Les Traductions Du Coran N’ont Jamais Été Un Livre

Pour l’histoire, car les traductions du Coran ont une histoire, il n’en a pas toujours été ainsi. La première traduction «moderne» en français, celle du Sieur De Ryer publiée en 1647, présente le texte coranique traduit à l’identique du texte arabe, c.-à-d. en bloc de texte, mais sans séparation et numérotation des versets. Cette mise en page a été abandonnée par Ludovico Marraci en sa traduction latine parue en 1698 qui semble être le premier à introduire la numérotation des versets, les numérotant dans le texte.
Ensuite, vint la traduction française de Claude-Étienne Savary en 1783, il ne fait pas figurer les numéros de verset, mais introduit la disposition des versets les uns au-dessous des autres.
Puis, à partir de 1840, c’est à Albert de Kasimirski que l’on doit le mélange des dispositions retenues par ces deux prédécesseurs : numérotation du verset alors placée à gauche et versets disposés les uns au-dessous des autres. L’influence de cette traduction fut telle que jusqu’à présent toutes les traductions suivent ce modèle de mise en page. La segmentation du texte coranique est donc devenue la règle et cet effet déstructurant et néfaste pour la compréhension a été aggravé à partir de la traduction du Professeur Hamidullah qui mit en parallèle le texte arabe du Coran, nous avons ci-dessus détaillé cette situation particulière. Par la force des choses, les musulmans se sont habitués, adaptés, à cette situation de non-texte, de non-livre.
Encore une fois, le quantitatif l’emporte sur le qualitatif, et le fait que l’Arabie saoudite soit parvenue à imposer ce qui est la pire des traductions du Coran à tous les points de vue,[5] atteste que le nombre importe plus que la valeur réelle. L’uniformisation est un phénomène humain : le conformisme en la matière est dommageable, les traductions du Coran en l’état actuel n’en font pas un Livre, mais un document réalisé en dépit du bon sens, bien peu lisible et compréhensible.
Aussi, pour sortir de ce cercle vicieux grandement préjudiciable à la compréhension du Coran par le lecteur, concernant notre «Traduction Littérale du Coran» nous proposons de rompre les habitudes en place avec un seul objectif : rendre le Coran lisible et compréhensible. Ainsi, pour la première fois de son histoire, le Coran apparaît manifestement être composé comme un Livre digne de ce nom. Voici les principaux axes de notre apport :
– Mise en page. Tout d’abord, puisque cet article est consacré à la forme et non au fond,[6] signalons que la mise en page du texte coranique de notre traduction du Coran est radicalement différente de ce à quoi nous avons dû tous nous plier jusqu’à présent, bon gré mal gré. Pour la première fois, le texte coranique se révèle être un livre. Autrement dit, les versets ne sont plus alignés les uns sous les autres, mais se présentent en paragraphes C.
Les paragraphes ne sont pas le fruit de notre volonté éditoriale, mais correspondent à la réalité du propos textuel, ils sont donc imposés tant par le sens que par certains marqueurs sémantiques. Cette composition favorise la compréhension initiale et directe du propos coranique bien qu’elle soit complètement ignorée par les présentations habituelles verset par verset qui au contraire réduisent considérablement la compréhensibilité du Message.
– Numérotation. Nous avons réduit au maximum la taille des numéros des versets placés à la fin de chacun d’eux selon le découpage traditionnel afin que le Texte ne soit pas segmenté et puisse se lire pour ce qu’il est : un texte. Ceci, d’autant plus que très souvent une phrase, une idée ou le propos se poursuivent sur plusieurs versets. Rappelons que le découpage en verset a pour seul objectif la mémorisation.
– Thème. Même si ce point concerne en premier chef la question du fond, le sens, il convient de le citer présentement. En effet, notre recherche a mis en évidence et prouvé par l’expérience que chaque sourate du Coran traite d’un seul thème. Plus, le thème de chaque sourate est unique, thème qui est alors développé tout au long de la sourate. C’est cette déclinaison thématique qui dicte, organise et charpente avec rigueur et précision les différents niveaux.
– Structure. Il s’agit d’une autre avancée majeure dans la compréhension de l’organisation textuelle coranique. Notre recherche exégétique a montré et démontré par l’exemple que les sourates ont une structure très rigoureuse. Ainsi, pour les sourates d’une certaine longueur l’on peut identifier des Parties, des Chapitres, des Paragraphes et des Alinéas. Pour les sourates plus courtes, l’on note la présence de chapitres, paragraphes et alinéas. Quant aux sourates brèves, elles sont composées en strophes thématiquement cohérentes.
Les quatre points que nous venons d’exposer concourent à la lisibilité, à la clarté de la traduction et de la compréhension du texte coranique par le lecteur. Puisqu’il est ainsi suivi l’évolution thématique de la sourate, les défauts attribués au Coran quant à sa désorganisation chronique n’existent plus.
– Lexique. Le Coran possède un vocabulaire très étendu tandis que la tendance actuelle des traductions est de réduire cette richesse lexicale. Si l’on prend en compte la polysémie de l’arabe que le Coran exploite avec précision et rigueur, c’est plus de 7000 termes qui y sont employés. Nous avons donc apporté une grande attention à respecter et reproduire cette richesse. À une époque où la tendance est à la simplification et à la réduction de la langue, le Coran doit demeurer ce qu’il est : un grand et riche texte.
– Style. Notre démarche traductionnelle a consisté à reproduire au mieux la beauté stylistique du Coran tout en restant fidèle mot à mot au texte arabe. Le style coranique est aussi en lui-même très varié par adéquation parfaite de la lettre et du fond. Autre point particulier : l’écriture et la structure de certaines sourates sont à l’évidence du registre poétique. Par conséquent, et sans comparaison possible, nous nous sommes efforcé de rimer, assonancer, et rythmer la quarantaine de sourates portées par ce souffle poétique ; le lecteur jugera.
– Si d’aucuns, dérangés, perturbés dans leurs habitudes, crieront alors à l’innovation/bida‘a, blâmable qui plus est, préférant en cela l’aberration livresque coutumière, il convient de leur rappeler les fais suivants : l’ajout des séparateurs graphiques de versets est une innovation, la numérotation des versets est une innovation ! Et il y en a bien d’autres comme les signes d’arrêt, de pause, de tajwid, tous jalonnant le texte arabe, mais aussi le découpage en ḥizb/section emprunté à la Thora qui segmente le texte du Coran sans tenir compte du sens, les titres arbitrairement donnés aux sourates, le classement des sourates dans l’ordre actuel, etc.
S’agissant des traductions, sans que l’on s’en rende compte ou sans qu’on le sache, ce qui nous semble naturel dans leur présentation du texte coranique traduit n’est pourtant qu’une série d’innovations. Nous avons déjà mentionné les principales innovations dont les traductions sont victimes : absence de mise en page, numérotation des versets prioritaires, sens de lecture inversé, etc. Voilà bien des innovations auxquelles nous sommes accoutumés au point qu’elles nous semblent être la règle.
Au fond, une innovation n’est rien d’autre qu’une différence que l’on n’admet que par la suite, qu’elle soit utile ou négative. Par contre, ce que l’on pourrait qualifier d’innovation dans notre traduction n’est en rien nuisible au texte coranique, bien au contraire. Du reste, à être rigoureux dans l’emploi des termes, ce ne sont pas des innovations, car elles résultent seulement du respect scrupuleux d’indications coraniques négligées par l’usage exégétique et traductionnel.

Conclusion
Au terme de cette présentation résumée des défauts qui grèvent le corpus des traductions du Coran au point de le rendre peu lisible et difficilement accessible quant au sens, nous rappellerons que nul ne peut ignorer les enjeux actuels de la traduction du Coran. En effet, plus de 80% des musulmans ne sont pas arabophones et dans les faits bien peu d’arabophones maîtrisent l’arabe coranique.
Ceci explique que le groupe doctrinaire présentement encore dominant se soit saisi du dossier depuis une trentaine d’années et diffuse à grande échelle une traduction du Coran totalement asservie à la signification qu’il entend donner.[7]
De plus, pour majorer sa mainmise sur le Texte, les mêmes ont institutionnalisé une présentation éditoriale des traductions désastreuses qui ne font que majorer l’incompréhension du texte. Le lecteur est ainsi en quelque sorte otage de la signification imposée aux traductions et ne peut qu’au prix de grandes difficultés être maître de sa propre capacité de compréhension.
Quoi qu’il en soit, nos avancées sans équivalents dans le décodage thématique et structurel du Coran ainsi que la présentation formelle qui les retranscrit font que, pour la première fois, une traduction du Coran devient un livre !
Notre démarche traductionnelle permet de dépasser le statu quo, et rend possible de voir et comprendre la rigueur de construction d’exposé et de logique du Coran, tel que nous ne l’avons jamais lu. Le lecteur peut ainsi retrouver son autonomie et accéder à la compréhension du Coran par l’intermédiaire d’un texte clair en sa formulation et clairement mis en page.
Dr al Ajamî
(Suite et fin)

 

Notes
[1] Confer : https://oumma.com/dr-al-ajami/
[2] Confer : https://oumma.com/nous-navons-jamais-traduit-le-coran/
[3] Cf. supra
[4] Cette mise en page remonte à l’époque ottomane, elle a été généralisée par les impressions du Coran produites en masse par l’Arabie saoudite.
[5] Cf. https://oumma.com/nous-navons-jamais-traduit-le-coran/
[6] Cf. supra.
7] Idem.