Pour mieux comprendre l’homme ?

La psychologie des animaux

Des origines à nos jours, les spécialistes du langage oral ou écrit ont su tirer profit des animaux pour leurs valeurs symboliques qui permettent de mettre en relief les traits de caractère et comportements des hommes.

Depuis la nuit des temps, on a eu recours aux animaux pour peindre avec exactitude des êtres humains et ce, dans tout ce qu’ils ont de plus abstrait comme les idéaux, les sentiments, vices, vertus, penchants, principes de moralité. Ainsi, la cruauté, le mensonge, la méchanceté, la ruse, la traîtrise, les idées diaboliques, la naïveté, la suspicion, la peur sont concrétisés par des comportements animaux que l’on choisit pour faire allusion aux hommes qui les incarnent.

Parler des personnages animaux en prose
La particularité d’El Djahiz est d’avoir innové en littérature par ses qualités de style qui ont permis à la prose de devenir un mode d’expression privilégié pour ne pas dire que l’auteur a recréé la prose en la redynamisant pour son efficacité à être plus près du public des lecteurs, dans toute sa diversité. El Djahiz a dû s’inspirer en les décryptant exhaustivement des recueils de contes, fables, maximes, proverbes, légendes des auteurs plus anciens que lui dont la plupart sont devenus anonymes après avoir laissé derrière eux un héritage inestimable d’œuvres versifiées et en langue arabe. Que de textes en prose poétique de l’Indou Bidjaï ont apporté à des générations d’écrivains qui, par animaux interposés, ont véhiculé de philosophies, d’anecdotes extravagantes sur le vécu collectif, d’allusions à l’histoire et à la politique. Au vu du nombre d’animaux qui entrent dans le champ d’investigation d’El Djahiz, on se rend compte du travail colossal accompli et digne d’un zoologue qui a fait des études dans ce domaine dans le but d’acquérir un diplôme.
Nous ne pensons pas que cela ait été le cas pour l’auteur, l’homme de plume. Mis à part quelques études faites sur les animaux comme celles de Juba 2 vers le 2e siècle de l’ère chrétienne, la zoologie était au stade primaire. Aussi, on est frappé par la méthode scientifique d’El Djahiz consistant en des expériences d’où il a tiré des arguments convaincants sur la psychologie des animaux omniprésents dans l’univers de l’homme. Selon lui, le scorpion comme l’hyène et le chacal symbolisent la stupidité, la ruse ou la perfidie. Les récits mettant en scène ces animaux nous en apportent d’ailleurs des preuves objectives. Ce que El Djahiz a probablement constaté en lisant avec beaucoup de concentration divers documents est comparable à un travail de scientifique qui observe pour mieux comprendre le comportement et les réactions de chaque animal.

Les animaux dans tous leurs états
Relevons d’abord ce qu’il y a de particulier chez El Djahiz, c’est l’intérêt qu’il a accordé aux races et groupes hybrides comme le mulet ou la mule dont le comportement sexuel ne rappelle nullement celui des parents différents qui l’ont conçu. Là-dessus, il fait des classifications sans oublier l’homme. El Djahiz donne le nom de «khilasi» à tout animal et à tout être humain issu de parents différents. Ainsi le «khilasi» issu d’un père noir et d’une mère blanche est plus grand et bien plus fort que ses parents. Dans la famille des Colombins, l’hybride Wardani issu du pigeon voyageur et de la pigeonne ramier, présente de grandes qualités. El Djahiz considère le pigeon sans tache comme idéal. Dans la même classification, il parle des chameaux qui sont issus de croisements, ont beaucoup de qualités : rapidité à la course, allure noble, résistance à la fatigue. Ils sont donc plus précieux que leurs parents.
Quant aux poules, les meilleures races sont celles provenant d’espèces persanes et indiennes. Elles sont grosses et grasses. Chez les canidés regroupant les races de chiens, El Djahiz constate une amélioration des chiens hybrides des sloughis et des chiens bergers, plus grands que leurs parents de races différentes. Pour l’auteur, plus les espèces originelles sont pures, plus le produit hybride est d’excellente facture. Dans le cas contraire de reproduction par mâle et femelle de même race, la progéniture est viciée, tarée, physiquement dégradée. Plus loin, l’auteur traite de l’instinct animal, de chaque famille animale et par lequel l’animal accomplit de manière spontanée un acte comme celui de s’accoupler, d’attaquer, etc. El Djahiz parle de tabi’a (nature) et de akhlaq (caractères). El Djahiz a accordé une attention particulière aux animaux de même famille ou de familles différentes comme les animaux à poils par rapport aux animaux à plumes.
En plus de l’instinct grégaire entre des espèces animales vivant ensemble ou se déplaçant regroupés, certains animaux vivant en parfaite indépendance, s’entraident lorsque l’un d’eux est en difficulté. Il parle aussi de la psychologie des animaux en évoquant le cas des passereaux vivant en parfaite harmonie avec l’homme. Il dit qu’il existe bien des points communs entre les moineaux et l’homme. Ils cohabitent en bonne intelligence. Ils s’habituent les uns aux autres et se vouent une affection mutuelle. Pour El Djahiz, consacrer une œuvre aussi dense à toutes les espèces animales, laisse supposer des connaissances approfondies en zoologie. Jamais on n’aurait imaginé qu’en son siècle, ce domaine scientifique a connu un tel degré d’avancement. El Djahiz a servi sans nul doute d’auteur de référence à des chercheurs en mal de documentation à l’image d’Ibn Khaldoun en histoire, devenu le père de la sociologie.
Abed Boumediene