Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit

Culture

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Dans ces villes où abondait ce phénomène, «les faux-semblants ont depuis longtemps cessé d’être les oripeaux derrière lesquels se cache la dignité offensée. Là, dans les boulevards de la ville… le dénuement côtoie aussi l’opulence du bazar. C’est que, voyez-vous, il y a plus tragique que la pauvreté, dont ne voudraient même pas entendre parler certains de nos responsables. Il existe désormais une misère qui clochardise tout sur son passage et qui s’affiche, sans pudeur, par temps de grande fatigue morale. Car, dans l’ordre des multiples conditions sociales, la première relèverait, disons, d’une dépréciation économique quand la seconde exprime la détresse, puis le renoncement, face à ce qui est presque définitif et sans appel… Le point critique, proche de la mort sociale. Le degré zéro du déclassement humain. Le plancher dans l’échelle de l’estime de soi et qui finit par devenir la litière de la marginalité». Le jeune s’arrête un moment. Est-ce pour prendre son souffle ? Non ! Du souffle, il en a à revendre, justement. Il veut seulement laisser les gens digérer le long monologue qu’il vient d’exécuter brillamment devant un auditoire quelque peu effaré et timoré par les importantes informations qu’il leur a données et les problèmes qu’il a soulevés. Un silence lourd règne dans le théâtre. Les gens se regardent. Que va-t-il encore nous révéler ce jeune-là, se disent-ils, certainement ? Et, à peine reprend-il la parole, qu’en même temps, un autre jeune, qui paraît exacerbé par la violence, les crimes en tout genre et la passivité de l’État, s’insurge contre ce monde injuste et débite des «chapelets» qu’il confirme avec des chiffres.
Le premier jeune se retire donc, parce qu’il pense avoir trop dit et cède sa place à celui qui l’a occupée presque de force. – Je me permets d’intervenir, d’une manière cavalière, comme cela, naturellement, parce que j’ai senti la confiance investir ce microcosme de liberté et de démocratie où il nous est permis de crier notre colère et étaler nos sentiments au grand jour. Je m’excuse auprès de vous pour cette fracassante incursion et auprès de celui qui m’a précédé et qui a été non seulement brillant mais aussi courageux pour avoir brisé des tabous et dit des vérités que beaucoup de grands responsables n’oseraient dire. En réalité, son exposé est complet. Il me serait difficile de prétendre être à sa hauteur, tant les sujets qu’il nous a développés sont riches et variés. Cependant, je vais essayer de dire le fond de ma pensée, puisque ce théâtre est l’endroit choisi pour exposer clairement nos doléances. Il s’arrête quelques secondes, lève la tête au ciel comme pour chercher un quelconque prétexte pour aller plus loin, et s’élance dans une autre explication. Il parle des jeunes et il se pose une question à laquelle il répond aussitôt : Les jeunes ? Ils vivent un autre monde, eux aussi, en tout cas un monde inégal, pénible, malaisé, différent, loin de leurs aspirations. Et ils s’accrochent à ce monde «barbouillé» grossièrement où se bousculent les contradictions et où il leur est difficile de trouver leurs marques. Ces jeunes n’ont pas eu de bons tuteurs.
Ces jeunes n’ont pas eu de bonne formation, comme les jeunes de l’après indépendance. Ceux-là sont livrés à eux-mêmes à cause de l’égoïsme de leurs aînés, à cause de cet environnement hostile, à cause de cette démographie sauvage que nous n’avons pu juguler compte tenu de notre fausseté et de notre duplicité, enfin à cause d’un tas de problèmes que nous n’avons pu solutionner à temps pour leur permettre d’évoluer dans la sérénité et dans la droiture. Mais, honnêtement, peut-on leur en vouloir, quand on les voit désœuvrés, oisifs, désengagés, loin de la réalité ? «Ces jeunes qui n’ont finalement connu que le deuil et la défaite et qui ont manqué d’étouffer sous la pression des multiples crises, ces jeunes frustrés qui voulaient tant éprouver, eux aussi, la joie d’une victoire que l’on fête en courant avec l’emblème national qui claque au vent, ces jeunes qui en ont marre d’applaudir aux exploits des autres» ne peuvent accepter facilement les défaites qui prennent les allures de triomphe. Ce n’est pas pour eux ! Non, merci. Ces jeunes sont branchés «ailleurs». Ils voient la différence, entre cet ailleurs et leur pays, dans le langage, dans le comportement, dans la gestion des soucis et des préoccupations des jeunes, dans la scolarité, dans les soins, dans l’exercice de la justice, dans la régie des loisirs et du bien-être, enfin dans tout… dans la propreté des quartiers, dans cet environnement qui attire et qui donne la joie de vivre…

Encore une fois, je répète la question. Peut-on leur en vouloir quand ils vivent quotidiennement les drames de l’insécurité ? Franchement, peuvent-ils rester les bras croisés et attendre qu’on vienne attenter à leur vie et à leurs biens pour réagir ? Peuvent-ils accepter béatement un banditisme aux multiples facettes et se réjouir, égoïstement, du fait que ce fléau n’a pas encore atteint certains parmi eux ou parce qu’il n’a pas atteint leurs familles ? Les chiffres de victimes sont lourds. Les conséquences aussi. L’artiste en a parlé longuement dans l’acte précédent et, si je reviens à la charge, c’est parce qu’il y a péril en la demeure. La situation est grave et n’est pas prêt de s’assainir si on ne prend pas les décisions adéquates, des décisions qui seront à la hauteur du drame que vit le pays. Regardons de près ce que disent les chiffres dans des rapports d’experts en matière de sécurité. Je n’invente rien, je vous transmets ce que disent les spécialistes. Lui aussi, ce jeune, comme le premier, a dû préparer sérieusement son intervention. Il tire un papier de sa poche. En fait c’est une synthèse de nombreux articles de presse qu’il a soigneusement gardés pour nous montrer à quel point les jeunes sont conscients du drame qui se joue sous leurs yeux.
Il commence ainsi :
– Un affreux tableau de chasse !
Une hécatombe inimaginable !
Jamais dans l’Histoire de notre pays nous n’avons assisté à tant de violence, de carnage, de vols et de délits. Consultons les chiffres et constatons de près notre égarement, voire notre démence dans des milieux de jeunes surtout, ces milieux qui ont été livrés à l’abandon au moment où il fallait le plus de mobilisation. Les exemples et les chiffres que je donne présentement ne reflètent pas la situation exacte dans tout le pays. Je donne seulement des échantillons pour quelques périodes de l’année. Cela reste bien loin du drame que nous vivons continuellement. «13 victimes brûlées dans leurs véhicules…
Un véritable carnage a eu lieu sur la route reliant X à Y, lorsque des citoyens ont été interceptés dans un faux barrage par un groupe terroriste dans la soirée de jeudi. Le bilan officiel fait état de 13 morts et un blessé. Les détails de cette embuscade terroriste, aux portes de la capitale, sont encore flous». Un des bilans rendu public par un service officiel de notre pays, «fait état de 4 777 crimes et délits et de l’arrestation de 6 987 personnes durant le premier trimestre de l’année en cours. Aussi, il est constaté une croissance continue du crime organisé avec une variation de 17% et une hausse de 14% du trafic et de la consommation de stupéfiants». Un autre bilan révèle que ce même service «intensifie sa lutte contre le banditisme et le crime organisé, deux fléaux qui se sont particulièrement accentués durant cette période post-terrorisme…
Ce bilan fait état de 3 hold-up, 121 attaques à main armée et 129 actes de brigandages, soit au total 253 traitées et qui se sont soldées par l’arrestation de 284 personnes dont 153 ont été mises sous les verrous. Les affaires liées au crime organisé sont au nombre de 1 019 durant cette période au cours de laquelle ont été arrêtées 1 477 personnes, avec plus de 2,7 tonnes de cannabis et des centaines de milliers de comprimés saisis. Dans leur guerre contre les réseaux de contrebande, ces mêmes services de l’État ont pu déjouer 2 281 tentatives. Ils ont appréhendé 3 023 personnes dont 269 ont été écrouées… En ce qui concerne les crimes et délits de droit commun et la délinquance, les services ont appréhendé 2 042 personnes dont 941 ont été écrouées. Les affaires de délinquance économique et financière ont aussi leur part dans ce bilan puisque 547 affaires au total ont été traitées». Au total disent les communiqués… comprenons bien, il s’agit d’une courte période.

Un autre quotidien publie le tableau de chasse suivant, pas du tout reluisant, lui aussi : «A Alger, la capitale, 651 affaires de vol, en une semaine… seulement !». Ce bilan effarant n’est que le constat de la première semaine du mois de Ramadhan, un mois de rapprochement, de bonté, de pardon et de piété. Ces affaires sont liées en majorité à des actes de vol de voitures, de vol de portables, d’agressions préméditées et de cas de détention d’armes prohibées. Il faut reconnaître, précise le quotidien, que les actes de vol et d’agressions ne cessent de prendre de l’ampleur ces derniers temps dans notre société. Arriverons-nous un jour à dépasser tous ces scandales ? Arriverons-nous un jour à savoir gérer convenablement notre temps, pour aller toujours en progressant, du passé vers le présent et du présent vers le futur ? Ou, écrasés par le poids de nos dissensions et de nos problèmes, nous ne pouvons nous libérer du carcan de nos tourments qui nous empêchent de voir notre monde avec des yeux attentifs ? Je m’arrête là car le tableau de chasse, en effet, n’est pas reluisant. Et là, je peux dire que ce n’est plus un rêve, cela devient un cauchemar, très dur à supporter, très dur à gérer. Un troisième jeune profite également pour intervenir et montrer ses talents dans cet espace réservé à l’analyse et à la répartie qu’inspirent des faits d’un quotidien difficile, dans un monde bouleversé par des facteurs profonds de crise et par le ressentiment exacerbé par l’indifférence et l’injustice. Il s’attaque à un autre problème, très important.
Il pense que tout a commencé de là. Mieux encore, il affirme que l’égoïsme des aînés, avec leurs chicanes et leurs mésententes, n’a pas créé cette opportunité chez les jeunes pour aller chercher les grandes valeurs dans leur Histoire. – «Je suis clément envers vous !», dit-il aux aînés qui parsèment le théâtre ! J’aurai dû vous fulminer, vous maudire peut-être, pour nous avoir magistralement ignorés depuis l’indépendance. Vous nous avez appris ce que vous avez voulu nous apprendre. Vous nous avez donné ce que votre égotisme et votre indifférence ont bien voulu nous dépenser… avec parcimonie. C’était vos territoires et vous n’étiez pas en mesure de les abandonner. C’est dommage, parce qu’aujourd’hui, il vous faut beaucoup d’efforts pour rattraper le temps perdu. C’est pour cela que la méconnaissance de l’Histoire par les jeunes est une carence grave doublée d’un préjudice moral que d’aucuns n’accepteraient quand il s’agit d’un pays, comme le nôtre, riche en épopées glorieuses et en faits d’armes extraordinaires. Je vous pose la question, franchement : avez-vous fait ce que vous devriez faire pour nous enseigner notre véritable Histoire ? Malheureusement non ! Bien avant cela, quelqu’un nous a parlé de Novembre, cette glorieuse Révolution qui n’a pas été comprise par les jeunes par votre faute, vous nos aînés. Oui, par votre faute, par votre égocentrisme et par votre avidité dans la démesure ! Vous vous battiez les uns contre les autres et vous ignoriez que nous étions là, à vous regarder, sans rien comprendre à vos délires. Quels sont nos héros ? Tous les jeunes, de par le monde, ont leurs intrépides et indomptables héros ! Ils ont leurs symboles.
Et nous, devrions-nous rester avec ces vaillants personnages importés, que nous vendent avec grand plaisir les stations satellitaires pour mieux nous conserver dans le régime de la dépendance ? Ainsi, jusqu’à maintenant nous prononçons des noms de rues, d’établissements scolaires et même de quartiers et de villes qui ne sont pas des noms de nos héros qui nous ont rendu notre liberté et notre dignité. Vous n’avez rien fait pour nous habituer à les connaître, en nous familiarisant avec leur prestigieux passé, à travers l’épopée glorieuse de notre peuple. Vous n’avez rien fait, ou très peu, pour nous permettre de les glorifier constamment et de nous inspirer de leur bravoure et leur détermination pour aller de l’avant dans la construction de notre pays. En effet, écrit un journaliste, «depuis notre indépendance, les anniversaires se suivent et se ressemblent quelque peu. Passée l’euphorie de la première année, la désillusion et le désenchantement se sont installés et ont petit à petit fait leur nid. Le pire est arrivé depuis la fin des années 80 et la décennie de sang qui l’a suivie. Depuis lors, pas de défilé, pas de célébration populaire, pas de liesse collective. Chacun célèbre la fête de l’indépendance à sa manière… La signification de la fête de l’indépendance ne semble intéresser personne. Une date comme celle-là est pourtant de nature à ressouder les rangs de tous nos frères, à les réconcilier avec eux-mêmes, à les rassembler dans une communion transcendantale pour dépasser les petits problèmes du quotidien. Et pourtant, le sentiment nationaliste, qui a été une réalité durant la guerre de libération, s’est laissé aller à une anorexie progressive qui a gagné toutes les sphères du pays. C’est cette asthénie patriotique, épuisée par les désillusions qui ont suivi l’indépendance, qui invite à une réflexion pour en comprendre les fondements…»

Un homme âgé, apparemment le père du jeune, quitte son fauteuil et s’insurge, coupant sa progéniture en pleine tirade. Il avance vers la scène. Résolu, fier, et avec des expressions audacieuses, s’adresse à l’assistance : – Mon fils a raison ! Que leur avons-nous laissé de ces valeurs de Novembre ? Rien ! Absolument rien ! Nous n’avons pas permis à cette continuité, tant déclamée, de se réaliser dans les normes et la symbiose. Nous n’avons rien fait pour que se poursuive ce «rêve» dans l’esprit des jeunes. C’est alors qu’avec tout ce que nous venons d’entendre, l’on s’interroge ensuite où sont passées les valeurs de Novembre. «La vérité… une vérité amère, est que les jeunes générations se sentent peu impliquées par Novembre et il n’y a pour s’en convaincre, qu’à leur poser la question. Souvenons-nous seulement ce geste hautement symbolique par lequel nous honorions nos balcons du drapeau national lors des fêtes sans que nous soyons forcés de le faire. Qui le fait encore aujourd’hui en dehors des différentes administrations sans provoquer un étonnement ? Ce n’est là qu’un des multiples comportements d’identification que nous avons perdus, alors qu’ils sont porteurs d’unité dans un pays aussi développé que les États-unis. Demandez au jeune Algérien de rêver l’Algérie comme l’ont rêvée ceux qui lui ont sacrifié leurs vies, c’est d’abord lui suggérer un sujet de rêve en le laissant libre de ce dont ils ont rêvé. Le discours politique, déroutant par ses multiples changements de cap en un temps trop court pour tous les digérer, n’a pas permis la construction d’une ligne de développement servant de repère à une génération, déjà divisée par ses langues, par sa religion, méconnaissant son Histoire et à l’avenir incertain.
Elle a fini par créer une langue onomatopéique où le verbe sans sujet n’a pas de complément, de multiples interprétations de la religion qui ont fait jaillir une violence mortelle et l’avenir incertain reste le seul point commun.
Qui s’en soucie réellement ?
Qui se soucie du «rêve algérien» ?
Qui se soucie en fait de l’Algérie ?»
Derrière, le vieil homme sage répète, en des phrases saccadées, ce que dit ce dernier intervenant, en changeant le ton bien sûr, pour paraître plus majestueux et quelquefois plus grave.
– Oui, Novembre a été occulté, dévié, même oublié… le grand Novembre qui ne signifie pas seulement une date, un anniversaire, mais tout un programme, une Révolution qui a changé le cours de l’Histoire et confirmé le mythe de l’invincibilité du colonialisme ! Avons-nous été fidèles à ses enseignements ? Avons-nous donné à notre jeunesse ce qu’il fallait pour lui permettre de se reconnaître dans les sacrifices de ses aînés et de ses parents afin de se mobiliser davantage au service du développement national ? Voyez-vous, moi aussi, je pose, comme tous ceux qui m’ont précédé, une multitude de questions sur un sujet brûlant et d’autres. Moi aussi, je réponds par la même formule magique qui nous fait fatalistes et nous rend impuissants devant Dieu, Clément et Miséricordieux : «Allah Ghaleb» ! L’artiste est là, dans son coin, plus présent que jamais, comme l’œil de Caen, qui regardait fixement. Il est à l’affût d’une quelconque intervention qui peut embarrasser. Les autres interventions, comme celles des jeunes, lui apportent du baume au cœur, le mettent à l’aise, parce qu’il se sent dans le bon sens, et lui permettent d’approfondir le débat et s’étaler dans les explications.
– Je suis tout près, dit-il avec une voix rauque qui vient comme un tremblement ! Je suis là pour vous rappeler vos devoirs. Je suis là pour vous dire que l’heure est grave, pour vous dire que le pays a besoin de vous, de vos bras, de vos cerveaux, de votre participation active et concrète. Saisissez votre chance et allez au devant de votre destin. Vous êtes les enfants de cette terre, vous êtes ses héritiers, vous êtes les bénéficiaires de tout changement et de toute évolution. Je sais comme vous qu’on vous a souvent ignorés, surtout ces derniers temps où le marasme a pris de l’ampleur, mais je sais aussi que beaucoup d’efforts ont été entrepris en votre direction. Il serait navrant de le nier et de s’habiller d’ingratitude dans des domaines qui ne méritent aucune contestation. De toute façon, j’ai déjà tenu ce langage dans l’acte précédent et j’aurai à donner encore mon avis sur ce sujet. Non convaincu, un autre jeune prend la parole. Il insiste sur les besoins de la jeunesse, sur les erreurs des aînés, sur le malaise que connaît notre pays. En termes directs, il dit les choses dans un parfait langage, digne de ces analystes qui ne désemparent devant aucun embarras et devant aucune adversité. – «Comment, en effet, se déterminerait notre jeune génération dans un paysage où l’adulte symbolise le mensonge, le mépris, la mauvaise gestion d’une opulence tombée du ciel sous forme de fûts de pétrole et de gazoducs, alors que d’autres pays sans richesses naturelles ou divines, c’est selon, ont su tirer profit de leur misère et transmettre à leurs suivants un véritable flambeau ? Nos enfants ne sont ni plus bêtes ni plus intelligents que d’autres, mais ont transgressé la paternité parce qu’elle ne leur a offert que les images floues de la consommation.
Parce que la paternité ne leur a pas transmis le rêve de la production et la valorisation du savoir en concomitance». J’arrête là mon discours, parce que je n’ai pas envie de vous dresser un tableau noir. De toute façon, ceux qui m’ont précédé l’ont si bien fait. Mais, vous me permettrez cependant de terminer avec cette affirmation qui a son importance dans cette déclaration que j’ai voulue sincère et, on ne peut plus directe, puisqu’il s’agit de notre éducation. «L’incapacité de l’État fort, disait un ancien responsable, avec lequel je suis entièrement d’accord, à assurer le simple respect des valeurs de probité et de rigueur qui fondent tout système d’éducation a ruiné le crédit intellectuel et éthique d’un système d’éducation dont le pays a un besoin vital. D’emblée s’installent les dérogations et passe-droits, les doctorats, agrégations et équivalences de diplômes par décrets et arrêtés, les scandales des notes falsifiées, des sujets d’examens et de concours qui se vendent et des enquêtes qui n’aboutissent à rien. Qui peut dire que cela appartient au passé ?». J’en connais un bout. Effectivement, cela n’appartient pas uniquement au passé, le présent est aussi entaché de ces «avantages» que subtilisent, sans honte, des responsables qui, en temps normal, n’aspirent jamais être dans ces postes qui doivent être attribués normalement aux cadres plus compétents, ayant des cheminements politiques autrement plus consistants.

Et voilà que des gueux, proclamés responsables par un décret déraisonnable et absurde, font leur loi, en s’inscrivant d’abord à des études supérieures – l’on se demande avec quelles bases –, des études supérieures qu’ils ne suivent jamais assidûment, et en inscrivant, ensuite, sous le régime de la complaisance, leurs enfants et leurs parents dans des universités que ne doivent pénétrer que ceux qui ont de solides références, c’est-à-dire dont les moyennes honorent l’élève et le système éducatif. Mais au fait, y a-t-il que cela qui nous dérange dans ce pays où il nous est impossible de transformer notre monde et le rendre meilleur en propageant le bien et en faisant reculer le mal ? Beaucoup de choses, nous interpellent… Il faut bien le clamer. Ainsi, depuis l’indépendance – et cela, vous nos aînés, le savez très bien – notre pouvoir s’est toujours méfié des gens sérieux, courageux, honnêtes, ceux qui disent clairement, à la face des responsables, ce qu’ils ont en leur for intérieur. Comme il s’est toujours «méfié du débat public non filtré, d’une justice compétente et autonome, des institutions représentatives, des candidats libres aux élections, du syndicalisme autonome et des médias indépendants».
S’il n’y avait pas tous ces interdits, les jeunes, ceux qui ont de l’esprit, de l’initiative, des compétences, de la volonté et de la détermination, auraient pu accéder à des situations plus consistantes et avantageuses leur permettant de changer notre monde afin que notre peuple puisse vivre selon ses aspirations, loin de ses pesanteurs et de ses anachronismes, de ses contradictions et de la violence des tensions et des conflits sociaux, politiques et culturels qui le travaillent L’artiste, le coupant sèchement, comme s’il voulait mettre fin à une série de lamentations et de gémissements, lui martèle, en continuant sur un ton serein, pour lui confirmer qu’il est de son avis : – Vous avez raison jeune homme ! En effet, vous avez mille fois raison. Aujourd’hui, la situation est à l’insensibilité et à l’indifférence et l’esprit de corps s’est estompé cédant la place à un individualisme éhonté. La société devrait se sentir interpellée pour s’élever contre cette désuétude, contre cette atmosphère lourde de conséquences pour notre avenir et celui de nos enfants que nous souhaitons clément et prometteur. Elle doit se sentir interpellée plus encore pour combattre «la violence et le brigandage car ce phénomène se généralise pour devenir un véritable mode de vie pour de larges pans de la société.
L’État aussi et surtout, devrait songer à l’éradiquer au moyen de thérapies psychologiques en l’accompagnant à la source, de mesures surtout d’ordre économique comme par exemple destiner les différentes formules en matière d’emploi à ces jeunes. Car la répression du banditisme par l’enfermement est devenue obsolète puisque les délinquants provoquent à «bon escient» des délits pour se retrouver au chaud dans les prisons en hiver et en ressortir revigorés en été grâce à des grâces clémentes». Mais y a-t-il que ça qui dérange ? Il y a des problèmes, d’autres problèmes de culture, de développement, de lutte contre les fléaux sociaux dont la corruption et les autres maladies, comme le régionalisme, le clientélisme et le népotisme, qui doivent être atténués à défaut d’être systématiquement résolus. Nous les avons énumérés tout au long de cette pièce de théâtre, pardon tout au long de ce rêve qui nous paraît interminable. Et à travers cette énumération de faits et de situations – qui ne nous fait pas plaisir d’ailleurs –, nous essayons de trouver des solutions… peut-être que… ?
Alors, après tant de critiques et de constat, après avoir fait parler les jeunes qui demandaient qu’ils soient éclairés sur le devenir de leur pays, l’artiste lève ses bras et répète qu’il n’a aucune solution à proposer car lui-même étant dans l’impuissance. Il est là pour expliquer aux gens la situation grave que connaît le pays. Il est là pour crier sa colère, son mépris et sa souffrance. Il est là pour dire, en termes crus, le mal qui nous ronge après que notre pays ait connu des moments forts de sacrifice et d’engagement, des moments qui nous ont permis de vivre pendant deux décennies dans l’aisance et la sérénité.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)