Au cœur des marchés…

Dans un village d’antan…

Les plus anciens d’entre-nous ont la culture des marchés d’antan, ils les ont aimés parce que c’est des lieux de détente et l’on s’y rend par plaisir sous prétexte d’y faire quelques achats ainsi que quelques découvertes utiles pour l’avenir.

On en a déjà parlé sous d’autres formes et en des circonstances particulières. Ce dont on veut parler, c’est du marché traditionnel dans tout ce qu’il offre comme possibilités de rencontrer des personnes intéressantes et qui pourraient répondre à un manque. Des marchés, il en a existé partout en Algérie et depuis les temps les plus reculés ; ils répondaient largement aux besoins des gens qui avaient les moyens de se payer quelques denrées de consommation courante. Et la complémentarité était l’une des particularités de ces marchés qui se tenaient une fois par semaine et par endroit.
Dans l’ancien temps, rares étaient ceux qui avaient une voiture et on y allait à dos de bête qui, pour s’approvisionner en denrées, qui pour acheter de la viande ou les abats, qui pour chercher un outil ou des ustensiles de cuisine.
Mais au marché de l’ancien temps on n’allait pas seulement pour faire des achats, mais aussi pour voir un guérisseur, ou un devin ou quiconque serait chargé de conseiller sur des plantes à vertus curatives pour la médecine de grand-mère sur laquelle on comptait beaucoup. Et la plupart des métiers traditionnels étaient omni- présents par leurs produits : objets en terre sous différentes formes, outils métalliques, ustensiles en bois, vêtements confectionnés sont vendus à la criée par leurs marchands à même le sol. Etc. Donc, dans ces marchés hebdomadaires, on pouvait trouver tout ce dont on avait besoin pour vivre. Aujourd’hui la situation est tout autre, mais les marchés ont continué d’exister.
Dans les grandes villes, ils sont généralement couverts et ils se limitent à la vente des fruits et légumes ainsi qu’à d’autres articles de toutes sortes du domaine de l’habillement, produits à usages domestiques, etc. De nos jours, on essaie de perpétuer la tradition des marchés anciens, les marchands de la nouvelle génération font l’effort de recréer les bonnes vieilles habitudes pour mettre leurs clients dans l’ambiance des aïeux.

Les marchés d’antan
On va essayer d’en dire l’essentiel par les souvenirs qui nous ont été rapportés par nos aînés avec quelques anecdotes drôles qui s’y rattachent. Cela remonte à un siècle et plus en arrière dans les zones campagnardes ou semi-urbaines, car dans les grandes villes on trouvait tout ce dont on pouvait avoir besoin pour vivre. Dans les villages, il n’y avait pas d’autres lieux d’approvisionnement que le marché. On choisissait un endroit assez spacieux pour contenir tout le monde et bien situé pour arranger un ensemble d’agglomérations ou villages où les habitants pouvaient s’y rendre à dos d’âne ou à dos de mulet ; c’était généralement le bord d’un oued où coule ne serait-ce qu’un mince filet d’eau juste suffisant pour nettoyer certaines denrées ou pour faire ses ablutions, sinon un espace assez vaste et pourvu d’eau. Jadis, on allait au marché surtout pour faire quelques provisions indispensables en denrées de premières nécessités et pour acheter un peu de viande qui n’était disponible nulle part ailleurs.
Tous les marchands vendaient à même le sol, y compris les bouchers qui posaient leur viande sur un tapis de fougère. La balance existait mais ne rentrait pas au marché où tout se vendait à l’estime et jamais au poids. Chaque marchand faisait des tas plus ou moins grand, les clients intéressés passaient et chacun donnait un prix pour le tas qui lui semblait convenir. Quant aux bouchers, ils vendaient leur viande par chapelets, ils y ajoutaient les abats. Chaque chapelet était vendu en fonction du prix proposé et discuté comme dans une vente aux enchères. Mais ce marché de l’ancien temps ne se limitait pas à la vente des denrées alimentaires. On y allait aussi pour acheter toutes sortes de vêtements masculins ou féminins des modes anciennes, sinon des ustensiles de cuisine à l’occasion d’un nouveau mois de ramadhan, ils étaient en terre ou en bois, des épices, des piments, des plantes aromatiques. La plupart de nos anciens joignaient l’utile à l’agréable, ils profitaient de leur présence au marché pour se procurer des feuilles de tabac à chiquer.
Rares étaient ceux qui ne chiquaient pas à l’époque et ceux qui ne pouvaient se passer de cette drogue refusaient de travailler lorsqu’ils en étaient privés et ne voyaient pas clair. Une anecdote drôle mais vécue se transmettait vite de bouche à oreille. C’était à la veille d’un nouveau ramadhan, un malchanceux bonhomme avait acheté une marmite en terre et une louche en bois, mais pour rentrer chez lui, il lui fallait traverser une rivière comme il l’avait fait le matin pour venir au marché. Il rentra dans l’eau au gué en tenant haut les précieux ustensiles mais au milieu de l’oued, il heurta un galet et perdit l’équilibre si bien que la louche lui tomba des mains. Il essaya de la rattraper mais celle-ci s’éloignait très vite et il ne lui restait plus qu’à la suivre du regard courant à la vitesse des flots, elle était perdue.

Un lieu idéal pour qui veut nouer des liens fructueux
En ces temps anciens, le marché était aussi un lieu de rencontre pour ceux qui ont la parole et le contact faciles. On pouvait rencontrer des gens intéressants prêts à vous rendre de précieux services : vous aider à trouver une épouse convenable, celui qui n’arrivait pas à se marier dans son univers naturel, son village, il se tournait vers d’autres régions qui acceptent plus facilement de donner leurs filles. Pour quiconque a du caractère, les liens d’amitié sont possibles avec d’autres gens paraissant sympathiques pour le plaisir de nouer des liens et par la même occasion de les solliciter pour un service. On raconte qu’un homme d’un certain âge et père de famille avait réussi à trouver une fille convenable d’un village lointain, à un jeune homme de son village qui l’avait chargé de cette mission.
Le soir, dès son retour chez lui, il annonça la bonne nouvelle au futur candidat au mariage qui n’arrivait pas à contenir sa joie et n’arrêtait pas de remercier son aîné. On fixa la date des cérémonies et on informa les parents de la fille plusieurs mois à l’avance. Mais arrivé le moment du mariage, le jeune homme fit savoir à son aîné qu’il ne voulait plus se marier. L’homme qui avait pensé avoir fait une bonne action était consterné. Comment le dire au père de la fille à qui il avait donné sa parole d’honneur. Et après mûre réflexion, il décida de prendre la jeune fille comme deuxième femme, il l’épousa et l’affaire était classée.

Le marché en plein air d’aujourd’hui
Ils existent un peu partout en Algérie des marchés non fermés et un peu partout en Algérie dans le monde et aux abords des grandes villes d’Europe. Il n’y a nulle nuisance lorsque dans une grande agglomération se tient un marché hebdomadaire même au milieu de la ville. On veut parler du marché de Boumerdès comme exemple type et que certains ont appelé, par méchanceté ou par moquerie, marché des femmes parce qu’il était fréquenté par une majorité de femmes qui venaient par minibus, des villes environnantes : Bordj Menaël, Dellys, Zemmouri, Thénia, Reghaïa, Rouiba et toutes les autres villes environnantes. L’étiquette qu’on a voulu faire porter au marché est fausse car en réalité, il y avait autant, sinon plus d’hommes que de femmes.
Mais c’est un marché qui encourageait à faire des achats de toutes sortes tant les denrées étaient variées. Malgré le rétrécissement de l’espace, il était deux fois plus vaste, on trouvait de tout : des fruits de toutes les variétés, des légumes, des blettes qu’on cuisine beaucoup parce qu’elles sont disponibles, à bon marché et bonnes pour la santé, des épinards, des plantes aromatiques, de la vaisselle, des vêtements pour hommes et femmes, les chaussures, de la friperie pour la literie, les vêtements pour hommes et femmes, les rideaux à tous les prix, les enveloppes de fauteuils etc. On avait tout ce qu’on pouvait désirer et pour les femmes qui venaient de partout, c’était une aubaine, un prétexte pour sortir et un moyen de s’approvisionner en tout. Le marché de Boumerdes, aux dires des plus anciens, a toujours existé. Il se tenait à l’entrée de l’ancienne ville et depuis il a fait l’objet de plusieurs délocalisations, avant de se stabiliser à côté de l’oued Tatareg. Et depuis plus de deux mois il a disparu. Personne ne sait qui a pris la décision de le supprimer subitement..

Abed Boumediene