La transparence, c’est tout ou rien

L’Anep et ses créances, la presse et la politique publique

En termes de chiffres révélés par le P-DG de l’ANEP, il y a eu un usage excessif du centime qui n’est guère une monnaie, puisque c’est le dinar qui gouverne la dépense publique et lui donne un sens dans sa relation aux principales rentrées fiscales du pays qui se déclinent, avant leur conversion, en euros et en dollars. Ce sont donc 150 milliards de dinars qui ont été gérés, au titre de chiffre d’affaires, les 20 dernières années, par l’Anep.

Un chiffre, même en dinars au lieu des centimes, qui donne le tournis, quoique sur 20 ans, révélant une niche rentière importante parmi d’autres qui témoignent de la manière dont le secteur de la communication fonctionne au service de la classe politique et des échéances électorales. Impossible donc d’aborder ce chapitre de la gestion de l’Anep sans se passionner, car la mauvaise gestion chronique de cette entreprise permet de dévider un historique de décisions qui ont impliqué tant d’acteurs politiques ayant comptés dans l’échiquier de notre pays. Impossible donc de le faire, surtout de la part d’un cadre comme M. Larbi Ounoughi qui, à son corps défendant, doit renflouer un mastodonte comme l’Anep, qui a si longtemps pâti de décisions téléphonées et d’arbitraires. Mais il y a un volet de cette gestion dont la communication publique ne relève pas des compétences de l’ANEP, étant un volet de portée politique, l’Anep n’étant, par rapport à ce volet, qu’un prestataire de service pour le compte de l’Etat. Il s’agit de la communication sur la gestion du média planning qui consiste dans la distribution de la publicité institutionnelle dans les journaux publics et privés, qui relève plutôt de la volonté des pouvoirs publics, dans le sens d’une communication transparente et équitable qui irait dans le sens d’une gestion future plus rigoureuse de ce volet. On arrive très bien à suivre ce gestionnaire quand il aligne des chiffres mirobolants, se plaint d’un passif financier trop lourd à gérer et dénonce le non-recouvrement des créances de l’Anep auprès de clients qui sont essentiellement des entités étatiques et des institutions publiques. Il est anormal de laisser cette entreprise, fleuron de son secteur et porteuse de grandes promesses de croissance, pâtir d’une gestion autodestructrice. Mais là où il est difficile de suivre les révélations centimales de M. Ounoughi, c’est dans le chapitre relatif à la manne dont la presse a pu bénéficier de 2012 à 2019. Pourquoi ? D’abord, parce que ces révélations n’ont rien à voir avec la situation financière de l’Anep, celle-ci n’étant qu’un intermédiaire qui touche de substantielles royalties en gérant la publicité institutionnelle que financent les annonceurs publics. Que ces annonceurs honorent ou n’honorent pas leurs créances vis-à-vis de l’Anep, cela ne concerne en rien la presse, sachant que la question des vases communicants entre entités publiques concerne au premier chef les décisions publiques qui peuvent être de portée financière et/ou politique. Et puis, cette pléthore de chiffres et de noms peut sembler audacieuse pour des personnes non averties, mais il n’échappe nullement aux gens de la presse que des chiffres et des lettres (noms) ont été omis dans cet élan d’indiscrétions, qui pourraient révéler des chiffres bien plus embarrassants qui conjuguent à un présent/passé très récent. Cette (d)énonciation sélective handicape l’enthousiasme et l’audace, au demeurant, admirables de ce gestionnaire, dont les révélations auraient pu avoir plus de poids et de sens si elles avaient été plus complètes, moins sensationnalistes, et si elles avaient été prises en charge par une entité politique et non par une entreprise économique. L’Anep, encore une fois, n’étant qu’un acteur économique et un média planeur. Pourquoi refuser à l’Anep ce rôle politique ? Pour des raisons simples de juste répartition des rôles, mais aussi de sens des responsabilités, un politique ayant toujours le sens de la profondeur que ne possède pas forcément un gestionnaire qui s’accroche à des chiffres inquiétants et qui semble avoir une obligation de résultats strictement financière. Le politique, lui, prendrait en compte plusieurs paramètres avant de se jeter à l’eau, à savoir que cette presse que l’on vilipende et que l’on jette à la vindicte populaire à chaque crise, a joué pleinement son rôle dans les pires moments de crises que l’Algérie a traversé, qu’elle a absorbé une demande d’emploi importante dans les métiers de la presse et de la communication dont l’Etat, par ces choix de formation, a fait, et continue de le faire, une usine pléthorique de recrues sur l’ensemble du territoire national, sans qu’il existe un modèle économique viable qui puisse à la fois financer le pluralisme médiatique tel qu’il a été «façonné» en Algérie, et créer des emplois. Si l’on s’évertuait, comme semble le signifier M. Ounoughi, à classer la presse par l’importance du tirage (ce sont les ventes qui comptent), juste pour faire fonctionner des imprimeries qui peinent à subsister du fait de la transition numérique, on sacrifierait le pluralisme médiatique sur l’autel d’une critériologie imparfaite et peu réaliste, faisant perdre de vue que cette manne publicitaire a été, et le demeure encore, le seul ressort financier qui permet à la presse algérienne d’exister, de jouer son rôle politique, et de faire vivre des milliers de familles. Il faut, par ailleurs, rendre justice à M. Ounoughi quand il dénonce, à juste titre, les intrus qui ont fait irruption dans le monde de la presse, mettant à profit leurs relations politiques pour prévaloir dans les classements de l’Anep ; mais cette posture honorable de ce gestionnaire ne doit jamais être mise à mal par des «faits d’exception» qui fondent de nouveau des privilèges et des privilégiés de la rente. La transparence, c’est tout ou rien. Pour ce qui est du nombre actuel de journaux sur la place médiatique, cette réalité a été le fait d’une gestion publique et parfois de «choix sécuritaires» qui avaient, à l’époque, produit leurs arguments. Si la réalité a changé aujourd’hui, cela ne justifie nullement que l’on fasse le choix de sacrifier les entités médiatiques pour des raisons financières, les emplois d’Algériens se valant parfaitement les uns par rapport aux autres, qu’ils soient publics ou privés. Pour revenir aux chiffres révélés par M. Ounoughi, ils ne peuvent nullement être pris dans leur dimension financière sans être confrontés à une comptabilité rigoureuse qui crible les charges salariales, fiscales, parafiscales et autres charges sociales et investissements. C’est à partir de ce travail de crible que l’on peut distinguer le bon grain de l’ivraie et déceler les détournements, les abus de biens sociaux et bien d’autres mésusages inexcusables de gestionnaires publics ou privés et prendre en charge cette question qui fait l’unanimité parmi les Algériens qui savent et acceptent qu’elle doit échoir à la justice. Faut-il oublier de chicaner M. Ounoughi sur un point, à savoir sa propension à affirmer qu’il a été délégué par le Président. Tous ceux qui agissent et gèrent aujourd’hui la chose publique sont délégués par le Président, sans que leurs échecs ou leurs succès ne doivent lui être attribués, car le Président n’est pas à l’origine de leurs actes de gestion et de communication. En fait, leur gestion et leur communication (le ton autant que le contenu) sont tributaires de tact et de savoir-faire, mais aussi d’objectifs avoués ou non, clairs ou non, raisonnables ou non. Cela est davantage vrai quand il s’agit d’une entité non politique.
Ahmed Rihani