Permettent-ils de canaliser la masse monétaire en circulation dans la sphère informelle sans une nouvelle gouvernance et la refonte du système financier ?

Les bureaux de change

Afin de canaliser le capital argent de la sphère informelle, le 23 septembre 2023, le Conseil monétaire et bancaire vient d’adopter un projet de règlement relatif aux conditions d’autorisation, de constitution, d’agrément et d’exercice des bureaux de change, une démarche qui vise à créer les conditions idoines à même de favoriser le déploiement d’un vaste réseau national de ces bureaux.En effet, beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours achètent les devises sur le marché informel et des biens à l’étranger. Paradoxalement, cela n’étant pas propre à l’Algérie, mais dans les pays en voie de développement connaissant une situation dualiste de leur monnaie, ce sont une partie des devises transférées par Banque d’Algérie au cours officiel, via les surfacturations d’agents publics et privés algériens, en complicité avec des opérateurs étrangers ( partage des gains) qui par différents canaux informels alimentent le marché de devises au niveau national et permet des achats de biens à l’étranger. Troisièmement, beaucoup d’Algériens et d’étrangers utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque algérien et étranger a droit par voyage à 1000 euros non déclarés, certains utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant, assistant certainement, du fait de la méfiance, à une importante fuite de capitaux de ceux qui possèdent de grosses fortunes.
Quatrièmement, il y a eu une baisse des transferts avec les décès des retraités à l’étranger. Cette baisse de l’offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne localement et à l’étranger qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie, montrant clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que certaines données de 5 milliards d’euros, où ces montants convertis en investissement vers l’achat d’une valeur sûre l’immobilier. Une partie des transferts est liée à la corruption en devises sans compter les surfacturations des projets en dinars algériens, qui expliquent les surcoûts des projets avec des malfaçons surtout dans le BTPH. Les importations en biens et services, selon le FMI ont été entre 2000/2021 de plus de 1050 milliards de dollars pour des exportations en devises de 1100 milliards de dollars, le solde étant les réserves de change au 31/12/2021. Quel a été le montant entre 2022 et septembre 2023 ? Si on applique un taux de surfacturation de 10% nous aurons des transferts illicites de capitaux souvent dans des paradis fiscaux, en complicités avec certains fournisseurs étrangers, de 100 milliards de dollars et pour 15% 150 milliards de dollars, Si on ajoute les surfacturations en dinars le montant pourrait doubler ? Une partie de ces transferts en retour alimente le marché parallèle de devises : si l’on prend seulement dix pour cent cela varierait entre 10 et 15 milliards de dollars/an pour la période citée.
Cinquièmement, de dérapage du dinar sur le marché parallèle provient de la sphère informelle avec une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques, expliquant le résultat mitigé de la mesure d’intégrer ce capital argent au sein de la sphère réelle qui sert de soupape de sécurité sociale à court terme, mais entrave le développement à moyen terme. Avec la déthésaurisation des ménages face à la détérioration de leur pouvoir d’achat, mettent des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation et plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, des biens durables à forte demande comme les pièces détachées facilement stockables, l’achat d’or ou de devises fortes. Les prix des produits non subventionnés s’alignent souvent sur le cours du dinar sur le marché parallèle, amplifiant l’inflation. Pour lutter contre la sphère informelle, le gouvernement a décidé récemment d’introduire la monnaie numérique où beaucoup de pays n’étant qu’au stade de l’expérimentation. Selon la Banque d’Algérie, la numérisation des paiements devrait s’orienter vers l’adoption d’une forme numérique de monnaie dont elle assurera l’émission, la gestion et le contrôle sous le nom de dinar numérique algérien. Mais l’on ne doit pas confondre la monnaie numérique avec les crypto-monnaies qui circulent sur Internet hors de toute institution bancaire, ne reposant pas sur un tiers de confiance, comme une banque centrale, n’ayant pas d’autorité centrale d’émission ni de régulation. Pour l’instant aucun bilan n’a été révélé sur le montant de la sphère informelle que l’on a pu intégrer, sinon que selon l’ABEF jusqu’au 31 décembre 2022, plus de 594 milliards de dinars [presque 4 milliards d’euros] ont été collectés par les banques algériennes dans le cadre de la finance islamique. En conclusion, le pouvoir d’achat est fonction de la stabilité du dinar mais aussi de celle du dollar par rapport à l’euro Si la valeur du dollar US augmente par rapport à celle de l’euro, la capacité d’importation de l’Algérie augmente et si la valeur du dollar US baisse, le pouvoir d’achat des recettes d’exportations se réduit, influant sur la valeur du dinar. Cependant, il y a lieu d’éviter l’illusion monétaire car la monnaie est avant tout un rapport social, traduisant le rapport confiance Etat/citoyens, étant un signe permettant les échanges ne créant pas de richesses. Au contraire, la thésaurisation et la spéculation dans les valeurs refuges comme l’or, certaines devises ou certaines matières premières sont nocifs à toute économie. Il est démontré que n’existe pas de corrélation entre les pays les plus riches et le niveau des réserves de change et que ce ne sont pas les pays qui ont une balance commerciale équilibrée ou excédentaire qui connaissent un taux de croissance élevé. La richesse de toute nation provient de la bonne gouvernance, d’un afflux important de l’investissement national et étranger créateur de valeur ajoutée reposant sur le travail et l’intelligence et aucun pays ne s’est développé grâce aux mythes des matières premières. Après avoir épuisé ses stocks d’or, avec la découverte de Christophe Colomb, l’Espagne a périclité pendant plusieurs siècles et le régime roumain communiste avait des réserves de change grâce à des restrictions drastiques des importations mais une économie en ruine. Et c’est ce qui attend les pays producteurs d’hydrocarbures qui ne vivent que grâce à cette rente.
Abderrahmane Mebtoul
Pr des universités
Expert international
(Suite et fin)