«Les islamistes sont un vrai danger pour l’Algérie»

Le journaliste Lakhdar Ferrat :

Avec tout ce que l’Algérie a subi comme massacres et attentats lors de la décennie noire, à votre avis, a-t-on appris la leçon de ce qu’il s’est passé ? N’y a-t-il pas un risque que nous revivions le même cauchemar que pendant les années 1990 ?

L’Algérie n’a tiré aucune leçon de ce qu’elle a subi dans les années 1990 : des milliers de morts et plus ou moins un million de cadres qui se sont exilés, l’équivalent de ce qu’a produit l’université algérienne en douze ans. Malgré tous les sacrifices, elle considère que l’islamisme n’est pas un danger pour le pays. C’est comme si nous étions aveugles. Après tant d’années, nous sommes revenus aux discours islamistes haineux et qui vilipendent, comme l’a fait Bengrina, l’élite du pays en la traitant de vendue, sans que la justice bouge le petit doigt. Cette même justice qui veut forcer le destin et instaurer le rite wahhabite en Algérie, contre la référence religieuse nationale, comme on l’a vu lors de l’application du 144 bis. Les calculs politiques internes et les fausses alliances ont fait du mouvement islamiste algérien qui devait disparaître ce qu’il est actuellement, soit un outil d’alliance politique dangereuse pour l’Algérie au moment où le monde entier a pris conscience du danger réel des islamistes. L’Algérie, qui devait être un exemple de l’anti-islamisme, sachant ce qu’elle a vécu et enduré, est devenue, au contraire, un havre de paix pour les islamistes et un pays qui risque de passer très bientôt entre leurs mains dans une grave compromission que nous voyons se dérouler sous nos yeux. C’est tout simplement scandaleux. La corruption qu’a connue l’ère Bouteflika a beaucoup bénéficié aux islamistes et nous ne voyons aucun d’entre eux devant les tribunaux. Ils sont, au contraire, proches de la prise de pouvoir qu’il faut absolument empêcher pour reconstruire le pays sur le socle nationaliste afin d’éviter son écroulement. La responsabilité des dirigeants de cette période est entièrement engagée. Ils ont combattu le terrorisme armé mais ont échoué à doter le pays d’un système qui permettrait à l’Algérie d’échapper à tout risque de retour en arrière. Les défenseurs des fameux grands dossiers de réforme de l’Etat que Bouteflika voulait réaliser et qui est soi-disant concrétisée aujourd’hui sont des gens qui se sont enrichis et d’autres se cachent. Et le bilan est catastrophique pour le pays qui tourne en rond quand il n’avance pas vers l’arrière, comme dit la vox populi. Il faut changer de méthode de gestion, s’accorder une halte, revoir tout ce qui a été réalisé, faire un bilan objectif et tracer une nouvelle politique pour sortir le pays de la gangrène qui risque de l’emporter.

Dans plusieurs de vos articles, vous avez présenté la finance islamique comme une supercherie et une escroquerie. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Quand j’ai vu la joie de l’ex-Premier ministre Abdelaziz Djerad au Parlement après le vote en faveur de la loi de finances musulmane, j’ai été choqué. Même Abassi Madani n’aurait pas été si joyeux, ni si élogieux devant une supercherie pareille. Un hadith attribué au calife Omar Ibn Al-Khateb dit clairement : «Le prophète Mohamed est mort sans nous expliquer le verset coranique qui traite de la riba». Comment Djerad sait-il que l’intérêt bancaire est de la riba ? Est-il mieux placé que le calife Omar ? D’où tient-il cette certitude qui a servi à introduire une finance islamique créée à l’origine par des banques occidentales en l’occurrence suisse ? La question de la riba est controversée sur le plan religieux. L’Iran, par exemple, a juste fait changer le nom de l’intérêt pour le sortir du débat religieux et n’a pas touché à son système financier qui fonctionne normalement. Idem pour beaucoup de pays du Golfe où des banques privées fonctionnent, selon le principe de la finance islamique, mais pas le système bancaire du pays comme chez nous. D’ailleurs, la Baraka Banque existe depuis plus de quarante ans en Algérie et utilise la finance islamique qui est une pure escroquerie. C’est du simple leasing, ni plus ni moins. L’extrémisme des islamistes algériens est en grande partie dû à leur grande méconnaissance, et ils acceptent tout ce qui se dit sous couvert de l’islam. Mais ce qui est grave, c’est qu’ils sont pressés de l’appliquer dans leur pays dès qu’on leur donne la possibilité de le faire pour transformer l’Algérie en pays cobaye. Aujourd’hui, avec cette ineptie de finance islamique, le citoyen, quand il va à la banque, se trouve devant un crédit hallal et un autre haram, et souvent il subit des pressions de la part de certains banquiers zélés qui le poussent à opter pour la finance hallal. Finance qui n’a rien de hallal en réalité, car l’argent que le citoyen algérien contracte auprès de sa banque, la banque elle-même l’achète auprès de la Banque centrale en payant un intérêt. Donc, selon les concepteurs de cette mascarade, l’argent est déjà haram à la base.

L’Algérie est devenue championne du «harakiri». Elle détruit ses propres banques en reconnaissant qu’elle pratique du haram. Drôle de pays…

En Belgique, l’ex-ministre des Finances Didier Reynders, aujourd’hui commissaire européen, m’avait déclaré il y a des années que la Belgique ne voit pas d’inconvénient si les banques islamiques s’installent sur son territoire, à condition qu’elles respectent les lois de la Banque centrale belge. Du coup, aucune banque islamique n’est venue en Belgique, ce qui pousse à se questionner quant à leur mode de financement. La finance islamique théorisée et appliquée par les islamistes embusqués à l’intérieur du système pose un vrai problème sur l’existence des cellules islamistes dormantes et sur leurs capacités de nuisance. Ils sont prêts, le moment venu, à faire de l’Algérie un champ d’expérimentation de leurs idées tirées du Moyen-Âge. Le ministre des Finances, à la base de la destruction du système financier algérien en introduisant la finance islamique, passe au poste de Premier ministre en guise de récompense, ce qui pose de sérieuses questions sur le devenir du pays. Nous sommes en plein processus d’islamisation rampante qu’il faut vite stopper.

Quelle est votre analyse à propos des différents discours du chef d’état-major de l’ANP, Saïd Chengriha, lors de la récente conférence à Moscou ?

Le chef d’état-major de l’ANP, Saïd Chengriha, semble combler le vide créé par les politiques apparemment désintéressés par la situation dangereuse que vit l’Algérie. Dans mes articles, j’avais déjà averti que certaines déclarations des ministres sont contraires à l’intérêt de l’Algérie car ils utilisent des propos descriptifs d’une situation algérienne compliquée sans aucune explication, ni sans proposer des solutions pour que les Algériens n’aient pas peur et se sentent en sécurité chez eux. Certaines déclarations de ministres ont participé à la démoralisation des citoyens algériens en ne parlant que des dangers sans montrer les capacités du pays à y faire face. Ce vide est aujourd’hui comblé par les sorties du chef d’état-major. Heureusement, il pose les problématiques de sécurité qui touchent à notre pays et donne des assurances aux Algériens, ce qui fait de lui une personnalité qui rassure le peuple en l’absence d’hommes politiques qui devraient jouer ce rôle. Ses mises en garde à partir de Moscou, allié stratégique de l’Algérie, tombent à pic dans un moment de flottement. Le chef d’état-major intervient pour mettre en garde tous ceux qui veulent porter atteinte à notre sécurité. Chengriha est poussé en avant-plan malgré lui, vu l’incompétence et la démission collective dans la défense des intérêts du pays. Les médias algériens sont devenus presque nuls, aucune émission sérieuse ne peut être produite pour répondre ou orienter les Algériens et leur donner de l’espoir en leur disant que leur pays a toutes les capacités de les défendre et de bien les défendre. On doit tirer les leçons et corriger les erreurs, et remettre de l’ordre là où il y a des problèmes, l’Algérie doit être bien défendue par tous ses enfants. Personnellement, je dirais heureusement qu’il existe une personne comme le chef d’état-major Chengriha qui mérite tout le respect, car il est là au bon moment pour veiller à ce l’Algérie ne sombre pas dans une anarchie dont on voit déjà les prémisses. L’histoire retiendra que cet homme, Saïd Chengriha, a fait beaucoup pour l’Algérie. L’Algérie est totalement déstructurée politiquement, et navigue sans aucune vision politique, sans aucun projet pour son avenir, et sans méthode pour faire face aux problèmes. La démarche devant les difficultés du pays est surtout une démarche d’entassement des problèmes, ce qui est une vraie fuite en avant et un danger mortel pour le pays. La réhabilitation et la construction du pôle nationaliste sont le chemin le plus sûr pour protéger l’Algérie et pour épauler l’armée.

D’après vous, pourquoi l’armée algérienne est-elle la cible permanente des forces antinationales à la solde de l’empire?

L’armée est ciblée par plusieurs forces antinationales, la première d’entre elles étant les relais des partis islamistes qui se trouvent en Algérie. J’ai toujours considéré le mouvement Rachad comme un département des affaires extérieures des partis islamistes en Algérie. Celui qui pense le contraire, comme on le voit malheureusement, va faire perdre à l’Algérie une vingtaine de précieuses années pour son redressement et sa reconstruction. Les islamistes savent que sans l’armée le pouvoir est à leur portée. Tant que l’institution ANP, héritière de l’Armée de libération nationale, est debout, organisée, solide et bien structurée, le spectre islamiste s’éloignera. Bien sûr, cette tendance travaille pour des intérêts de nombreux pays qui veulent voir l’Algérie disloquée, affaiblie, voire même anéantie. Une Algérie forte, c’est une armée forte, et c’est l’histoire qui nous l’enseigne. On ne peut avoir un pays respecté sans une armée forte derrière lui. Le mouvement scissionniste MAK, qui raconte des stupidités tant au niveau politique qu’historique, cible aussi l’armée. Je suis déjà intervenu devant des étudiants à Béjaïa par vidéo conférence et je leur ai dit que le projet de Ferhat M’henni est très simple : «Vous avez un très grand pays et Ferhat Mehenni veut vous l’enlever. Et il vous propose un lot de terrain à la place.» Il faut que les jeunes comprennent ce deal débile. Ils sont assez intelligents pour le comprendre. Il y va de leur avenir de le combattre, et j’ai confiance dans cette jeunesse.

L’ANP est-elle, selon vous, la seule garante de la stabilité de l’Algérie dans un contexte géopolitique extrêmement instable ?

Oui, l’armée est le seul rempart contre toutes les tentatives de déstabilisation, en attendant de reformuler le paysage politique algérien sur des bases plus solides et plus saines, en dehors de la nébuleuse islamiste qui reste un danger majeur pour l’Algérie à court, moyen et long terme.

(Suite et fin) Interview réalisée à Bruxelles par Mohsen Abdelmoumen