Lutte contre la mauvaise gestion et les transferts illicites de capitaux par une nouvelle gouvernance, une question de la sécurité nationale

Economie

Le dossier des transferts illicites de capitaux et de l’évasion fiscale pose le problème de la gouvernance et de l’urgence d’une coordination sans faille des institutions de contrôle, avec pour finalité de relancer l’économie nationale et garantir la nécessaire cohésion sociale.Selonles données récentes de la Banque mondiale les transferts de capitaux net hors Algérie ont été en 2011 de 0,203 milliards de dollars ; en 2012 de 0,215 ; 2013 de 0,210 ; 2014 de 2,452 ; 2015 de 1,997 ; 2016 de 1,989 ; 2017 de 1,792 ; 2018 de 1,985 ; 2019 de 1,760 ; 2020 de 1 ;792 ; 2021 de 1,700 ; 2022 de 1,786, soit au total entre 2011/2022 de 17,881 milliards de dollars, les réserves de change étant de 54,6 milliards de dollars fin 2022 représentant cumulés soit 33%.Ces données ne précisent pas s’il s’agit de transferts légaux ou illicites. Les importations de biens et services souvent entre 2010/2020 avec une baisse, selon la Banque mondiale, ont été d’environ de 1050 milliards de dollars et les exportations d’environ 1100 milliards de dollars. Si on applique 20% de surcoûts (10% de surfacturation et 10% de mauvaise gestion) nous avons plus de 100 milliards de dollars de transferts illicites et 100 milliards de soit au total 200 milliards de dollars durant cette période ne devant pas confondre mauvaise gestion et corruption.
La non-maîtrise des contrats et des mécanismes économiques et financiers internationaux comme les fluctuations boursières relèvent de la mauvaise gestion. Il y a des Algériens qui disposent de biens à l’étranger qui peuvent provenir de plusieurs sources : des entrepreneurs exerçant légalement hors du pays d’origine et les biens financés par les transferts illicites dus aux surfacturations.
Dans ce cas l’on assiste à un phénomène de un vase communicant qui induit également le rapatriement d’une fraction des montants transférés via le marché parallèle pour acheter localement surtout des biens immobiliers. Mais outre les devises, nous assistons également à des surfacturations en dinars, notamment dans le BTPH (ou le coût de la corruption se répercute sur la mauvaise qualité des projets) et des pertes pour le Trésor public, les pouvoirs publics reconnaissant «la faiblesse du recouvrement fiscal, alors que la fraude et l’évasion fiscale ont atteint des niveaux intolérables». Si l’on s’en tient au rapport de la Cour des comptes de 2021 relatant des données de 2018/2019, le constat est alarmant.
Les dettes fiscales d’impôts et taxes continuaient de grimper, en 2019, et ont atteint un montant global de 4886,573 milliards de dinars, en hausse de 8,44% (380,259 Mrds de DA) par rapport à 2018, soit au cours de l’époque environ 120 dinars un dollar cette dette a atteint l’équivalent de 40,72 milliards de dollars, contre 4506,314 milliards de dinars en 2018 et de 3 895,78 milliards de dinars en 2017.
Le montant recouvré au titre de l’exercice 2019 a été de 101,157 milliards de dinars, soit 2,03% du montant des restes à recouvrer et sur ce montant très faible, le constat est une diminution de 29,83% (43,009 Mds de DA) par rapport à l’exercice 2018. Les restes à recouvrer, liés à la TVA, représentent la part la plus importante (38,32%) avec un montant de 1872,64 milliards de dinars, suivie des impôts indirects avec un taux de 19,76% (965,723 milliards de dinars) et de l’impôt sur le revenu global avec un taux de 19,69% (962,307 milliards de dinars). Sans compter l’évasion fiscale interne, où domine la sphère informelle.
Un rapport sur l’état des lieux de la justice fiscale, publié par l’organisation non gouvernementale (ONG), Tax Justice Network, l’Algérie perd chaque année plus de 467 millions de dollars, (pour l’Afrique c’est environ 23,2 milliards de dollars/an), représentant 0,3% du produit intérieur brut (PIB) du fait des pratiques d’évasions fiscales internationales. Environ 413,75 millions de dollars relèvent d’abus transfrontaliers d’impôts sur les sociétés par les multinationales et 53,3 millions de dollars, en évasion fiscale, par des particuliers fortunés qui transfèrent leur argent à l’étranger. Mais cela n’est pas propre à l’Algérie.
La dernière enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dite Pandora Papers met en lumière l’ampleur de l’évasion fiscale dans le monde.
Selon les journalistes ayant travaillé sur ce dossier, l’équivalent de 11 300 milliards de dollars a été mis à l’abri dans des paradis fiscaux, légalement ou illégalement. A titre de comparaison 11 300 milliards de dollars c’est 98 fois plus cher que le coût total de l’ISS, la Station spatiale internationale, 113 000 avions de ligne et 131 fois le budget de l’éducation en France. Ces transferts illicites cumulés pour les pays en développement entre 2000 et 2020 dépasseraient les 15 000 milliards de dollars contre 11.000 entre 2000/2017 (données officielles de l’ONU) renvoyant à la moralité de ceux qui dirigent la cité.
La fuite illicite de capitaux dépasse 75 milliards d’euros par an en Afrique en 2020 dues à la corruption, la contrebande, l’évasion fiscale, l’équivalent de la somme de l’aide publique au développement et des investissements directs étrangers, selon le rapport 2020 sur le développement économique de l’Afrique, publié lundi 28 septembre 2020 par la Conférence des Nations unies sur le développement (Cnuced). « Ces flux, qui privent les Trésors publics de ressources nécessaires au financement du développement, sont considérables et ne cessent de croître», déplorent les auteurs du rapport, en précisant qu’ils représentent aussi la moitié des 200 milliards de dollars par an jugés nécessaires pour que l’Afrique soit en mesure d’atteindre les objectifs du développement durable (ODD) d’ici à 2030.
Phénomène qui s’est accentué puisque la précédente estimation, publiée en 2015 par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, avançait le chiffre de 50 milliards de dollars en moyenne par an sur la période 2000-2008. Pour l’Algérie, je réitère la proposition que j’ai faite en 1983 lorsque je dirigeais les départements des études économiques et des contrats, en tant que haut magistrat, premier conseiller à la Cour des comptes, chargé du contrôle du programme de l’habitat en coordination avec le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Habitat et les 31 walis de l’époque entre 1982/1983 et le dossier des surestaries en relation avec le ministère du Commerce concernant le contrôle du programme anti pénurie. J’avais proposé à la Présidence de l’époque la mise en place en urgence d’un tableau de la valeur avec la numérisation pour permettre l’interconnexion des différents secteurs concernés, la Banque d’Algérie, les Douanes, les Fisc, entreprises publiques / privées, et les différents ministères avec leurs annexes locales afin de lutter contre les surfacturations, tableau qui n’a jamais vu le jour car s’attaquant à de puissants intérêts que certains politiques, experts et fonctionnaires redécouvrent en 2021/2022.
Pour les capitaux transférés d’une manière illicite à travers les surfacturations, pour la majorité des experts juristes consultés, il est très difficile voire impossible de faire barrage au phénomène sans une coopération internationale.
D’autant plus que plus de 80% des capitaux transférés sont placés dans des paradis fiscaux, en actions ou obligations anonymes et dans la majorité des cas mis au nom de tierces personnes souvent de nationalités étrangères. Rappelons-nous les fonds du FLN dans certains comptes spéciaux, durant la guerre de Libération nationale dont une partie n’a jamais pu être récupérée. Le transfert illicite des capitaux représente un véritable défi.

Abderrahmane Mebtoul Pr des universités, docteur d’Etat en sciences économiques
(A suivre…)