Les Hadjoutis, redoutables tribus de la Mitidja

Histoire de Hadjout (Tipasa)

La plaine de la Mitidja comprenait les Hadjoutis et les trois petites peuplades de Oulad Hamidan, Zanakra et Beni-Ellal. Ces trois peuplades viennent originairement du Sahara, mais elles sont depuis longtemps établies dans la Mitidja.

Oulad Hamidan est traversé par la route de l’Ouest, située sur la rive droite de l’Oued-Djer. Zanakra est sur la rive gauche de cette rivière, en allant vers Beni Menasser. Beni-Ellal est entre la Chiffa et Oulad-Hamidan. Les Hadjoutes, avec qui ces trois petites tribus sont unies et même confondues, forment la population la plus vaillante de la plaine. Ils sont fiers, indépendants, généreux et très courageux. Ils sont toujours assez disposés à faire sentir à leurs voisins leur vaillance. Le territoire des Hadjoutis, ces lions de la Mitidja, est fort beau et parfaitement cultivé, ce qui annonce quelques habitudes d’ordre et de travail. Leur marché se tient tous les samedis, près de la ferme d’El-Sebt, qui était autrefois le séjour habituel du Kaïd. On voit dans le pays des Hadjoutis, au sommet d’une colline, d’où on a une vue sur la mer, une pyramide assez élevée, connue dans le pays sous le nom de Tombeau de la Chrétienne, (Koubar-El-Roumia). Ce peut être, ou le monument qui, d’après Marmol, fut élevé à la fille du comte Julien, la fameuse Cava, ou la sépulture des anciens rois Numides, qui, d’après Pomponius Méla, étaient ensevelis entre [Jol et Icosium], c’est-à-dire entre Cherchel et Alger.
Ceci expliquerait la croyance assez généralement répandue dans le pays que ce monument renferme de grandes richesses. Les histoires les plus merveilleuses courent à ce sujet. Il faut remarquer que les Zanakra qui habitent dans le pays des Hadjoutis portent le même nom qu’une des cinq principales tribus du Yemen, qui d’après Léon l’Africain, vinrent s’établir en Afrique, sous la conduite de Melez-Afriki, il est aussi souvent question de ces Zanakra dans l’histoire des Arabes d’Espagne. Tout ce que savent sur leur origine ceux qui habitant actuellement l’Outhan El-Sebt, c’est qu’ils viennent du Sahara. Cherchell comprend la ville de ce nom, et les tribus Kbaïles de Beni-Menasser, Chenouan et Tsaouria : il est montagneux, mais fertile en céréales. La principale rivière qui l’arrose est le Teffert, qui se jette dans la mer, entre Cherchel et Tenez. Beni-Menasser, dont le territoire entoure Cherchel, est une tribu très nombreuse, qui peut mettre de 2 à 3.000 hommes sur pied. Chenouan, à l’est de Beni-Menasser, confine aux Hadjoutes. Les habitants de cette contrée sont aussi braves que les Hadjoutis. Tsaouria, à l’ouest de Beni-Menasser, touche au territoire de Tenez. La Mitidja était peuplée pour sa partie Ouest, hormis les habitants de deux villes (Blida et Koléa), par deux grandes tribus : les Hadjoutes pour la partie Nord et les Mouzaias pour sa partie Sud.
Toutes ces populations vivaient en harmonie autour de villages ou de petites tribus dirigés et administrés par des hommes sages qui rendaient également la justice et enseignaient le Coran dans des médersas et zaouias. Les tombes de ces hommes ont été érigées, pour la plupart d’entre elles, en mausolées (Marabouts). Ces mausolées existent encore aujourd’hui au niveau de certains villes et villages de la Mitidja. Il est mentionné dans les rapports de la Commission d’Afrique en 1834, et comme le note le général Valazé : «Presque tous les Arabes savent lire et écrire. Dans chaque village, il y a deux écoles». Concernant particulièrement la tribu des Hadjoutes, objet de cet article, son territoire s’étendait de l’extrême Ouest de la Mitidja, correspondant aux environs de l’actuelle ville de Hadjout (ex-Marengo), jusqu’à Bordj El Harrach (ex-Maison Carrée) où résidait une autre grande tribu, les Aouffias (partie Est de la Mitidja). Il n’existe malheureusement pas de statistiques précises sur le nombre des populations Hadjoutis, mais nous estimons, à partir de certaines données contenues dans le rapport du duc de Rovigo, «vingt-trois tribus Hadjoutes et douze mille cavaliers».
Dix-huit mille cavaliers selon d’autres sources, à un total de plus de quarante mille habitants pour l’ensemble de ces tribus et douars. A la bataille de Staouéli, le 14 juin 1830 (Sidi-Ferruch), contre la pénétration des armées françaises et avant la proclamation de Abdelkader comme Émir, les contingents fournis par les tribus Hadjoutis (douze mille cavaliers Hadjoutes) ont combattu vaillamment parmi les cinquante mille hommes engagés dans la bataille. Le général Changarnier qui a eu à combattre les armées Hadjouties, écrit à leur sujet (Mémoires), après les avoir qualifiés d’«habitants rebelles au joug de l’étranger», de « patriotes énergiques», «les Hadjoutes avaient pu mettre en campagne et entretenir, pendant plusieurs années, de mille à mille huit cents cavaliers très courageux, qui avaient accompli des choses dont les cavaliers les plus célèbres de l’Europe se seraient honorés». De même, le duc d’Orléans n’eut pas manqué de rendre hommage au patriotisme de ces partisans : « ( …) Ces hardis partisans faisaient plus de mal aux Français que tout le reste des forces ennemies, de même que les Cosaques, dans les guerres de l’Empire, contribuèrent plus que toutes les troupes régulières à détruire l’Armée française».
«Les Hadjoutis empêchaient l’armée de dormir en la tenant sur un qui-vive perpétuel». Cependant la mort d’un simple cavalier Hadjoute, Boutheldja le poète, tué dans un de ces engagements, fut une perte sensible pour la cause arabe. Selon livre «L’Algérie : Nation et Société» de Mostefa Lacheraf, lors de la proclamation de Abdel-Kader ,alors àgé de vingt-quatre ans, comme Emir en novembre 1832, les partisans les plus irréductibles, comme les Hadjoutes qui opéraient à plus de 400 kilomètres de la nouvelle capitale de l’émir (région de Mascara), se mirent à son service en lui apportant un appui appréciable ainsi qu’à ses lieutenants, El Berkani, El Béchir, Ben Allal. Leur engagement total avec l’Emir et leur acharnement contre l’occupant a fait des Hadjoutis de redoutables ennemis aux généraux français.
L’ancienne forêt de Hadjout et les montagnes environnantes (Menacer, Monts de Cherchell, Zaccar, Chenoua, Monts de Mouzaia, Atlas blidéen…) constituaient des coins stratégiques et de repli idéal pour s’approvisionner et relancer le combat. Dans «L’histoire d’un parjure» de Michel Habard, le maréchal Clauzel en débarquant en Algérie annonçait : «A nous la Mitidja ! A nous la plaine ! Toutes ces terres sont de première qualité. A nous seuls ! Car pas de fusion avec les Arabes. J’ai ordonné aux bataillons de détruire et brûler tout ce qui se trouve sur leur passage. Dans deux mois les Hadjoutis (tribus de la Mitidja) auront cessé d’exister». Parole fut tenue, sauf qu’il fallait non pas deux mois mais 5 ans. Le 23 janvier 1835, un communiqué fut publié dans «Le Moniteur Algérien» (Journal français) : «Une de nos colonnes après avoir détruit une vingtaine de villages Hadjoutis pour se mettre en appétit, pénètre chez les Mouzaias, le résultat a été le châtiment des tribus insoumises : leurs douars ont été détruits, beaucoup de blé et de bestiaux confisqués».

Le correspondant de guerre du «Toulonnais», écrivit, le 25 janvier 1835 :
«On croirait vraiment assister à la conquête du Pérou par les Espagnols parce que les Hadjoutis veulent leur indépendance. Faut-il se conduire en vandales ? Les Mouzaias, la plus belle des tribus que nous avons détruite se trouva au milieu d’un vaste jardin d’oliviers et d’orge. Le feu y fut mis et le bruit des flammes se mêlait aux cris des femmes et des enfants». Dans les mémoires du Général Changarnier, parlant de ses troupes qui opéraient à l’Ouest de la Mitidja (L’Algérie : Nation et Société ) : «Elles (ses troupes) trouvèrent des distractions dans les razzias réitérées que pendant l’hiver je fis subir aux tribus hostiles de l’Harrach à la Bourkika (Village proche la ville actuelle de Hadjout).
Après le massacre de ces villages et tribus, une grande partie de ces populations s’est réfugiée dans les montagnes environnantes abandonnant leurs terres et leurs biens aux nouveaux occupants, mais non résignée, continuant le combat sous toutes ses formes et même après la reddition de l’Emir, comme le précise Mostefa Lacheraf dans «Algérie : Nation et Société», «Toute la Mitidja paysanne était aux portes d’Alger (…) et les communications dans la banlieue algéroise étaient menacées par les coups de main et les embuscades tendues par les partisans», jusqu’au déclenchement de la lutte de libération nationale où la forêt de Hadjout a servi à nouveau, plus d’un siècle après, comme base de lutte et de refuge à nos valeureux moudjahidine.
Mohamed EL-Ouahed