Un tabou algérien, la presse parapublique

Secteur des médias

Un récent communiqué de la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères vient confirmer, si besoin était, à quel point la question des médias et de la presse en Algérie constituait un enjeu qui excède les seules limites professionnelles de l’exercice du métier et, paradoxalement, de celles du principe de la souveraineté nationale.

Pour autant que rien ne constitue, depuis les Accords d’Evian et le référendum du 1er juillet 1962, une quelconque autorité française sur le territoire algérien et le fonctionnement des institutions de l’Etat et de la société, il faut bien tenir cette intervention pour ce qu’elle est, une inopportune et inadmissible ingérence dans les affaires intérieures de l’Etat algérien. Les autorités françaises, quelles que soient les pressions que peut lui faire subir la crise du coronavirus et ses dramatiques conséquences, ont jugé nécessaire de faire entendre leur voix, toujours sur le registre gratifiant de la défense des libertés et de droits de l’homme. Combien de fois faudra-t-il dégonfler la baudruche, combien de fois faudra-t-il refaire la leçon d’histoire – aux politiques et élites françaises particulièrement – pour leur rappeler que s’il y a un Etat dans le monde qui a attenté aux libertés, violé l’intégrité des personnes, agressé les cultures et les identités, c’est l’Etat français et la feuille de vigne de la déclaration de 1789 ne suffit pas à le qualifier dans la protection des droits humains. Alors au nom de quoi les autorités françaises s’estiment-elles en devoir ou en capacité de donner des leçons et de rappeler que «la liberté d’informer était un droit fondamental», alors même qu’il avait été longtemps et largement foulé du pied par ce même Etat français et particulièrement en Algérie. Le seul intérêt de l’événement tient en la confirmation publique et formelle de l’implication française dans la crise algérienne et que sans surprise l’intérêt de la France ne tient pas au renforcement de l’Etat nation algérien et de sa légitimité. Entre un président de la République algérien élu, au grand dam des amis de la France en Algérie, et un Salhi, réputé porteur du flambeau des libertés – avec accréditation française – mais surtout anonyme dans sa propre société, le choix français est vite fait. La France panique et elle a raison de le faire parce qu’il y aura, tôt ou tard, un nouveau cours algérien dont le premier marqueur devra être la levée des tabous qui entourent – protègent – la presse écrite et plus singulièrement la presse écrite francophone.

Une presse sous contrôle
A l’origine et sans revenir à l’historique détaillé, il y a la séquence de l’arc septembre 1962/septembre 1963, qui verra la fin des titres de la presse coloniale d’Algérie, des journaux métropolitains imprimés dans le pays et la progressive émergence d’une presse algérienne. Il convient seulement de rappeler la décision politique de fusion des titres gouvernementaux Le Peuple et Alger républicain réputé proche du Parti communiste algérien, prise par le congrès du FLN d’avril 1964. Cette fusion ne se fera pas – Alger républicain étant suspendu de fait – et dans le sillage du coup d’Etat de juin 1965, est créé un nouveau titre El Moudjahid sous la tutelle du ministère de l’Information et de la Culture. On peut tenir qu’à cette date l’essentiel des moyens de communication de masse – presse écrite, audiovisuel et jusqu’aux mosquées – étaient passés directement ou indirectement sous le contrôle du système politique autoritaire. Des générations d’Algériennes et d’Algériens, quasiment occultés par les récits accrédités, ont fait l’histoire de cette presse, de ses qualités et de ses faiblesses. Ce fut assurément une presse au service du régime mais pas que. Ce fut aussi une presse de journalistes, souvent de qualité et compétents, qui n’étaient pas forcément aux ordres et à des ordres qui ne faisaient pas forcément le quotidien des rédactions. Cette histoire reste à écrire, ne serait-ce que pour rappeler qu’elle n’a pas commencé en 1988, ni avec le MJA et encore moins en prenant appui sur une mobilisation syndicale ou politique de ceux qui faisaient métier d’écrire dans les journaux de l’époque. Une mythologie élémentaire avait voulu faire d’octobre 1988 le socle d’un processus libertaire – même s’il faut donner acte aux premiers balbutiements d’une société civile, notamment la mobilisation contre la torture –, alors même qu’il procédait d’une démarche déterminée de réaménagement des rapports de force au sein du régime comme devaient le valider la révision constitutionnelle du 3 novembre 1988 et plus explicitement encore la Constitution du 23 février 1989. A l’occasion de l’une de ses rares sorties publiques après sa démission – une rencontre autour du rôle de la base de l’Est durant la guerre d’indépendance –, le président Bendjedid avait revendiqué ses choix en faveur du libéralisme, y compris dans le cadre du Conseil de la révolution, instance politique suprême mise en place par le coup d’Etat du 19 juin 1965. C’est dans cette politique de libéralisation que s’inscrivent les évolutions du secteur des médias annoncées dès juillet 1986 avec la séparation des titres de presse et des imprimeries et la restructuration de l’audiovisuel.
(A suivre)
Merdaci Abdelmadjid