Le Rapport Stora et les paradoxes toujours enfouis

L’Histoire de la France en Algerie d’hier et d’aujourd’hui

Le Rapport Stora continue de susciter de nombreuses réactions en France et en Algérie, sans que les positions officielles des autorités ne soient véritablement établies.

C’était fort prévisible, tant l’hypersensibilité du sujet. Le Rapport évite maladroitement certains pans entiers de cette Histoire. Mais finalement, si ce rapport ne faisait que répondre à une commande politique, le Rapport Stora a tenté artificiellement de définir le périmètre des débats en se focalisant uniquement sur la Guerre d’Algérie, comme si le passé inqualifiable du colonialisme devait être simplement effleuré. L’Association Le Grand Maghreb, association d’entraide humanitaire, composé notamment de Franco-Maghrébins et à l’initiative de Franco-Algériens, tente de jeter un regard décalé sur ce rapport, loin de réactions classiques épidermiques et/ou télécommandées.

Les paradoxes enfouis du rapport Stora : une date de remise officielle loin d’être anodine et une tentative avortée d’encadrer les débats

Le tempo de la remise officielle du rapport Stora n’est évidemment par le fruit du hasard. La séquence temporelle entre dans le cadre d’une stratégie préélectorale. Au fonds, il y a lieu de s’interroger : qui a commandé ce rapport et à qui est-il destiné ? A l’ancien candidat à l’élection présidentielle qui qualifiait le colonialisme de «crimes contre l’humanité», au Président actuel qui a laissé fuiter dans la presse, aussitôt la remise officielle du rapport, que la France ne présentera ni excuse ni repentance où le futur candidat à la recherche de signaux positifs à l’égard de différents segments du corps électoral : donner des gages aux différentes catégories électorales. Le vote de 4 millions de Franco-Algériens n’est pas négligeable, en ces temps si chahuté du zapping électoral. Le Rapport Stora ne prétend pas révolutionner les relations entre les pays. Il propose des modes opératoires opérationnels avec la mise en place d’instances communes tels des groupes de travail ou des actes symboliques pour construire un avenir commun entre la France et l’Algérie. Les réactions violentes de certains illustrent l’hyper-sensibilité du ou des sujets traités ou plutôt non traités. Finalement la ficelle semble bien grosse, tant le silence assourdissant des méfaits du colonialisme, système inhumain, inique et raciste plane sur ce rapport. Avant d’écrire l’Histoire commune France-Algérie à deux mains, la France se doit de faire sa propre introspection. Le paradoxe français : proposer d’écrire une Histoire commune et commencer par fermer l’accès aux archives coloniales.
On pourrait tenter d’apprécier ce rapport comme annonciateur d’une nouvelle ère qui permettra aux jeunes générations de se projeter dans un avenir commun. Mais c’est faire injure au bon sens que de ne pas s’apercevoir parallèlement que ce «mouvement d’ouverture» s’accompagne d’une décision de fermeture de l’accès aux archives coloniales. Cette décision si fallacieuse a recueilli le courroux des chercheurs usagers français des archives publiques qui dénoncent véritablement une restriction sans précédent de l’accès aux archives contemporaines de la Nation. Cette décision porte atteinte à l’accès aux sources et bloque des recherches en cours, alors que les délais sont largement échus et les archives communicables de plein droit. Le «Secret Défense» a bon dos. Comment se projeter sur l’avenir si vous posez un voile pudique sur les archives coloniales ? Il s’agit d’éviter avant tout de regarder avec honnêteté le crime colonial. Ce crime relève de la qualification de génocide : le mot est lâché et assumé. Il ne s’agit évidemment pas de se battre le poulpe mais de faire face à la vérité du passé. Le Rapport Stora propose l’instauration de «Commission Vérité et Conciliation». Avant de se concilier, affrontons la terrible vérité des crimes coloniaux. Préalable à la construction d’un avenir commun avec l’Algérie, la France doit déverrouiller son Histoire, à l’exemple du sort des crânes algériens longtemps enfouis dans les méandres du Musée de l’Homme : le combat pour la dignité humaine et le respect des morts est menée avec abnégation par l’Association Le Grand Maghreb.
La France reste encore aujourd’hui prisonnière de son passé magnifié. Les générations actuelles ne sont pas comptables des exactions de leurs prédécesseurs. Elles le sont toutefois devant l’Histoire. Les crânes algériens ostensiblement oubliés en catimini dans les sous-sol du Musée de l’Homme sont l’illustration parfaite de la sauvagerie du colonialisme. L’Association Le Grand Maghreb a déployé toute son énergie pour permettre le retour sur les terres natales de tous les crânes, au nom de la dignité, du respect dû aux morts permettant une sépulture répondant aux canons de la religion. L’Association Le Grand Maghreb a interpellé les autorités, alerté le public, saisit un cabinet d’avocats parisien pour lancer une procédure judiciaire. La restitution des 24 crânes en mars 2020 par la France est certes salutaire mais insuffisante. La dignité humaine ne saurait se morceler. Quid du reste des crânes ? Combien sont-ils encore prisonniers dans ces armoires de l’oubli ? Qui sont-ils ? D’après l’éminent historien français Pascal Blanchard, des milliers de crânes y sont entreposés.
Malgré ses différentes initiatives, l’Association Le Grand Maghreb se trouve confrontée au silence assourdissant des autorités. Son action vise à faire sauter le verrou législatif qui interdirait aujourd’hui le rapatriement complet des crânes. Comment exciper l’universalisme et les droits de l’Homme et se cacher derrière le prétexte législatif ? Loin d’être lassée par tous ces obstacles qui n’ont pas de visage, l’Association Le Grand Maghreb a saisi officiellement Madame la député Fadila Khattabi, présidente du groupe d’amitié France-Algérie à l’Assemblée nationale française pour lui demander de porter le texte législatif permettant le rapatriement de tous les crânes algériens, sans exception, sur leur terre natale. Construire un avenir commun entre la France et l’Algérie ne saurait faire l’économie d’assumer son passé. Pour les deux pays d’ailleurs. Il est des combats qui sont justes, qui transcendent les hommes, les pouvoirs et les rapports. Apaiser les esprits, co-construire un avenir commun, commencent par apaiser nos morts. Au nom de la dignité.
Brahim Mabrouki Président de l’Association Le Grand Maghreb