il en est de même de tous les métiers qui s’apprennent par la pratique sous l’œil vigilant des plus anciens. Mais pour être artiste, on est supposé être né pour un art : la peinture, l’écriture, la musique et il y en d’autres. De plus, un art est pratiqué quotidiennement et l’artiste est quelqu’un qui se cherche chaque jour pour essayer de faire des découvertes sur la manière d’améliorer les sons pour la musique ou d’associer des couleurs pour obtenir de nouvelles nuances, sinon une manière originale de narrer pour l’homme de plume qui cherche de nouvelles techniques d’écriture. L’artiste est quelqu’un qui se remet en question tout le temps, il n’est jamais satisfait de son travail tant il cherche à faire toujours mieux.

Un métier est avant tout une école
Et c’en est une, indéniablement. En exerçant le métier, on apprend à maîtriser un travail et on découvre une famille professionnelle qui, à son tour, nous fait découvrir au fil du temps la vie autrement avec ses difficultés qu’on doit apprendre à surmonter, sur le plan professionnel et sur le plan relationnel. Concernant le travail, il y a des règles à respecter scrupuleusement pour l’acquérir de manière progressive et qu’il appartient à chacun de faire des efforts pour comprendre la marche à suivre et qu’il faut respecter à la lettre si on a l’intention de se stabiliser dans le métier qu’on a choisi d’exercer avec des normes strictes. Quand on exerce un métier, il faut chercher avant tout la satisfaction de sa propre conscience et de sa hiérarchie, surtout quand il s’agit d’un travail à la chaine où on doit éviter toute perturbation préjudiciable à l’ensemble ; et quand il y a perturbation, elle est sûrement due aux maladresses d’un élément de cet ensemble. En fait, nul n’a le droit à l’erreur sous peine de sanction. Sur le plan relationnel, il faut retenir que le respect est de rigueur et réciproquement, cela évitera à chacun d’être mis à l’index. Voilà l’ensemble des règles, que celui qui entre dans le monde du travail, doit apprendre rigoureusement pour avoir la chance d’être intégré à sa famille professionnelle. Dans le cas d’un travail libéral, un jeune qui se fait recruter comme apprenti, par exemple chez un mécanicien pour de menues tâches, les règles que nous avons énoncés plus haut sont les mêmes. L’apprenti doit répondre présent au patron dès que celui- ci veut quelque chose, un outil ou un petit travail et chemin faisant, au fil des années, si le jeune apprenti accomplit sa tache avec amour et qu’il s’habitue au travail du patron, il apprend le métier sans le savoir et au bout de quelques années ou décennies, il y a de fortes chances qu’il devienne mécanicien à son tour, à condition qu’il reste un bon apprenti. Vous voyez le temps qu’il faut pour former un mécanicien si l’apprenti à la volonté d’apprendre dès son embauche. Mais rares ceux qui restent apprentis, ils abandonnent sitôt après la première engueulade du patron, ils vont tenter leur chance ailleurs. Pour devenir un bon ouvrier spécialisé, il faut se soumettre à un long apprentissage et à une longue pratique, mais à condition que l’apprenant veuille bien apprendre. Un bon employé de bureau dans un corps de métier ou un bon ouvrier cherchant à évoluer, arrive toujours au bout de quelques années à évoluer. Ainsi que de maçons qualifié sont devenus entrepreneur, d’apprentis pâtissier sont arrivés à être de bons pâtissiers et à ouvrir une pâtisserie. On voit bien qu’un métier est une vraie école où on acquiert un travail et où on apprend à rendre la réciproque à tous ceux qui vous respectent.

L’artiste cela s’invente tous les jours, c’est un mode de vie
Tout d’abord, supposé être original, l’artiste a toujours eu pour souci majeur de se remettre en question pour se réinventer, se chercher tout le temps pour produire singulièrement des œuvres qui font plus qu’enchanter le public intéressé par la nouveauté qu’il trouve tel qu’ils en sont pleinement satisfaits. Ce qui oblige l’homme de plume à se réinventer en faisant l’effort d’écrire dans une forme nouvelle qui plait à tous les lecteurs assoiffés de belle poésie et de belle prose qui leur racontent de manière esthétique toute leur vie avec ses joies, ses chagrins, l’espoir d’une existence meilleure. Le poète, le romancier ou le chroniqueur sont conscients de la nécessité de se renouveler stylistiquement et thématiquement pour arriver à combler le lecteur en lui offrant de la bonne, c’est-à-dire enrichissante lecture. Bien écrire pour faire aimer le plus possible la lecture qui élève le niveau de culture, tel est le vœu de l’homme de plume attaché à la langue comme l’artiste des couleurs qui armé d’un pinceau cherche l’admiration des passionnés des toiles d’une lecture rebutante de prime abord mais tout de même intéressante lorsqu’on finit par trouver le fil du message que contient une œuvre artistique.
Le langage pictural n’est pas aussi abordable qu’on le pense tant son code est diversement interprété et expose les lecteurs à des méprises sémantiques très lourdes et qui empêchent de comprendre le sens général. Il s’agit là d’un langage ésotérique pur et dur. Ainsi, arriver à interpréter un tableau de maître relève parfois de l’exploit tant il y a de signifiants qui prêtent à confusion et qu’il faut apprendre à surmonter pour accéder au sens global. Un coup de pinceau terminé par une boucle réalisé par la main unique de M’hamed Issiakhem à un sens, il peut signifier un coup de colère ou la volonté d’entamer un nouveau chef d’œuvre dont il avait des idées claires et qu’il fallait réaliser en un temps record pour répondre aux besoins d’une nouvelle lecture pour les passionnés des œuvres d’Issiakhem aussi prolifique que Kateb Yacine, son ami intime et qui avait comme lui, le sens et la capacité de l’innovation exactement comme dans la musique qui répond aux vœux de mélomanes assoiffés de belles nouveautés musicales qui leur apportent du tonus et qui les font rêver. Et à chaque génération, ses chanteurs et ses poètes qui ont pris en charge le vécu collectif dans ses hauts et ses bas. Parmi ceux-là, il y a ceux qui ont marqué tout le monde, tous âges confondus, comme El Anka, Guerrouabi, qui ont chanté la vie sous toutes ses faces et la plupart des chanteurs de cette génération sont à la fois paroliers et artistes. Il faut ajouter Amar Ezzahi, Abdelkader Chaou qui ont chanté la vie telle qu’elle a été vécue par leurs contemporains. Il y a des artistes chanteurs qui arrivent à toucher par une seule parole répétée comme un refrain d’un grand poids sémantique. Chercher à faire toujours mieux qu’il ne fait est un souci majeur de tous les chanteurs en travaillant la voix et les paroles. Une voix musicale avec des paroles qui n’ont aucun sens, ça n’intéresse nullement le public, de belles paroles bien agencées a de fortes chances de charmer les oreilles de ceux qui écoutent et bien des chanteurs qui ont une voix grave et caverneuse ont réussi à avoir la plus grande écoute, tel est le cas de El Hasnaoui très estimé pour avoir chanté toute sa vie sur tous les thèmes intéressant les problèmes relationnels et les états d’âme, mais qui a fini ses jours dans une ile des Comores. Toute belle chanson part avant tout d’un texte esthétiquement et poétiquement composé sur des thèmes en rapport avec le public.
Le vrai chanteur qui cherche à se faire écouter doit chanter le chagrin, la joie, l’échec, le succès, le malheur, le bonheur sous toutes leurs formes éprouvés par les autres. L’art est un mode de vie, en effet celui qui l’a choisi se cherche chaque jour pour s’adapter à un public qui évolue en même temps que lui. Dans une carrière d’artiste qui s’étale sur une cinquantaine d’années, que d’expérience on a acquise, que d’échecs on a essuyés et dont on a tiré des leçons à retenir, que de critiques émanant de ceux qui ne nous aiment pas on a subies, mais qui ont été bénéfiques, que de succès on a remportés. Après une longue carrière, on finit par produire des œuvres exprimant la sagesse, à l’exemple des chanteurs.
Boumediene Abed